DVD/Blu-ray/VOD N°291

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Body Double
DE BRIAN DE PALMA
Zone B. Carlotta. 

« Vous n’en croirez pas vos yeux » disait l’affiche de BODY DOUBLE en 1985. Et pour cause : Brian De Palma signait alors un thriller érotique hitchcockien que seul BASIC INSTINCT parviendra à surpasser. Carlotta rend pleine justice à ce film féroce et sensuel avec une superbe édition. 

Découvrir Body Double lors de sa sortie dans les salles françaises en février 1985, c’était quelque chose. Quelques mois seulement après celle de Vidéodrome de David Cronenberg, qu’on peut à bien des égards considérer comme son film jumeau, le thriller de Brian De Palma traumatisa toute une génération de cinéphiles par la seule force d’une scène de strip-tease et de masturbation exécutée au son du chant de sirène de la musique de Pino Donaggio. En dehors de l’intense émoi sexuel qu’elle procura chez nombre de spectateurs qui n’eurent alors aucun mal à s’identifier et à épouser le point de vue de Jake Scully, le voyeur interprété par Craig Wasson, la séquence cristallise parfaitement tout ce que représente le film, à savoir la reprise des thématiques et des figures de style hitchcockiennes chères à De Palma héritées de Fenêtre sur cour (le voyeurisme), Sueurs froides (le thème du double, le vertige qui devient ici claustrophobie) et L’Inconnu du Nord-Express (la manipulation), mais aussi la volonté de faire le film que Sir Alfred aurait adoré tourner s’il n’avait pas été bridé par la censure du code Hays. Par la force des choses, en matière de sexe, tout était chez Hitch affaire de suggestion, l’obsession frustrée du réalisateur pour les femmes le conduisant à multiplier les symboles et les sous-entendus. Chez De Palma, et ce depuis la fameuse scène de douche de Pulsions, le sexe est étalé comme dans un porno soft. Le porno, voilà justement ce qui pousse le cinéaste à recruter dans un premier temps une actrice de films X pour jouer le rôle de Holly Body. Son choix se porte sur Annette Haven, qui possède à la fois un corps de déesse et un vrai talent de comédienne. Problème : lorsqu’elle se livre au fameux effeuillage et se masturbe, elle est tellement rodée à l’exercice qu’elle ne dégage plus aucune séduction. En d’autres termes, elle ne fait pas bander De Palma. Exit Annette, enter Melanie Griffith, dont le charme et la spontanéité déclenchent immédiatement l’effet attendu chez le réalisateur. L’anecdote est importante car elle est en quelque sorte prophétique. Si le culte du corps parfait et l’explosion des VHS pornographiques sont caractéristiques de l’époque où le film a été tourné, on était alors loin de la situation actuelle, où Internet a fait du porno un étal de boucherie et où la culture du X a modifié en profondeur le comportement sexuel d’une jeunesse qui reproduit ce qu’elle voit sur YouPorn. Le Net a répandu le voyeurisme et fait de la société un gigantesque terrain de masturbation compulsive, la séduction a donc bel et bien cédé la place à la mécanique. Aux yeux de ceux qui le découvrent aujourd’hui, Body Double pourra donc paraître bien inoffensif malgré son érotisme délicieusement vulgaire et son meurtre gore à la perceuse digne de figurer dans Ténèbres de Dario Argento. Son héros n’a pourtant rien de très lisse, puisqu’après avoir espionné sa voisine Gloria, il décide de la suivre, l’observe alors qu’elle se déshabille dans une cabine d’essayage et n’hésite pas à mettre dans sa poche la petite culotte qu’elle a négligemment laissée choir dans une poubelle (peu après, la jeune femme lui tombe dans les bras alors qu’elle est en train d’attendre son amant, ce qui laisse supposer que la belle est quand même un tantinet nympho et que son mari a toutes les raisons de lui en vouloir). Bref, il a beau être gentil comme tout, Jake reste un voyeur qui se console d’avoir été fait cocu (par Barbara Crampton tous seins dehors) en agissant comme un parfait obsédé sexuel (on imagine sans peine ce qu’il compte faire de la culotte une fois rentré chez lui). Trente ans ont passé, mais faire d’un type pareil le héros d’un thriller reste encore aujourd’hui très audacieux. La passion de Jake pour Gloria n’a en effet rien de romantique : tout ce qu’il veut, c’est la sauter !

