DVD/Blu-ray/VOD N°313

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JESSIE I 1922
SVOD. Netflix.

KINGFLIX

Netflix aligne coup sur coup deux adaptations inédites de Stephen King après le carton de Ça. Et la plateforme de SVOD en profite pour confirmer son statut de « refuge » pour un ciné horrifique adulte et incarné qui ne trouve plus le chemin des salles…
Vous connaissez l’adage : une bonne surprise n’arrive jamais seule. Si l’on guettait depuis belle lurette l’adaptation de Jessie par Mike Flanagan, on n’avait carrément pas vu venir celle de la nouvelle 1922 par Zak Hilditch, le réalisateur australien du chouette drame pré-apo Final Hours. Deux productions Netflix balancées par la plateforme de SVOD à moins d’un mois d’intervalle, produites sur des modèles visiblement similaires : de jeunes cinéastes fort capables, fans du matériau original, qui ont démarché Netflix et obtenu carte blanche en même temps qu’un budget raisonnable (les chiffres précis ne circulent pas, mais de l’aveu de Flanagan, l’argent était loin de couler à flots). Dans le cas de Jessie, la gageure était réelle, et le parcours du combattant du réalisateur de The Mirror pour concrétiser le projet en dit long sur la mentalité des responsables de Netflix. « Souvent, quand vous avez un meeting avec un studio » raconte Flanagan, « il y a toujours un moment où les gars vous demandent : « C’est quoi votre projet rêvé ? ». Je mentionnais toujours Jessie. Si mes interlocuteurs connaissaient le livre, la réponse était : « Euh, c’est inadaptable. ». S’ils ne connaissaient pas, il suffisait d’un pitch de 30 secondes pour qu’ils me répondent : « Ça ne fera pas un film. ». Après avoir distribué Pas un bruit, Netflix m’a inévitablement demandé : « Avez-vous un projet qui vous motive plus que les autres ? ». On leur a donc parlé de Jessie, et on s’attendait à la réponse habituelle : « On adore Stephen King. Mais il faudrait opérer pas mal de changements. ». Et bien sûr, le genre de changements qu’un studio veut faire sur ce genre d’histoire dénature complètement le projet. Du coup, on a vraiment été soulagés quand on a compris que Netflix voulait faire le même film que nous. ».

DÉTACHE-MOI 
Fan du bouquin de King depuis ses 19 ans, Flanagan trouve donc le berceau idéal pour concrétiser l’histoire de Jessie (Carla Gugino), femme mûre mariée un à riche avocat, Gerald (Bruce Greenwood), avec lequel elle part en week-end dans leur maison secondaire située en pleine nature. Pour pimenter leurs ébats, Gerald attache son épouse à leur lit avec deux solides paires de menottes… et meurt d’une crise cardiaque. Isolée, incapable de bouger, Jessie se retrouve seule, ou presque. Car un chien sauvage vient grignoter le corps de son mari, et une présence menaçante semble tapie dans l’ombre… Tourner un film sur une femme attachée à un lit qui s’enfonce doucement dans la folie en multipliant les monologues intérieurs, voilà un exercice forcément casse-gueule. D’autant que le livre de King utilise abondamment l’une des marques de fabrique de l’auteur, à savoir le recours aux « petites voix dans la tête ». Malins, Flanagan et son coscénariste Jeff Howard recentrent les enjeux en changeant l’identité des « interlocuteurs », naguère une copine de lycée et une psy, désormais Jessie elle-même et son défunt mari. L’occasion pour Carla Gugino de livrer une prestation nuancée et fébrile, à même de retranscrire l’odyssée intérieure de son personnage, chez qui cette épreuve fera ressurgir un traumatisme enfoui qui lui donnera la force de lutter contre le destin. Flanagan enchâsse les narrations avec fluidité, filme son décor restreint avec un solide sens de la spatialisation, et reste extrêmement fidèle à King, notamment en conservant le lien entre l’histoire de Jessie et celle de Dolores Claiborne, et en respectant la fin imaginée par King. Surtout, il ne se foire pas sur les deux éléments horrifiques qui avaient rendu la lecture du roman inoubliable : l’apparition du « Space Cowboy » (devenu ici le « Moonlight Man ») est mémorable – même si le réalisateur aurait pu l’étirer un peu plus pour maximiser son effet –, et le « climax » du calvaire de Jessie est proprement insoutenable, avec l’une des scènes gore les plus éprouvantes vues sur un écran depuis bien longtemps, grâce à un saisissant effet prosthétique de Robert Kurtzman. Bilan hautement satisfaisant, donc, pour cette adaptation soi-disant « impossible », et la confirmation, au passage, que Flanagan est décidément l’un des plus solides artisans de sa génération.



NUIT MORTE
En revanche, l’incertitude planait sur l’aptitude de Zak Hilditch à s’emparer de l’univers de King, car son chouette Final Hours profitait surtout d’un beau scénario et de personnages attachants, mais n’avait pas tout à fait convaincu en matière de mise en scène pure. Fait rassurant, l’Australien n’est pas un mercenaire à la solde de Netflix : amoureux de la nouvelle 1922 depuis sa parution en 2010 dans le recueil Nuit noire, étoiles mortes, il signe lui-même l’adaptation et convainc le service de SVOD de la produire. Une décision plutôt courageuse, tant cette histoire funèbre ne prête guère à la rigolade : un fermier du Midwest ayant assassiné sa femme avec la complicité de son fils voit sa vie s’effondrer avant de sombrer dans la folie… Porté par un Thomas Jane habité (en dépit d’un accent traînant un peu trop appuyé), 1922 pose une chape de plomb sur cette histoire de culpabilité privilégiant l’horreur psychologique rampante. En dépit de quelques faiblesses de rythme et de réalisation, Hilditch impose une atmosphère sépulcrale et dépressive, et esquisse d’inattendus échos répondant au Jessie de Flanagan par certains motifs – le puits, la culpabilité – et thématiques : si Jessie est l’histoire d’une femme cherchant à se libérer physiquement et psychologiquement, 1922 est celle d’un mari qui enferme psychologiquement puis physiquement sa femme. Deux récits miroirs, l’un du côté de la victime, l’autre du bourreau. Un beau doublé donc, avec à la clé des films d’horreur adultes et soignés (malgré des limites budgétaires parfois visibles [...]

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