DVD MAD (N°337)
Tous les dieux du ciel
Si beaucoup des tentatives françaises dans le domaine du fantastique donnent l’impression de creuser le même sillon que le cinéma anglo-saxon, certaines échappent à cette inclinaison. Comme Tous les dieux du ciel, une oeuvre insaisissable qui, au terme d’un prélude traumatisant, donne vaguement l’impression d’emprunter les chemins du Canicule d’Yves Boisset. Impression trompeuse, car Tous les dieux du ciel est tout autre chose. Ce premier long-métrage de Quarxx, photographe et artiste-peintre, est l’excroissance d’un de ses courts, Un ciel bleu presque parfait qui, en 2016, électrise le public des quelque 160 festivals qui le programment. L’histoire elliptique d’un frère et d’une soeur, victimes collatérales d’un drame de l’enfance : le premier est mentalement instable et rongé par la culpabilité, la seconde dans un état végétatif. Le fruit de l’imagination de Quarxx ? Partiellement, le scénario reposant sur des faits réels, une expérience vécue. « L’idée du film remonte à 2012, à l’époque où je travaillais à La Réunion sur une exposition photo autour de la mort » rapporte l’auteur. « J’avais eu accès à une morgue grâce à la femme d’un ami. Je me suis retrouvé pour la première fois en présence de cadavres, dont celui d’une jeune femme, allongé sur la table de dissection. J’ai demandé quelle était son histoire. J’ai alors appris que cette fille avait été trouvée chez son frère trois semaines plus tôt. Refusant d’admettre sa mort, celui-ci s’occupait de sa dépouille comme si elle était encore en vie. Il l’habillait, la plantait devant la télé, la baladait dans le jardin sur un fauteuil roulant… Tout ça a duré jusqu’au jour où les odeurs du cadavre sont remontées jusqu’aux voisins qui ont alerté les autorités. Séparé de sa soeur, le frère a ensuite sombré dans la folie. Cette histoire m’a à ce point marqué que j’ai ressenti le besoin d’inventer un passé à ce corps, de réinventer la tragédie de cette fratrie. » Et Quarxx de tisser un canevas morbide proche de certains films italiens des années 1980, comme Baiser macabre ou Blue Holocaust. À la différence près que chez lui, la soeur survit, tandis que l’état psychique du frère instille un doute quant à la réalité de ce qui se déroule à l’écran : hallucinations, flashes-back, imminence d’une prétendue invasion extraterrestre, exploration des racines du Mal… « Tous les dieux du ciel traite du remord, ce remord qui va jusqu’à la folie, qui vous fait perdre votre intégrité mentale, et par conséquent votre identité » analyse Quarxx. « Oui, il y a des aliens dans cette histoire, bien que rien n’indique qu’ils soient réels. Il s’agissait avant tout de restituer l’état intérieur du personnage principal. Les éléments fantastiques de l’intrigue constituent pour lui une échappatoire, un moyen de fuir ses responsabilités. » Pour restituer cet enfer mental, le chemin qui a mené le cinéaste du court au long fut tortueux, semé d’embûches. « J’ai pensé Un ciel bleu presque parfait comme un long-métrage, mais je ne suis pas arrivé à trouver des producteurs motivés. Le sujet rebutait les décideurs. J’ai donc réduit le scénario à son strict minimum, préférant l’idée d’un condensé plutôt que rien du tout. Satisfaisant dans un sens, frustrant dans l’autre. Après bien des péripéties, le court-métrage a vu le jour. Suite à son succès, il m’a été plus facile de convaincre des partenaires de me suivre dans l’aventure du long. » Les partenaires en question se nomment François Cognard de Tobina Film et Vincent Brançon de To Be Continued, fervents défenseurs d’un cinéma de genre français non inféodé aux critères hollywoodiens. En misant sur Quarxx, ils ne se sont pas trompés, désormais accompagnateurs d’un talent original qui ne cherche pas à plaire coûte que coûte, préférant fuir les concessions commerciales et les grosses ficelles. Quarxx aurait même tendance à prendre le spectateur à rebrousse-poil, à le provoquer. Ce qui fait toute la valeur de Tous les dieux du ciel.