HOLLYWOODLAND
Enfin visible dans une copie joliment restaurée en 4K, Body Double a longtemps été considéré à tort comme une oeuvre mineure dans la carrière de Brian De Palma. L’équilibre fragile maintenu par le réalisateur entre suspense et comédie noire y est pourtant exemplaire, tout comme il le sera sept ans plus tard dans l’imparfait, mais très sous-estimé L’Esprit de Caïn (dans lequel on trouvera de nouveau une parenté avec Ténèbres). L’un des aspects les plus réjouissants du film réside en outre dans le portrait qu’il croque du milieu des acteurs hollywoodiens au chômage, obligés de jouer dans des séries Z et de suivre des cours de théâtre éprouvants : à ce titre, on notera que le professeur d’art dramatique est interprété par l’une des vedettes masculines de la série Santa Barbara et que c’est Deborah Shelton, la brune incendiaire de Dallas, qui interprète Gloria : leur présence est idéale dans un film où le style opératique de De Palma transcende des cadres et une lumière très inspirés par la télévision des années 80. En termes de bonus, cette édition reprend les excellentes featurettes de Laurent Bouzereau figurant sur le DVD et le Blu-ray sortis aux USA, mais ignorent la piste musicale isolée de ce dernier au profit d’un long entretien avec le premier assistant-réalisateur Joe Napolitano, qui parle beaucoup du choix des lieux de tournage à Los Angeles, De Palma adaptant son script en fonction des décors et pas l’inverse. Le sujet est développé dans le livre de 200 pages signé Susan Dworkin qui accompagne l’édition collector du Blu-ray. Pas question ici d’analyses universitaires comme on aime tant en publier en France. L’ouvrage, érudit et rédigé dans un style percutant qui rend la lecture aussi agréable que celle d’un bon thriller, raconte la création de Body Double de la genèse du projet jusqu’à la sortie du film, avec tout ce que cela implique d’anecdotes de tournage habilement replacées dans le contexte de l’époque. On y apprend notamment que le personnage de Holly Body avait dans un premier temps été envisagé comme une complice du bad guy : le film aurait-il été encore plus réussi ? La question reste posée, mais on ne peut s’empêcher de se dire que la comédie noire serait alors devenue un authentique film noir.

Cédric DELELÉE

 
 


Sorcerer
DE WILLIAM FRIEDKIN
Zone B. La Rabbia/Wild Side.

Sorti depuis près d’un an aux États-Unis, le chef-d’oeuvre définitif de William Friedkin débarque en Blu-ray chez nous, dans une édition enfin digne de son importance. 

Ça y est : Il est derrière nous, le temps où ce légendaire Convoi de la peur s’échangeait sous le manteau entre cinéphiles avertis, dans des copies pan & scannées et marquées par les affres du temps. Laissé à l’abandon pendant des décennies, Universal, Paramount et CIC se renvoyant la balle quant aux droits de l’oeuvre, Sorcerer aura été sauvé des eaux par Friedkin lui-même, bien décidé à ressusciter un film massacré en son temps par la critique, et noyé par le triomphe soudain de La Guerre des étoiles. Alors qu’une nouvelle ère s’ouvrait suite aux Dents de la mer et à Star Wars, le réalisateur de French Connection et L’Exorciste signait ainsi le dernier grand film emblématique des seventies américaines. Épopée au carrefour de l’anthropologie et du mythe, Sorcerer n’a rien perdu de sa puissance d’évocation près de quarante ans après sa sortie. La beauté hypnotique du film, de ses silences, de sa poésie morbide, de son atmosphère comparable à nulle autre (les séquences dans le village sont à ce titre fascinantes), se voit même décuplée, tout comme la « physicalité » de ses morceaux de bravoure. Longue de près d’un quart d’heure, la séquence du pont s’impose plus que jamais comme un aboutissement cinématographique inouï, plus éreintant encore que les monstrueuses courses-poursuites de French Connection et Police fédérale, Los Angeles. Entièrement restauré sous la supervision de l’auteur, le master permet d’apprécier via une fidélité inédite au matériau d’origine des prises de vue immersives et quasi suicidaires, qui inspireront sans doute John McTiernan pour Une journée en enfer et Le 13ème guerrier.
Miraculé, Sorcerer était donc ressorti outre-Atlantique dans une édition assez paresseuse, ne proposant en guise de suppléments qu’un livret tiré de l’autobiographie de Friedkin. La Rabbia corrige cet affront, d’une part en accompagnant l’édition de textes inédits et de photos rares, d’autre part en consacrant un disque entier à l’interactivité. Si l’analyse critique de Philippe Rouyer vise juste, notamment à propos d’un destin incontrôlable auquel se frottent tous les personnages, c’est bien la discussion entre Friedkin et Nicolas Winding Refn qui domine. Le réalisateur de Drive, successeur autoproclamé de son interlocuteur, pousse Friedkin dans ses derniers retranchements durant 75 minutes, répétant ses questions tant qu’une réponse pleine et sincère ne s’est pas fait entendre. Faussement naïf, Refn doit souvent composer avec l’humeur de feu et l’humour abrasif de son interlocuteur, mais finit par libérer totalement son discours, au point de livrer l’une des plus belles interviews jamais enregistrées sur Sorcerer… ou sur la personnalité créative de William Friedkin.

Alexandre PONCET



 


Hit the road Jack !
COFFRET « MAD BIKERS » : LES MACHINES DU DIABLE + L’ÉCHAPPÉE SAUVAGE
Zone All. Crocofilms.

Un cinéaste sous-estimé, et un grand baraqué que tout le monde connaît, mais dont personne ne se souvient du nom : voici ce qu’offrent deux films de motards atypiques, réunis dans un double DVD.

Avec le temps, on commence à reconnaître le talent singulier de Jack Starrett, pilier tout-terrain de la série B des années 70. L’ancien acteur de second plan avait pratiquement débuté dans la réalisation avec ces deux films de motards tournés en 1969-70 et mettant en vedette William Smith, éternelle trogne du cinéma d’action fauché qui fut quand même le père de Conan le barbare et l’adversaire [...]

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Commentaire(s) (2)
StitchGore
le 13/12/2015 à 12:16

Sur l'édition de "Body double", il y a le chiffre 01 sur la tranche. Est-ce que Carlotta va sortir d'autres éditions film/livre? En tout cas, comme Wild side, c'est une excellente initiative!

clint69
le 21/01/2016 à 16:49

le n°02 sera L'ANNÉE DU DRAGON de Michael CIMINO actuellement en précommande sur le site de CARLOTTA

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