DVD/Blu-ray/VOD N°293

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Cinéaste à tout prix
COFFRET ED WOOD
Zone All. Bach Films.

Celui qu’on a méchamment baptisé « le pire réalisateur de tous les temps » revient dans un coffret 6 DVD réunissant des titres déjà sortis chez d’autres éditeurs, mais aussi des inédits et des suppléments permettant d’éclairer une oeuvre hors-norme. 

L’équipe Bach a effectivement mis les petits plats dans les grands en faisant appel au spécialiste Stéphane Bourgoin pour distiller de précieusesinfosbiographiques, et surtout en produisant un doc’ où des réalisateurs très différents (Ben Wheatley, Yann Gonzalez, Hideo Nakata, Marc Caro, etc.) donnent leur avis sur Edward D. Wood, Jr. et finissent par raconter un cheminement similaire. Après un premier moment de ricanement devant des bandes ultra fauchées, tous ont été conquis par l’obstination du bonhomme à faire du cinéma à tout prix. Cela n’a jamais été aussi foudroyant que dans son premier long-métrage, Glen or Glenda (1953), docufiction transgenre mêlant un fameux cas de changement de sexe à d’autres séquences où Wood joue son propre rôle d’hétéro aimant s’habiller en femme. À contre-pied de tant de péloches d’exploitation qui traitaient des sujets brûlants de manière sordide et culpabilisatrice, notre auteur se singularise ainsi par un ton compassionnel qu’on retrouvera dans ses films sur la délinquance juvénile, comme Jail Bait (1954) et l’inédit The Violent Years (1956) consacré à un redoutable gang de filles. Mais Glen or Glenda est avant tout un ahurissant tohu-bohu qui recèle à l’état brut toutes les composantes du style Wood, poussées à leur paroxysme lors d’un moment de délire absolu où le personnage qu’il incarne est mort de peur à l’idée d’avouer son travestisme à sa fiancée : mépris absolu des raccords lumière (on navigue sans cesse et sans transition du jour à la nuit), voix off grandiloquente, emploi immodéré des plans d’archives, utilisation sans vergogne de la déchéance de l’ex-star Bela Lugosi…

Ce sont ces éléments – fétichisme des pulls angora et relation trouble avec le premier interprète de Dracula – qui seront fantasmés par le biopic de Tim Burton, centré sur les tournages de Bride of the Monster (1955), où l’acteur hongrois est réduit à se battre avec une pieuvre en caoutchouc dans un coin de piscine, et Plan 9 from Outer Space (1958), où il fait une apparition post-mortem via de vieux bouts d’essai reliés tant bien que mal à des plans sur une doublure cachant obstinément son visage… Ces deux films, les plus célèbres d’Ed Wood, ne se distinguent pourtant pas autant qu’on l’a dit du tout-venant de la série Z de l’époque. En particulier, ils en reprennent une des principales tares : les séquences de remplissage montrant la police palabrer et piétiner dans son enquête. C’est pourquoi, objectivement, le meilleur long-métrage du cinéaste est sans doute plutôt Night of the Ghouls (1959), dont le sujet est justement l’incompétence de flics benêts, placés devant une intrigue loufoque voyant de faux médiums escroquer les gogos en peuplant une vieille baraque de faux fantômes, lesquels sont bientôt dérangés par de vrais spectres. Cette excellente farce macabre marquera cependant le chant du cygne de notre auteur, qui fera d’ailleurs une drôle de confession intime avec l’inédit The Sinister Urge (1960). Dans cette histoire de tueur psychopathe misogyne sur fond de trafic de pornos clandestins, un personnage se désole d’être obligé de tourner des pellicules cochonnes après avoir été un metteur en scène hollywoodien. Eh bien, c’est exactement ce qui va arriver à Wood, qui avait déjà l’habitude d’écrire des scripts dirigés par d’autres, tel celui de La Fiancée de la jungle/The Bride and the Beast d’Adrian Weiss, également dispo parmi les doubles programmes SF sortis ces jours-ci par Bach et basé sur un postulat absolument impensable pour 1958 : une jeune mariée se sent attirée par un superbe gorille, à mesure qu’elle se souvient d’avoir été guenon dans une vie antérieure !

La décennie 1960 verra en effet Wood se recycler comme scénariste et assistant-réalisateur dans l’industrie du film sexy, notamment auprès du stakhanoviste A.C. Stephens, alias Stephen C. Apostolof. Le coffret offre un exemple de leurs collaborations avec le croquignolet Orgy of the Dead (1965), où l’errance d’un couple d’accidentés de la route dans un cimetière hanté par des revenants lubriques est le prétexte à une enfilade de strip-teases dans des couleurs rutilantes. Le pauvre Ed retournera cependant à la mise en scène à l’avènement du cinéma X, avant de mourir dans la misère en 1978. Les « complétistes » pourront ainsi jeter un oeil à son Take It Out in Trade (1970), ou plutôt à ce qu’il en reste : bien qu’il ait été finalisé et distribué, ce titre a complètement disparu, et on n’en a retrouvé pour l’instant que 70 minutes de rushes muets. Moins anecdotiques sont peut-être certaines brèves raretés incluses sur la galette de suppléments, comme un entretien avec Lugosi au sortir de sa cure de désintoxication, des publicités cachées derrière un film de famille tourné chez les Wood, et surtout des courts-métrages TV parfois conçus comme des pilotes de séries avortées. L’un d’eux, The Sun is Setting (1951), condense un mélo d’enfer en quelques douze minutes pleines de larmes, tandis que The Final Curtain (1957) est un vrai morceau d’atmosphère minimaliste (l’acteur d’une pièce sur les vampires déambule seul dans un théâtre désert, livré à des ombres et des bruits effrayants) dont une partie sera réutilisée dans Night of the Ghouls. Bref, il y a toujours des découvertes insoupçonnées à faire, et on peut donc compter sur de prochaines éditions vidéo, grâce à l’obstination de fans américains qui, comme d’autres recherchent des films disparus de Murnau, continuent sans relâche de déterrer les reliques de l’oeuvre en miettes d’un Ed Wood au parcours décidément passionnant. 

