DVD/Blu-ray/VOD N°312

COFFRET DARKMAN
LA JUSTICE SANS VISAGE
Zone B. L’Atelier d’images.
Oeuvre culte pré-datant la grande vague comic-book de la fin des nineties, Darkman devait jusqu’ici se contenter sur le marché français d’une édition DVD nue comme un ver. L’Atelier d’images corrige cet affront en offrant un écrin cinq étoiles à l’un des films les plus emblématiques de Sam Raimi, ainsi qu’à ses deux suites tombées dans l’oubli.
Représentant un carrefour dans la carrière de Sam Raimi, Darkman est à la fois un monster flick expressionniste ultra-violent et un film de studio bénéficiant d’un casting respectable. Ayant atteint les limites de son imaginaire horrifique avec Evil Dead 2, le cinéaste décide de faire un pas de côté à l’aube des années 90. Consommateur de comic-books depuis l’enfance, il avait déjà effleuré le genre en métamorphosant son antihéros Ash Williams en tronçonneuse humaine, mais son sens de la pose iconique explose littéralement dans Darkman. Tourné 22 ans avant le premier Spider-Man, le long-métrage est une succession de vignettes dont la puissance gothique donne encore aujourd’hui un sacré vertige. Raimi y déploie une créativité bouillonnante, autant dans ses élans cauchemardesques (regorgeant d’idées visuelles inédites, la mort de Peyton Westlake est digne du chemin de croix d’Alex Murphy dans RoboCop) que dans ses moments d’introspection fiévreux (les délires paranoïaques du héros sont une extension de la scène des cerfs d’Evil Dead 2). Terrifiant, tragique, inventif et aussi instable que la peau synthétique qu’il essaie de fabriquer, le personnage éponyme est en lui-même la synthèse du style de Raimi. Incapable de ressentir la douleur, mais doté de sens et d’une force décuplés, Westlake (incroyable Liam Neeson) avance au gré de sautes d’humeur, de ruptures de ton et d’accès de folie caractéristiques de son créateur. À mi-chemin entre le cartoon et l’opéra, entre le film d’action et le drame métaphorique, Darkman méritait bien qu’un label français se penche enfin sur son génie.
LES SECRETS DE DARKMAN
Grâce à une campagne Kickstarter lancée durant l’été 2017, L’Atelier d’images est parvenu à financer un collector hors normes, comportant deux Blu-ray, un DVD et une bande dessinée. L’objectif ayant été dépassé de 33 %, l’éditeur a même pu investir dans un supplément exclusif : un décryptage de la mise en scène de Raimi sous forme de conversation entre les journalistes Stéphane Moïssakis et Julien Dupuy. Accessoirement, ce bonus est le seul à s’attarder sur le scoreépoustouflant de Danny Elfman, grand oublié des autres suppléments. C’est bien l’unique regret que l’on émettra ici : produites pour l’édition Zone A éditée en 2014 par Shout ! Factory, les interviews des comédiens (Neeson, Frances McDormand, Larry Drake, Danny Hicks et Dan Bell), du maquilleur Tony Gardner, du production designer Randy Ser et du directeur artistique Phil Dagort sont de véritables mines d’anecdotes. On apprend par exemple que durant le tournage de la scène de l’hélicoptère, Raimi n’a cessé de torturer Liam Neeson, sujet au vertige, comme il avait pu le faire avec Bruce Campbell sur la saga Evil Dead. Frances McDormand, quant à elle, se souvient du temps où elle partageait une petite maison avec Raimi et les frères Coen. Technicien secondaire sur Evil Dead 2, Tony Gardner parvint de son côté à décrocher les maquillages de Darkman grâce à un CV mensonger. Quelques semaines avant les prises de vues, il envisagea par ailleurs de concevoir une marionnette animatronique reproduisant à distance les expressions faciales de Liam Neeson ; en vain. Randy Ser, enfin, détaille photos à l’appui une scène rejetée par Universal et malheureusement disparue, dans laquelle Strack (Colin Friels) se baignait dans un tas de pièces d’or. Divisée en deux époques (entretiens rétrospectifs et documents vintage), l’interactivité rassemble de surcroît près de deux heures d’EPK et d’interviews promotionnelles datant de la sortie du film. Au-delà des précieux moments volés sur le tournage, on y voit un jeune Sam Raimi scander son amour du public et du divertissement dans sa forme la noble et généreuse.


