DVD/Blu-ray/VOD N°304
COFFRET WALERIAN BOROWCZYK
LE MONDE DE BORO
Zone B. Carlotta.
Chantre d’un érotisme beau-bizarre, Walerian Borowczyk est enfin célébré à sa juste valeur dans un coffret regroupant sept films qui tiennent de l’art et du cochon. Parfait pour les dimanches après-midi en famille.
Walerian Borowczyk, c’est tout d’abord l’enrichissement d’un imaginaire. Celui du jeune cinéphile des années 80/90 qui aimait à regarder ce cinéma un peu « chose » par le trou de la serrure lors de rares diffusions tardives à la télé. Beaucoup se souviennent encore de La Bête dans un cycle Skandal sur Arte, au mitan des nineties. Un Borowczyk cul-culte présent dans ce coffret et qui, naguère, avait provoqué l’ire du Télé Poche familial, stipulant mot pour mot dans sa notule – et on n’invente rien : « Le cinéaste pervers n’hésite pas à filmer crûment des scènes de zoophilie. Abject ! À fuir ! ». De quoi nous inciter à faire une nuit blanche et à refiler le lendemain la VHS aux copains, sous le manteau, sur le mode : « Dis donc, t’as vu ce machin étrange hier soir à la télé ? ». Les mots manquaient alors pour qualifier cette alliance unique, dans le cinéma fantastique franco-français, d’ennui bourgeois et de démesure phallique, d’élégance désuète et de pornographie Z. En vrai, tout dépend de la manière dont on découvre le cinéma surréaliste de Borowczyk : seul devant son écran, le spectateur est marabouté par l’étrangeté inédite des cadrages, l’insistance à filmer telle ou telle partie d’un corps, l’anxiété de ne pas savoir où tout cela nous mène, la possible irruption du scandale dans un univers organisé. En groupe, on explose de rire. Ou on peut tourner de l’oeil et c’est le bad trip. Ce qui est sûr, c’est que ce cinéma-là, élégant et bouffon, érudit et blasphématoire, demeure encore à ce jour inclassable, dégueulant de stupre, de sang, de sacré, de profane, d’horreur, d’épiphanie. Et, par bonheur, ce très beau coffret reflète la densité, la bizarrerie et la rareté de cette filmographie soutenue à de nombreuses reprises par Anatole Dauman, le téméraire producteur de L’Empire des sens.
Passionné par l’alchimie, Boro était capable de passer d’un film d’animation pour adultes (Théâtre de Monsieur & Madame Kabal en 1967) à une réflexion arty sur l’oppression (Goto, l’île d’amour en 1968) en passant par une fable moyenâgeuse aux allures d’enluminure sous Munch (Blanche en 1971). Jugez plutôt Docteur Jekyll et les femmes en 1981, version trouble du roman de Robert Louis Stevenson transmué en huis clos sadien et se rapprochant, selon les exégètes, de la première version brûlée par l’épouse de l’écrivain, « choquée par le pouvoir érotique ».
Bien sûr, le must see du coffret reste Contes immoraux, film à sketches au climat onirique renvoyant aux Mille et une nuits de Pasolini, mélangeant les époques et les sexualités selon le principe du « soyons fous, montrons tout ». Comme, par exemple, cette sublime comtesse (Paloma Picasso), descendante de la Báthory séquestrant de jeunes paysannes vestales pour en faire son rutilant festin sanguinaire. Just Jaeckin et la mélancolie d’amour chantant le corps d’Emmanuelle pouvaient aller se rhabiller (ironiquement, Boro signera Emmanuelle 5 en 1987). D’autant que Fabrice Luchini conserve un formidable souvenir du premier segment de Contes immoraux où le comédien, alors garçon coiffeur, explique le phénomène des marées montantes à une tendre cousine prodiguant une fellation. C’est beau comme du Rohmer cul, et en même temps triste comme la fin des vacances.
Au dernier moment, Borowczyk a coupé de ces Contes… un segment initialement intitulé La Véritable histoire de la bête du Gévaudan dans lequel une femme était poursuivie par une créature monstrueuse pourvue d’un sexe gigantesque, et l’a fusionné avec une autre histoire (un marquis, pour sauver sa fortune, décide de marier son fils un peu débile à la fille d’un riche Américain) pour sortir l’année suivante cette fameuse Bête dont on sous-estime, entre deux hallucinations, la part satirique moquant l’aristocratie héréditaire comme l’Église.
De la métaphysique à la physique, il n’y a qu’un pas chez Borowczyk. Chez lui, les genres partouzent (l’érotisme des Contes immoraux, l’horreur du Docteur Jekyll…) et les personnages, très seuls avec leurs fantasmes interdits, cherchent désespérément à les assouvir, par tous les moyens, et n’obtiennent pas forcément la reconnaissance qu’ils espéraient. Cette part de mélancolie se retrouve dans tous ses films, y compris dans ceux qui ne figurent pas dans ce coffret comme La Marge, où les sex-symboles Sylvia Kristel et Joe Dallesandro roucoulent beaux et nus dans des draps immaculés en écoutant I’m Not In Love de 10CC, ou encore Intérieur d’un couvent, un nunsploitation pas piqué des hannetons avec l’incroyable Ligia Branice (femme de Boro à la ville).
Pour résumer, quoi de plus libérateur qu’un cinéma proposant de traduire cette quête de soi par les sens, de balancer nos certitudes aux orties et de transgresser bien des tabous ? D’autant qu’on le dit peu, mais on rit beaucoup en regardant les films de Borowczyk, comme on rit aux premières fois chez Catherine Breillat (Charlotte Alexandra, très nue et très excitée en sainte séquestrée dans Contes immoraux, s’épuisait de désir et d’amour dans Une vraie jeune fille) ou aux collages surréalistes d’un Jan Svankmajer. Revoir ces films fait un bien fou à une heure de standardisation et de pusillanimité. On a presque perdu l’habitude de ce cinéma récusant toute culpabilité moralisante, tentant d’apprivoiser le mystère du monde par la transcendance. Si bien qu’au fond, la seule chose qui puisse effrayer dans sa découverte, c’est notre absence d’ouverture, notre réaction étriquée face à de sublimes images venues d’ailleurs. C’est pour cette raison que Borowczyk n’a jamais été reconnu à sa juste valeur de son vivant. Alors célébrons-le. Une bonne fois pour toutes.
R.LV.
HISTOIRES FANTASTIQUES
DE STEVEN SPIELBERG, JOE DANTE, ROBERT Z [...]
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