En couv : Hollywood flingue-t-il le cinéma ?

La cinéphilie tendance Mad vit actuellement un paradoxe insupportable : les studios rivalisent d’énormes projets inspirés de fleurons jusqu’ici considérés comme de la « simple » contre-culture. Une victoire absolue de la sphère geek, totalement imprévisible il y a quinze ans, mais contrainte de marcher dans les clous de l’époque. Les Cassandre ont beau nous jouer de la harpe régulièrement, à chaque contre-performance d’un budget démesuré, le système ne semble pas parti pour s’effondrer de sitôt.
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la fréquentation assidue des salles obscures en quête de grands spectacles d’appellation américaine contrôlée finit par virer au masochisme. Un masochisme odieusement répétitif. Des adolescents imberbes de 25 ans courent contre l’autorité d’un monde post-apocalyptique, des surhommes et une poignée de surfemmes doivent stopper un gros rayon lumineux venu des cieux, des personnages de jeux vidéo, de livres, de bandes dessinées étalonnés avec l’urètre d’un animal mort s’ébrouent sur fond vert sans comprendre pourquoi on les a sortis de leur médium originel, expérimentations ratées, sorties avant complète maturation, implorant du regard qu’on les achève. Les États-Unis, mètre étalon du cinéma à grande échelle, n’offrent plus à la contemplation qu’un vaste no man’s land artistique. L’observateur ne peut manquer de relever, la mort dans l’âme, que le monde des blockbusters hollywoodiens ressemble de plus en plus à celui des comédies françaises. Le niveau de médiocrité artistique y est tel que lorsque sort un produit à peu près correctement emballé, qui n’insulte qu’involontairement son public, le spectateur essoré se sentirait quasi reconnaissant. Ainsi le Tomb Raider de Roar Uthaug, assez respectueux du jeu qu’il adapte, doté d’un casting sympathique et d’un réalisateur expatrié qui sait tenir une caméra. Passé le générique de fin et le retour à la lumière naturelle, le charme relatif s’estompe aussi rapidement que celui de Black Panther, Marvel de bonne facture avec sa bande-son aguicheuse et son antagoniste bien plus intéressant que le rôle-titre. Voilà pour le haut du panier des trois premiers mois de l’année. Pour le bas, évoquer dans un haut-le-coeur Pacific Rim 2 et son Scott Eastwood dirigé par un robot (à moins que ce ne soit l’inverse), Le Labyrinthe : le remède mortel, à qui personne n’a osé dire que les fictions pour jeunes adultes étaient déjà mortes et enterrées depuis deux ans, The Greatest Showman et sa vista dégueu de Baz Luhrmann révisionnisto-libéral, Un raccourci dans le temps et ses relents de descente d’acide totalement hostile. L’année 2018 ne démarre pas sous les meilleurs auspices, plutôt normal quand on voit la gueule de la décennie en passe de se terminer.


LA TRANSITION NUMÉRIQUE
Kevin Smith (bon rétablissement post-crise cardiaque, petit ange) n’a de cesse de le répéter à longueur de podcasts, d’interviews, de masterclasses, de conférences, et probablement à des passants chopés au hasard dans la rue : il vit dans une période dont il n’aurait même pas osé rêver dans sa jeunesse. Au moins une demi-douzaine de films de super-héros par an ? Des nouveaux Star Wars ? Des reboots permanents de nos films préférés ? Amblin comme curseur de référence ? Des séries télé qui doublent, triplent, quadruplent la mise ? Nous, internationale geek, baignons en pleine utopie. Sur le papier. En pratique, le rêve a viré uchronie : et si chaque élément du panthéon contre-culturel était, méthodiquement, soigneusement saboté, vidé de sa substance discursive, symbolique, métaphysique, pour coller à des impératifs commerciaux définis par des cadres autant animés par la passion du cinéma qu’un phacochère syphilitique ? Bienvenue dans le cauchemar clinique des années 2010. Sur le fond, le constat n’a rien de neuf, l’image de Hollywood comme une usine à broyer les rêves en petits paquets prêts à consommer reste le cliché le plus répandu de la critique pré-YouTube, hashtag vieux con, mot dièse c’était mieux avant. Sur la forme, sans remonter trop loin, il suffit juste de se remémorer la transition cruciale de la deuxième moitié des années 2000. Pour qui suit assidûment l’actualité des blockbusters américains, il apparaît évident que le processus de standardisation visuelle si cruellement à l’oeuvre aujourd’hui a accompagné le virage du 35 mm au numérique. Comme dans tout processus de transition qui se respecte, les règles ont changé en loucedé. L’aplanissement de l’image, la perte du grain impliquant de nouvelles grammaires filmiques, se sont ravalés dans la majorité des cas à une inflation des CGI, des accélérations artificielles de montage, des confusions narratives entre vitesse et précipitation. Et si tu trouves le résultat illisible, c’est que t’es trop vieux. Au fil des ans et de l’inflation des budgets, les réalisateurs confirmés, trop capricieux au goût des exécutifs et trop engoncés dans des préoccupations grossières telles que rendre des films présentables, sont progressivement dégagés. Contre toute attente et toute logique, Zack Snyder et Michael Bay deviennent de vieux sages, les arrivées de Joss Whedon dans la galaxie Avengers, de Shane Black sur Iron Man 3 ou de James Wan sur Fast & Furious 7 font figure d’événements, vite transformés en douches froides devant la réalité des objets en question.