VESTIGES DE L’ÈRE VHS
L’autre grand argument de cette édition française est l’inclusion des deux suites produites en 1993. Un retour en arrière s’impose : succès modéré en salles, Darkman bat dès sa sortie en vidéo des records de location et de vente. Des dollars plein les yeux, les pontes de MCA/Universal décident de créer leur propre studio de production DTV et commandent à Renaissance Pictures deux séquelles bon marché. Ces suites devant être tournées simultanément, Raimi et Tapert débauchent le téléaste fantasticophile Bradford May, dont le plus grand atout est d’être son propre directeur de la photographie. Sur le plateau, le gain de temps est garanti. Laissés deux ans au placard, les longs-métrages finissent par surgir dans les bacs des vidéoclubs en 1995 et 96. L’affaire est juteuse pour le studio, mais frustrante pour les fans : le troisième opus est consternant, le rythme du tournage empêchant May de contrebalancer visuellement une intrigue médiocre. Dans les conditions optimales qu’offre le Blu-ray (les deux objets bénéficient de masters HD fonctionnels), la première moitié de Darkman II emporte toutefois l’adhésion. Le remplacement de Liam Neeson par Arnold Vosloo est certes maladroit : repéré dans Chasse à l’homme de John Woo, déjà produit par Raimi, le comédien n’a pas la folie imprévisible et l’émotion à fleur de peau de son prédécesseur ; et pour être honnête, le masque sommaire créé à peu de frais par KNB ne l’aide pas. Le ton cartoonesque de l’original est cependant intact, comme en atteste la résurrection frankensteinesque de Durant. Larry Drake jubile ici comme au premier jour, heureux de jeter un sbire du haut d’un immeuble au volant d’une voiture de golf, de trancher un nouveau doigt avec son coupe-cigares, et d’atomiser par erreur un employé avec une sulfateuse futuriste. En interview, le défunt comédien se souvient avoir rencontré les parents de Raimi durant la projection équipe de Darkman II, et leur enthousiasme avait poussé Raimi à envisager un énième retour de Durant. Une bobine fut même montée en vue d’une série télévisée. Hélas le projet sombra dans les limbes hollywoodiens… tout comme le personnage. Un mal pour un bien, sans doute, si l’on en juge par le niveau des reboots actuels.

A.P.




COFFRET LOUIS FEUILLADE
LES SERIALS NOIRS
Zone B. Gaumont.
Il y a 100 ans, Fantômas et Les Vampires terrorisaient les foules en faisant surgir des sociétés criminelles des bas-fonds de Paris, et inventaient par-là une poésie urbaine et nocturne qui n’a pas pris une ride.
Actif depuis l’aube du cinéma jusqu’à sa mort soudaine en 1925, Louis Feuillade a pratiquement tout tourné : des courts-métrages burlesques, des mélodrames, de l’aventure, du merveilleux, des sagas patriotiques, etc. Et aussi d’autres films à épisodes, dédiés cette fois à des héros positifs comme Judex pour satisfaire la censure vigilante qui prévalait pendant le premier conflit mondial. Mais son nom restera lié pour l’éternité à ce que ce coffret appelle ses « serials noirs », Fantômas (1913-14) et Les Vampires (1915-16). Évidemment, des policiers et autres reporters intrépides y pourchassent les agents du Mal, mais tout aussi évidemment, c’est l’aura ténébreuse de ces derniers qui attirait le public en masses. Là, s’exprime sans doute la part maudite de cette Belle Époque dont la tranquillité et la prospérité a poussé les foules, par contrecoup, à se passionner pour les exécutions capitales, les faits divers crapuleux, la violence anarchiste, le spiritisme… Si l’on additionne les deux films, cela donne ainsi quelque quatorze heures d’images où foisonnent les poursuites dans des égouts ou des souterrains, les maisons hantées, les catastrophes ferroviaires, etc.
Feuillade était lui-même un bon bourgeois (devenu chef de production à la Gaumont, il en a administré les affaires avec rigueur et économie) qui a soudain témoigné d’un génie pour les ambiances poisseuses, grâce à deux traits fondamentaux. Primo, il sort le cinéma du studio et de son artificialité pour aller tourner dans les rues de Paris et les banlieues borgnes. Synthétisant les apports de Lumière et de Méliès, il utilise ainsi les pavés humides, les terrains vagues interlopes, les zones industrielles, pour faire dévier la réalité crue vers une poésie fantastique qui enchantera les Surréalistes. Un exemple entre mille : dans un des premiers Fantômas, la fusillade à côté de la Halle aux Vins, où les combattants circulent entre les barriques disposées sur un quai plongeant vers la Seine. La haute définition redonne à de telles séquences leur netteté, mais aussi leurs couleurs. On aurait en effet tort de croire que le public de l’époque associait cinéma et noir & blanc, puisque la plupart des copies de films étaient teintées de différents tons, suivant l’éclairage de la scène. Et en particulier, la restauration rend enfin justice à ces bleus profonds qui donnaient toute leur atmosphère aux extérie [...]

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