DVD MAD (N°308)
La 9e vie de Louis Drax
Haute tension, les remakes de La Colline a des yeux et de Piranhas… Dans l’esprit du public, Alexandre Aja reste un cinéaste associé au cinéma gore, même si Mirrors et Horns ont prouvé que ses qualités de conteur allaient bien au-delà d’une simple aptitude à shooter de la tripaille avec une élégance formelle qui en remontre à la plupart de ses confrères américains. Adapté par l’acteur Max Minghella d’un best-seller signé Liz Jensen, La 9e vie de Louis Drax se situe dans la droite lignée de ces deux oeuvres passionnantes hantées par les influences de Stephen King et de La Quatrième dimension, lesquelles se traduisent par la volonté affirmée de glisser vers le fantastique au sein d’une narration souvent proche du mélodrame à l’ancienne, d’aller chercher l’extraordinaire pour qu’il épouse l’ordinaire et qu’il mette en lumière aussi bien ses beautés cachées que ses zones les plus obscures. Avec sa love story tourmentée héritée de Pas de printemps pour Marnie, La 9e vie de Louis Drax va plus loin et assume ses ambitions hitchcockiennes, marquant une date dans l’évolution du cinéaste. Car la maturité d’Aja se manifeste ici par la façon décomplexée dont il gère l’émotion inhérente à son histoire et l’amour inconditionnel qu’il porte à ses personnages, aussi imparfaits soient-ils. Victime d’accidents aussi bien domestiques qu’animaliers depuis sa naissance, Louis, neuf ans, se retrouve dans le coma après être tombé d’une falaise. Mais cette fois-ci, cela ne semble pas être un accident puisque son beau-père (Aaron Paul), réputé violent et présent sur les lieux, l’aurait poussé dans le vide avant de disparaître. À l’hôpital, Louis est suivi par le Dr Pascal (Jamie Dornan, très loin de Cinquante nuances de Grey), un neurologue qui tente d’accéder à son subconscient pour communiquer avec lui tout en tournant autour de Natalie (Sarah Gadon), la maman de son jeune patient. Le médecin n’est pas le seul à être intrigué par l’affaire : la police guette le moment où Louis sortira du coma pour donner sa version des faits. Dès lors, le récit s’articule autour de plusieurs options, suggérant que ce qu’on nous montre des personnages ne correspond pas forcément à ce qu’ils sont en réalité. Une manière de brouiller les pistes qui trouve écho dans le monde imaginaire que se crée Louis, ce dernier commentant en voix off sa propre vie. L’occasion pour lui de donner son avis sur tous les gens qu’il croise avec une franchise souvent cruelle, à commencer par son psychologue (Oliver Platt).
UNE HISTOIRE D’ALCHIMIE
Aja prend ici un risque majeur : au lieu de céder à la facilité en faisant de Louis un « gentil petit bonhomme », il le rend presque antipathique en le montrant comme un gamin que les épreuves ont rendu amer, presque misanthrope, ce qui ne l’empêche cependant pas de se moquer de lui-même. Aja préfère ainsi renforcer la crédibilité de son personnage plutôt que de créer une empathie artificielle en ne le montrant que comme la malheureuse victime d’une malédiction. De fait, c’est à sa mère qu’on s’attache avant tout, jolie blonde au beau regard triste, à la fois petite fleur fragile et femme fatale, et à qui Sarah Gadon prête la séduction évanescente de son physique de déesse du film noir. Avec Aaron Paul, bouleversant dans un rôle aux multiples facettes, elle cristallise la profonde humanité et la pudeur dont Aja fait preuve dans le traitement de ses personnages. Car oui, on oublie trop souvent que le cinéaste est aussi un formidable directeur d’acteurs. « J’ai eu avec Sarah une expérience similaire à celle que j’ai eue avec Cécile De France sur Haute tension » raconte-t-il. « C’est une actrice exceptionnelle qui non seulement s’implique totalement dans son rôle, mais qui possède en outre une technique lui permettant d’apporter des nuances incroyables à un personnage potentiellement caricatural. Quant à Aaron, c’est un peu comme Daniel Radcliffe : il fait partie de ces acteurs que j’ai envie de mettre dans tous mes films. Je l’avais d’ailleurs déjà envisagé pour Horns. » Ils sont tous deux pour beaucoup dans le torrent émotionnel que déclenche le dernier acte du film, qui lui a valu d’être classé R aux USA après le refus d’Aja de couper un montage jugé trop intense en matière de violence psychologique. C’est dire à quel point La 9e vie de Louis Drax est un film qui n’a rien de formaté, même si les escapades oniriques de son héros évoquent furieusement les univers explorés par Guillermo del Toro dans Le Labyrinthe de Pan et surtout par Juan Antonio Bayona dans le récent Quelques minutes après minuit. Aja reste heureusement plus proche de la magie ténébreuse du premier que du sentimentalisme lacrymal du second, qu’il tenta d’ailleurs de réaliser après qu’Alfonso Cuarón eut quitté le projet et avant que Bayona n’emporte le morceau (« C’est aussi parce que j’ai retrouvé des éléments de Quelques minutes après minuit dans La 9e vie de Louis Drax que j’ai eu envie de le faire. »). Porté par les valses envoûtantes de la musique de Patrick Watson, nourri de références plastiques allant de Jim Henson à Jacques Cousteau en passant par Brainstorm, La 9e vie de Louis Drax appartient à cette race de films intègres et audacieux qu’il serait criminel de trop déflorer, tant le plaisir qu’on éprouve en le découvrant réside dans sa capacité à prendre le spectateur par la main pour mieux le jeter dans le vide quand il s’y attend le moins. Preuve s’il en était besoin que ce « film noir vu par un enfant » au romantisme exacerbé sait se dresser à hauteur d’homme quand le récit l’exige.