LA DICTATURE DE L’ADO DE 12 ANS
L’avènement cinématographique de la culture chère à Kevin Smith ne constitue au final que l’apogée d’un cycle de prédation commerciale comme un autre. La spécificité de l’évolution du capitalisme – dont Hollywood a assimilé les codes avec gourmandise – étant justement d’absorber toutes ses alternatives, aussi contestataires soient-elles, et d’en gommer les aspérités pour les régurgiter en format « convenable » – voir le traitement de Killmonger dans Black Panther, cas d’école de diabolisation expéditive et grossière d’un personnage aux motivations légitimes. Cette volonté normative s’est vue en sus assujettie au développement incontrôlé et mal jaugé des réseaux sociaux et de l’émergence des influenceurs de tous poils. Dans le dernier podcast du Paris International Fantastic Film Festival, Pascal Laugier lançait, un rien bravache, que le cinéma hollywoodien est produit exclusivement pour un ado de 12 ans. La réalité des campagnes de communication récentes autour des grosses productions (blockbusters) aux énormes productions (tentpoles) lui donne malheureusement raison. Un ado de 12 ans aculturé, capricieux, mal élevé, à qui tout se donne clé en main (lire n’importe quelle tornade de commentaires ultra-violents en réaction au moindre trailer balancé un an avant la sortie pour s’en convaincre). La réactionnite aiguë, faute d’avoir été réellement canalisée et étudiée, fait pour l’instant office d’indicateur par défaut d’une industrie dépassée par son gigantisme, ses fusions hégémoniques. Ce n’est pas un problème générationnel. Les millenials réagissent aussi mal que leurs aînés sur cet outil où la seule règle est de produire le plus volumineux écho de résonance. Et ils seront vraisemblablement les grands frustrés du cinéma hollywoodien des 30 prochaines années, quand d’autres moyens d’expression auront émergé. Il s’agit d’un phénomène cyclique, en cheville avec un modèle économique reposant maladroitement en équilibre sur une bulle spéculative. Un fonctionnement aberrant, condamné à subsister jusqu’à l’explosion maintes fois annoncée de ladite bulle. Pour le public, les errements de ce modèle se traduisent dans l’immédiat par la saturation du marché de produits similaires – en 2018, huit films de super héros, cinq séquelles, quatre reboots de vieux succès, deux films catastrophes avec The Rock se bousculent ainsi au portillon.


ORACLES, AU DÉSESPOIR
En juin 2013, Steven Spielberg et George Lucas prédisaient, lors d’une rencontre avec des étudiants, « l’effondrement ou l’implosion » du système actuel, incapable selon eux de survivre à une série d’échecs de films produits pour plus de 250 millions de dollars. Les étés cinématographiques suivants, de plus en plus désastreux jusqu’aux bides endémiques de 2016 et surtout de 2017, finirent presque par leur donner raison. La gestion catastrophique de la Warner de son univers DC Comics, du pataud Batman v Superman : l’aube de la justice à la déroute Justice League, trahit clairement une trouille panique qui finira par tous nous faire regretter Zack Snyder – sérieusement, en l’état actuel du catalogue, qui peut raisonnablement se dire excité par la sortie en fin d’année d’Aquaman, malgré la présence de James Wan aux manettes ? Toujours est [...]

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