DVD/Blu-ray/VOD N°301
DEMAIN, LA NOUVELLE CHAIR ?
Cela faisait des décennies que le cinéma et les romans de science-fiction l’anticipaient, et la réalité virtuelle a officiellement envahi les salons domestiques, ouvrant un nouveau monde de créations, de sensations et de comportements dont on ne saurait encore évaluer la portée.
Depuis le 13 octobre 2016, la réalité virtuelle n’est plus une chimère. Bien sûr, des options expérimentales existaient déjà auparavant, mais l’Oculus Rift, le HTC Vive et le Samsung Gear se heurtaient tous à un défaut spécifique : coût déraisonnable, niche pour PCistes ou capacités techniques limitées. Le PlayStation VR peut donc être considéré comme le véritable fer-de-lance de la VR (pour Virtual Reality) grand public, celui par qui ladite technologie sera jugée dans les hautes sphères boursières. Car au-delà du potentiel inouï pour le spectateur (recherchez sur YouTube le reportage de The Foundry sur Mad God VR de Phil Tippett, et vous comprendrez !), la réalité virtuelle est avant tout un rêve pour toute entité capitaliste. À l’instar de la Matrice chère aux Wachowski, les actionnaires et annonceurs imaginent déjà des manières de conditionner l’esprit de leurs consommateurs, comme l’illustrait récemment une photographie montrant Mark Zuckerberg longer des rangées de journalistes aveuglés par un casque Oculus. Pour gouverner tout ce petit monde 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, les éditeurs et studios devront toutefois attendre encore un peu ; en l’état, il est physiquement impossible de supporter n’importe quel casque plus de trois heures, et même officiellement déconseillé de se risquer à des sessions VR dépassant la demi-heure ! Si les yeux sont crédules, le corps, lui, se défend. L’oreille interne ne cesse ainsi de contredire l’expérience par de légers vertiges, comme pour rappeler que l’on n’est pas vraiment en train de faire ce que l’on voit. Reste à savoir comment le corps s’adaptera à cette technologie moderne : après tout, notre rétine avait évolué en direct durant les premières projections en High Frame Rate du Hobbit de Peter Jackson, l’impression de diffusion accélérée se normalisant au bout de seulement deux bobines. Selon David Cronenberg, les besoins de l’esprit conditionnent les métamorphoses du corps, et il n’est pas interdit de penser que l’expérience psychique de la VR enclenchera bientôt une remise en question de notre organisme collectif.
Aussi révolutionnaires soient-elles (Eve Valkyrie est par exemple un fantasme devenu réalité pour tout amateur de space opera), les expériences VR proposées pour l’accessoire de Sony ne sont donc pas, dans l’immédiat, sans effets secondaires. Il suffit de retirer le casque après seulement trente minutes d’errance virtuelle pour se retrouver déphasé et groggy, contraint de se réajuster par rapport à une réalité qui semble décalée… voire inversée. C’est un peu comme si le cerveau du spectateur avait subi un flux d’informations anesthésiant, à l’instar du personnage de James Woods dans Vidéodrome (photo qui illustre cet article), trouvant de l’autre côté du miroir sa précieuse Nouvelle Chair. Avant d’en arriver là, on vous conseille vivement une expérience assez folle : visionner le Blu-ray de Vidéodrome depuis l’intérieur du PlayStation VR. Non content de proposer la technologie la plus démocratique du marché, Sony a en effet inséré dans le programme une option « cinématique » époustouflante. Coiffé du casque, on peut ainsi se retrouver dans une salle de cinéma virtuelle, assis au premier rang face à un écran pouvant atteindre six mètres de diagonale. Cette alternative soulève des questions insondables quant à l’avenir même de la vidéo et du home cinéma, le PSVR étant capable de diffuser des Blu-ray 2D en 1080p avec un piqué exceptionnel, et sans la moindre nausée (la stéréoscopie n’est pas encore disponible, mais une mise à jour prochaine pourrait l’autoriser). Le spectateur se retrouve dès lors confronté à un choix : utiliser l’accessoire en solo, ou lui préférer un visionnage sur téléviseur plus propice au partage et à la sociabilité. Pour autant, on imagine déjà certains couples se lancer dans des routines dystopiques, avec le mari au casque et l’épouse face au téléviseur, ou inversement (rappelons que le boîtier de connexion HDMI affiche constamment à l’écran le contenu visuel diffusé dans le PSVR). Pire : lorsqu’il sera possible de brancher deux accessoires à la PS4 (mais est-ce réellement impossible, d’ailleurs ?), la petite lucarne pourrait disparaître purement et simplement, et laisser place à une expérience connectée tout droit sortie de la fameuse scène de sexe de Demolition Man. Admettons-le, on a connu visions plus excitantes…
A.P.
THE NEON DEMON DE NICOLAS WINDING REFN
Zone B. Wild Side.
« Outrancier, coloré, vulgaire et drôle » : c’est ainsi que Nicolas Winding Refn a voulu The Neon Demon – on croirait entendre Paul Verhoeven parler de Showgirls –, et la réussite est éclatante. Tellement éclatante que sa singularité aura valu au film de dérouter une bonne partie de son public. Comme à son habitude, le cinéaste danois propose une oeuvre qui se nourrit d’influences pour créer son propre style, de Looker aux Prédateurs en passant par Suspiria, La Féline version Paul Schrader, Michael Mann, Jean Rollin et on en passe. Il en résulte une sorte de « cinéma du futur vintage », un conte de fées pour adultes qui se double d’une réflexion intime puisque le parcours de l’héroïne dans le milieu de la mode renvoie à celui du réalisateur dans son art : NWR définit lui-même The Neon Demon comme un film sur le narcissisme – et donc sur son narcissisme, puisque comme tout grand auteur, ses créations ne parlent que de lui-même. Mais qu’on apprécie ou pas le bonhomme, difficile de ne pas lui concéder un jusqu’au-boutisme quasi suicidaire dans son désir viscéral de créer un ressenti physique par l’image et le son, quitte à ne s’appuyer que sur un semblant d’intrigue. D’une précision formelle hallucinante, The Neon Demon s’apparente à une séance d’hypnose qui envoûte non seulement par la beauté minérale de ses images, mais aussi par une musique qui les baigne dans une écume synthétique miroitante. Sublime et barré, fantasmatique et transgressif, précieux et fragile comme du cristal, le long-métrage se dévore comme un fruit défendu avec une jouissance de tous les instants. Attentif aux regards et à la gestuelle de sa matière brute, à savoir ses actrices, Refn donne les clefs de son film dès les premières minutes en chorégraphiant une conversation entre filles dans les toilettes comme s’il s’agissait d’un sabbat de sorcières autour de la proie qu’elles s’apprêtent à sacrifier. L’espace d’un instant, il s’échappe en filmant une voiture de sport lancée à plein régime sur une route en bord de falaise, procurant une sensation de vitesse qui enfonce n’importe quel Fast and Furious, puis orchestre le ballet d’une jeune fille sous un ciel étoilé dans une atmosphère de rêve romantique… Tout, dans The Neon Demon, est affaire de suspension et d’accélération, volonté servie par un montage d’une précision diabolique où la musique remplit une véritable fonction narrative. « On ne peut pas aimer The Neon Demon si on n’est pas jeune dans sa tête » affirme Refn, et c’est sans doute la raison pour laquelle les rares ados qui l’ont vu y ont été bien plus sensibles que leurs aînés. On parle donc ici d’une oeuvre en prise directe avec son &ea [...]
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