INTERVIEW ALEXANDRE AJA
RÉALISATEUR ET PRODUCTEUR
Alors qu’il prépare l’horrifique Smart House produit par James Wan et une adaptation dans le style de La Chair et le sang du roman historique Le Montespan, Alexandre Aja revient sur les multiples problèmes rencontrés par La 9e vie de Louis Drax lors de sa distribution.
Comment en es-tu venu à réaliser La 9e vie de Louis Drax ?
Tout a commencé par ma rencontre avec Max Minghella sur le tournage de Horns. Nous sommes devenus assez proches et un jour, il me dit : « Écoute, j’ai écrit un scénario… ». En général, quand un acteur te dit ça, c’est très mauvais signe ! (rires) Ce qui est assez idiot finalement, parce que c’est un des plus beaux scripts que j’ai lus depuis le début de ma carrière, d’une précision, d’une justesse, d’une émotion et d’une originalité assez uniques.
Tu n’avais pas lu le roman dont il est adapté ?
Non, pas à ce moment-là, mais Max m’en a parlé en me disant que c’était le dernier projet sur lequel son père Anthony Minghella avait travaillé avant de mourir, puisqu’il devait réaliser l’adaptation du livre, qui avait été l’objet d’un véritable bras de fer entre les producteurs David Heyman et Harvey Weinstein. Les droits avaient été vendus pour une somme énorme, quelque chose comme deux millions de dollars. À la mort de Minghella, Max est allé voir Miramax pour leur proposer de reprendre l’adaptation entamée par son père et s’est lancé dans l’écriture du scénario. Ensuite, celui-ci a circulé dans les mains de pas mal de réalisateurs dont Danny Boyle. Quand je l’ai lu, il m’a bouleversé. Ce qui m’a beaucoup marqué, c’est qu’à chaque fois que je m’y replongeais où qu’on travaillait dessus avec Max, je retrouvais la même émotion. Évidemment, ça touchait à quelque chose de très personnel dans le sens où j’ai un petit garçon qui a à peu près de l’âge de celui du film. Et lui aussi est doté d’une personnalité assez singulière et est passionné par tout ce qui est aquatique. Le rapport à la mère m’a aussi marqué. Bon, je n’ai jamais subi aucun mauvais traitement, mais le cinéma a cette faculté d’exagérer les choses pour faciliter l’identification du spectateur, un peu comme quand on s’identifie à un serial killer rejeté par les femmes parce qu’on s’est pris un râteau une fois dans sa vie. J’ai donc été très touché non seulement par la relation entre le gamin et sa mère, mais aussi par celle qu’il entretient avec son père. Du coup, je ne me suis pas posé une seule fois la question de savoir s’il fallait que je fasse le film ou pas, c’était une évidence. À l’époque, je devais tourner un biopic produit par Orange et Image Movers, la boîte de Robert Zemeckis, intitulé The Sunset Kid. Ça raconte la vie de Jeff Hakman, le créateur de la marque Quiksilver, mais qui avant ça a été champion du monde de surf alors qu’il n’avait que douze ans. Le projet est toujours d’actualité et j’espère pouvoir le réaliser un jour, mais j’en ai retrouvé des éléments dans La 9e vie de Louis Drax, notamment sur l’enfance et le dépassement de soi. Le film s’est donc imposé à moi, même s’il n’a pas été facile à monter : le sujet était délicat, il avait des ambitions visuelles nécessitant un certain budget, le casting a beaucoup bougé… À un moment, on devait avoir Oscar Isaac et Léa Seydoux dans les rôles finalement tenus par Jamie Dornan et Sarah Gadon. Mais bon, le tournage s’est très bien passé. C’est après que les choses ont commencé à se gâter.
Que s’est-il passé exactement ? La production a voulu remonter le film ?