Gilles ESPOSITO


Doublé fauché
THE ABOMINATION + OZONE
Zone All. Crocofilms.

Redécouvrez ces deux classiques du gore à micro-budget, dont les auteurs s’en sont donné à coeur joie avec des abats putrides récupérés à l’abattoir du coin.

Oh, les vieux souvenirs de vidéoclub ! Certains se souviendront en effet avoir loué ces deux cassettes il y a une trentaine d’années, en pensant y trouver des films d’horreur « normaux ». Et avoir un peu déchanté en tombant sur des bandes ultra gore, certes, mais pâtissant d’un côté irrémédiablement fauché jusqu’alors inconnu de ce côté-ci de l’Atlantique. La doublette ayant été réunie dans un même boîtier par l’éditeur Crocofilms, on s’aperçoit aujourd’hui qu’elle a été tournée en 1986 dans des conditions quasi amateurs, par la même équipe gravitant autour de Matt Devlen et Max Raven/Bret McCormick, deux débutants qui vont longtemps persévérer dans la série Z, le premier comme producteur et le second plutôt comme réalisateur. Et surtout, on est un peu plus attentif à des histoires qui font surgir la tripaille à partir de gentilles satires des travers de la société américaine. Ozone, dirigé par Devlen, s’intéresse ainsi à une écologiste enragée qui, collée par un fils à papa qui la drague, part enquêter sur une raffinerie pétrolière appartenant au père du gars. Ils découvrent ainsi un cas effroyable de pollution qui affecte l’atmosphère terrestre, et du même coup, transforme les bouseux du coin en infectés pas commodes…

Le sous-titre (Attack of the Redneck Mutants) dit donc à peu près tout de cette péloche quand même assez ennuyeuse. The Abomination, signé de Raven, mérite en revanche d’être revu, ne serait-ce que pour son postulat délirant : un jeune homme vit avec une vieille mère tellement absorbée par les prêches télévisés d’un pasteur évangéliste qu’elle finit par vomir une entité pestilentielle, celle-ci prenant ensuite possession du fiston pour le forcer à la nourrir en tuant un tas de gens. D’où une ambiance triste et souffreteuse soulignée par des plans de coupe sur les paysages désespérément plats du Texas, et qui culmine dans un final dément où le démon a semé ses avatars sanguinolents dans les placards, le sèche-linge, la cuisinière, etc. Bref, c’est comme si ce décor familier – et, partant, l’idée même de cocon familial – n’était plus qu’une frêle façade derrière laquelle la bête immonde s’est insinuée partout. À noter qu’un bref bonus biographique nous apprend que ces deux films ont été salués en leur temps par l’inventeur du gore lui-même, le grand Herschell Gordon Lewis. Évidemment, ça a bien dû lui rappeler quelque chose ! 

Gilles ESPOSITO





Burying the Ex
DE JOE DANTE
Zone 2. Factoris Films

Difficile de nier la précarité budgétaire de Burying the Ex et ses conditions de production invraisemblables (cf. interview). Baignant dans une lumière crue et dépourvue de style, la séquence d’ouverture laisse même craindre un spectacle quelque peu déshonorant de la part de l’auteur des géniaux Hurlements, Gremlins, Panic sur Florida Beach et Les Looney Tunes passent à l’action. Son manque de moyens, le cinéaste l’embrasse pourtant rapidement. Vieux briscard, Dante utilise tous les trucs imaginables pour faire vivre son cadre, optant pour un format 2.35 très clair et élégant qu’il remplit de détails faussement anodins (accessoires, jouets, affiches, livres, journaux, télévisions diffusant des films cultes au kilomètre, etc.). Il faut voir ainsi avec quelle hargne le cinéaste s’efforce d’exploiter au maximum ses rares décors. Théâtre de l’essentiel de l’action, l’appartement du héros se voit photographié sous tous les angles, lesquels se feront obliques une fois toutes les autres options passées à la moulinette du réalisateur. Le production design suit la même démarche : victime en cours de route d’un relooking soulignant l’incompatibilité du héros et de sa petite amie bientôt décédée, l’appartement entrera en phase de décomposition une fois cette dernière revenue à la vie. Devant densifier un script amusant mais un peu convenu signé Alan Trezza, Dante pimente ses situations autant qu’il le peut, en convoquant un comique de situation que n’aurait pas renié Blake Edwards. S’il n’est pas avare en détails morbides (entre ses renvois de liquide d’embaumement, une fausse peau déliquescente et des lentilles de contact opaques, la pauvre Ashley Greene aura donné de sa personne), Burying the Ex repose donc avant tout sur un timing comique à l’ancienne, toutefois délivré par un sang neuf étonnamment investi. Autour de l’excellente Greene, Anton Yelchin (Star Trek), Alexandra Daddario (Percy Jackson) et Oliver Cooper (Project X) délivrent une performance chorale humaine et crédible, que l’on sent guidée, voire protégée [...]

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