DVD/Blu-ray/VOD N°299

L’AUTRE DE ROBERT MULLIGAN 
Zone B. Wild Side. 

Loin d’être aussi connu que Rosemary’s Baby, L’Exorciste ou La Malédiction, l’unique film fantastique réalisé par le trop ignoré Robert Mulligan est pourtant un sommet du cinéma américain des années 70 tous genres confondus.
Étrange et passionnante carrière que celle de Robert Mulligan, qui se distingue d’abord à travers des dramatiques télévisées tournées pour CBS dans les années 50 avant de passer au grand écran avec Prisonnier de la peur (1957). Produit par Alan J. Pakula, qui n’est pas encore devenu le maître du thriller politique parano, le film est très emblématique du style de Mulligan puisqu’il appartient à un genre typiquement américain (le biopic sportif) dont le héros, un joueur de base-ball atteint de troubles mentaux joué par Anthony Perkins, n’arrive pas à s’intégrer à la société. Une thématique chère au metteur en scène, qui lui vaudra bien plus tard d’être sérieusement pressenti pour réaliser Taxi Driver. Il faut pourtant attendre 1962 pour que le cinéaste revienne au drame, après avoir signé des comédies destinées à mettre en valeur les stars de l’époque comme Tony Curtis, Rock Hudson ou Steve McQueen (ainsi que le film d’aventure exotique L’Homme de Bornéo). De nouveau épaulé par Pakula, il livre avec Du silence et des ombres un chef-d’oeuvre humaniste dont le succès lui permet d’enchaîner plusieurs autres projets avec son producteur d’élection. Mais c’est en s’en affranchissant qu’il triomphe avec Un été 42 (1971), portrait d’un adolescent qui s’éprend de la femme d’un soldat parti à la guerre.
On l’aura compris, rien ne prédisposait Robert Mulligan à oeuvrer dans le fantastique. Sorti en 1972, L’Autre n’appartient d’ailleurs pas tout à fait au genre, mais plus à celui du thriller psychologique. Sa poésie mortifère en fait pourtant un authentique film d’épouvante qu’on situera volontiers quelque part entre Psychose et La Malédiction. Trop en dire sur ce que partage L’Autre avec ces deux classiques serait trahir sa puissance d’évocation : on se contentera donc de préciser qu’il raconte une histoire se passant dans l’Amérique rurale du début des années 30, où deux frères jumeaux d’une dizaine d’années se retrouvent impliqués dans une série de morts suspectes, le récit adoptant la plupart du temps le point de vue du plus sage des garçons. Dans une atmosphère de romantisme « southern gothic » modelée par la photographie splendide de Robert Surtees (le chef-op’ de Quo Vadis, Ben-Hur et Les Révoltés du Bounty, excusez du peu) et la partition musicale à la fois solaire et angoissante de Jerry Goldsmith (la Fox s’en souviendra en le choisissant pour La Malédiction), Mulligan orchestre une suffocante plongée dans l’horreur qui use de symboles et de codes inhérents au fantastique pour nourrir sa singularité. Ainsi, c’est sur une fourche que vient s’empaler la première d’une longue série de victimes et l’un des frères fait d’un corbeau son animal-totem le temps d’une séquence de vol au lyrisme vertigineux où il voit le monde à travers les yeux du charognard, avant de se retrouver plus tard piégé parmi les « freaks » d’une fête foraine. On n’oubliera pas non plus le personnage de la grand-mère, décrite comme une sorte de bonne fée que sa capacité à aimer rend aveugle au Mal, celui d’une mère évanescente à moitié folle enfermée dans sa chambre, la place capitale occupée dans le récit par la possession d’une bague « maudite » et celle de l’héraldique familiale, représentée par un oiseau de proie. Autant d’éléments éloquents qui, loin d’être plaqués de manière frontale, s’intègrent par touches successives à une narration fluide qui se resserre peu à peu et procure une sensation d’urgence, puis de panique, dont la raison profonde nous est fournie par la grâce d’un mouvement d’appareil dont l’élégance contraste violemment avec la sécheresse du découpage global du film et avec la terrible vérité qu’il dévoile au spectateur. Adapté de son propre roman par Tom Tryon, ex-acteur devenu écrivain spécialisé dans l’horreur (on lui doit La Fête du maïs et Noire magie) et lui aussi très attaché aux marginaux (il choisit d’assumer son homosexualité après un mariage raté et signa le scénario de Fedora), L’Autre est sans nul doute l’un des films les plus tristes et les plus perturbants des années 70, mais aussi l’un des plus beaux, préfigurant à bien des égards la bouleversante mélancolie pastorale d’Un été en Louisiane, le film-testament du trop méconnu et sous-estimé Mulligan. C’est un hommage amplement mérité que lui rend cette magnifique édition proposant une restauration visuelle à tomber par terre, complétée par un entretien croisé passionné entre Pascal Laugier et notre rédacteur en chef, et un essai de 60 pages riche d’enseignements rédigé par Frédéric Albert-Levy, ancien journaliste de Starfix dont la plume n’a rien perdu de sa verve érudite.

C.D. 


LA FEMME INVISIBLE + L’AGENT INVISIBLE CONTRE LA GESTAPO + LE RETOUR DE L’HOMME INVISIBLE + LA VENGEANCE DE L’HOMME INVISIBLE + DEUX NIGAUDS CONTRE L’HOMME INVISIBLE 
Zone B et Zone 2. Éléphant Films. 

Inédites en DVD, les quatre suites du grand classique L’Homme invisible, ainsi que leur nigaude parodie, s’invitent dans les bacs hexagonaux.
Ouvrons le bal avec La Femme invisible qui, produit en 1939, tape dans la pure screwball comedy chère à Howard Hawks et Leo McCarey. Un mannequin s’y porte volontaire au test d’invisibilité proposé via les petites annonces par un scientifique fêlé. Une stratégie pour se venger des brimades de son odieux patron… Il ne s’agit là que de l’une des facettes de cette histoire où interviennent aussi des gangsters mexicains et un riche séducteur, et que A. Edward Sutherland, réalisateur de plusieurs Laurel & Hardy [...]

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