Non, il n’y a eu aucun souci au montage, c’est quand il a fallu sortir le film que ça s’est compliqué. Trop souvent, les gens ont l’impression que si la date de sortie est repoussée, c’est parce que l’oeuvre est mauvaise ou problématique. Du coup, ils anticipent le pire. Parfois, ils ont raison, mais il existe aussi des circonstances qui font que le report de la sortie d’un long-métrage ne veut pas du tout dire qu’il est raté, particulièrement dans le cinéma indépendant où, contrairement aux films de studio, aucune date de sortie n’est prévue à l’avance. Le long-métrage doit être montré dans les festivals, être vendu à des distributeurs, etc. Dans le cas de La 9e vie de Louis Drax, la postproduction a été bouclée en mai 2015 et le film a été sélectionné pour le Festival de Toronto trois mois plus tard. Ensuite, il y a eu une projection-test à Los Angeles qui a obtenu d’excellents résultats : pour être précis, 72 % des 400 personnes présentes ont coché les cases « très bon » ou « excellent », sachant que seules ces cases-là sont prises en compte dans ce type de projection faite pour un public pris au hasard. Du coup, Miramax a décidé de complètement changer son fusil d’épaule et de retirer le film de Toronto, parce qu’ils ne voulaient plus le vendre mais le distribuer eux-mêmes en salles, la compagnie ayant soudain été réorganisée en ce sens. La 9e vie de Louis Drax devant être le premier film à en bénéficier, qui plus est sur un parc de salles important, on a ouvert le champagne, d’autant que s’il avait été vendu à Toronto, il n’aurait sans doute eu droit qu’à une petite sortie salles accompagnée d’une diffusion en VOD. La nouvelle devait être dévoilée à Toronto, mais finalement, c’est la mise en vente de Miramax qui a été annoncée… Jusqu’en juin 2016, le film a été mis sur une étagère et n’a plus bougé en attendant que Miramax trouve un repreneur. Quand la boîte a été racheté par beIN, une société du Qatar en partie dirigée par des Français basés à Paris, je me suis dit qu’on allait peut-être pouvoir trouver une solution, mais non. Ils ont préféré respecter la décision des gens en poste à la direction de Miramax, qui a finalement cédé le film à Lionsgate pour qu’ils le sortent en VOD. Résultat, il a en quelque sorte disparu aux États-Unis mais aussi à l’international. En France, Metropolitan Filmexport puis La Belle Company ont tenté de trouver un accord avec Miramax pour le sortir en salles en décembre 2016, mais ça n’a pas fonctionné. Au final, on se retrouve donc avec une édition Carlotta, qui est un très bon distributeur, très prestigieux, mais je regrette tout de même que le film n’ait pas pu sortir au cinéma.
Le film m’a beaucoup fait penser à Stephen King, ce qui était déjà le cas avec Mirrors et surtout Horns. C’est une approche que tu comptes développer, ce côté « réalisme magique » ?
Je ne l’ai pas fait volontairement. Mais en effet, ce qui me plaît, c’est ce réalisme teinté de fantastique. Horns, c’était la quintessence de ce mélange de genres que j’aime énormément mais qui est malheureusement assez décrié au cinéma pour de mauvaises raisons, alors qu’il est très plébiscité à la télévision. D’ailleurs, avec le recul, si j’avais pu faire Horns avec la même équipe sous la forme d’une mini-série en cinq ou six épisodes, ç’aurait été fabuleux, c’était le format idéal. Pendant longtemps, j’ai essayé de développer une série adaptée de Scanners avec Dimension pour Cinemax et HBO, mais ça n’a pas abouti, et j’ai en projet L’Obsession, un « true-crime thriller » avec un élément de science-fiction tiré d’un très bon roman de James Renner, et aussi une adaptation d’un manga de Junji Ito et une anthologie d’horreur tournée en VR dans le style des Contes de la crypte. Mais pour en revenir à Stephen King, il m’avait beaucoup soutenu auprès de la production sur Horns, puisque c’était écrit par son fils Joe, et j’ai d’ailleurs pas mal tourné autour des adaptations de Simetierre et Ça, mais je ne suis pas parvenu à me mettre d’accord avec les producteurs. Je ne comprends pas ce besoin qu’ils ont de vouloir absolument modifier les romans ou les réinventer, tout est déjà parfait, la seule chose dont ils ont besoin, c’est d’être un peu resserrés dans leur narration, comme a pu le faire Kubrick avec Shining. Mon argument pour Simetierre a été de dire qu’il fallait reprendre le script rédigé par King pour le film de Mary Lambert et y passer une couche de légère modernisation pour qu’il parle au public actuel, mais qu’en dehors de ça il ne fallait toucher à rien. Le problème a été le même avec Ça : le scénario a peut-être évolué depuis, mais dans les versions que j’ai lues à l’époque où Cary Fukunaga était encore sur le projet, il avait tellement changé l’histoire que je ne reconnaissais plus du tout l’oeuvre de King. Pour moi, le sujet du livre, c’est l’impossibilité de vivre sa vie d’adulte tant qu’on n’a pas réglé ses traumatismes d’enfance. Et dans ce que j’ai lu, il n’était plus question de ça, c’était uniquement centré sur l’enfance des personnages alors que le livre n’est pas du tout construit comme ça. Pour ce qui est des autres romans de King, il faudrait que je trouve celui qui me convient le mieux compte tenu du fait que je suis plus fan de sa première période que de ce qu’il a écrit par la suite.
Merci à Mathilde GIBAULT
Jérôme satriani
le 14/06/2017 à 12:03Le plaisir pour vous de le proposer en pack avec le numéro #308 et le plaisir pour nous acheteurs de le découvrir. ..merci beaucoup grâce à mad je vais pouvoir me faire un avis sur un film que je me devais de voir...