DVD/Blu-ray/VOD N°284
Nolan : passé, présent, futur
MEMENTO + INTERSTELLAR
Zone B. UGC Vidéo et Warner.
Loin d’être un hasard, la sortie simultanée en Blu-ray français de MEMENTO et INTERSTELLAR souligne la cohérence de l’oeuvre de Christopher Nolan, que l’on soit sensible ou non à son style.
Fasciné par l’aspect malléable de la temporalité cinématographique, au point de rejeter l’idée même d’une structure linéaire, Nolan ne pouvait que se prendre de passion pour les paradoxes temporels d’Interstellar. Rencontre fantasmée entre un auteur et son sujet, le film devait à l’origine porter la signature de Steven Spielberg, comme oublie hélas de le préciser un making of de près de trois heures. Repensé par Chris Nolan, le projet sera ainsi passé d’une épopée spatiale aux accents de serial à un drame intimiste ponctué d’images incroyablement abstraites, notamment lors d’un dernier acte visualisant l’enchevêtrement de l’espace, du temps et de la gravité. Un documentaire de 50 minutes s’attarde d’ailleurs sur les données théoriques du projet et ses bases scientifiques réelles, notamment via des propos de Kip Thorne. Une belle leçon d’astrophysique, éclairant de façon très pédagogique les morceaux de bravoure les plus complexes du long-métrage. Dommage que ce foisonnement de concepts scientifiques parfois sacrément audacieux (la manière dont Chris et Jonathan Nolan adaptent la théorie de la relativité d’Einstein à leur récit est sans précédent dans le genre SF) se retrouve parasité par un scénario manipulateur et mélodramatique, dont les grands axes émotionnels semblent déplacés. Prenant tantôt trop de hauteur vis-à-vis de son sujet (les témoignages de personnes âgées qui rythment le premier acte et entament dangereusement le suspense), tantôt pas assez (l’épilogue, ramenant l’histoire à une love story très artificielle), Interstellar est peut-être trop conscient de son importance pour se focaliser sur l’essentiel. Abordant le cinéma spatial avec pour ambition assumée de livrer le nouveau 2001, l’odyssée de l’espace, Nolan n’affiche jamais la simplicité, la viscéralité et la portée sensorielle d’un Gravity. Mais la beauté du production design, des effets visuels et de la photographie compense largement cette posture, comme en témoigne une interactivité très généreuse. Plaidoyer pour une forme cinématographique palpable et texturée, le making of s’attarde, comme il se doit, sur l’impressionnant tournage en Islande, les gigantesques miniatures, les intérieurs des vaisseaux spatiaux pensés dans les moindres détails et entièrement fonctionnels, une simulation par harnais et câbles des scènes en apesanteur, la construction du Tesseract en dur à partir de modélisations infographiques assez folles… S’il donne le tournis, le spectacle des coulisses se pare néanmoins d’une atmosphère de film indépendant, les acteurs étant amenés à interagir au plus près avec Nolan et son directeur de la photographie Hoyte Van Hoytema. Il faut d’ailleurs voir ce dernier brandir sur ses larges épaules une très lourde caméra Imax pour capturer en ultra haute définition un moment d’intimité dans les coursives de la station spatiale. Cette approche radicale a dû surprendre Christopher Nolan lui-même, lui qui avouait dans le second disque de Memento douter que ce type de matériel puisse un jour s’adapter aux exigences d’un drame en huis clos. Animée par Guillermo del Toro, la séance de questions/réponses qui accompagne Memento ne cesse ironiquement d’annoncer les enjeux créatifs d’Interstellar, qu’il s’agisse de son rapport au temps ou de l’affection que Nolan porte au Trou noir de Disney, maintes fois cité par la presse lors de la sortie du film. Aussi enthousiaste que drôle (« Comment ça, on n’a pas le temps de prendre des questions ? Rien à foutre, on continue ! »), del Toro propose une lecture très pertinente du second film de Nolan, néo-film noir toujours aussi prodigieux aujourd’hui, et cligne de l’oeil à sa première édition DVD qui proposait de revisiter à sa guise la structure du récit. Une interview datant de 2001 ainsi qu’un making of semble-t-il copié d’une vieille VHS permettent de revenir aux sources du cinéma de Nolan, avant que la trilogie Dark Knight ne le propulse au sommet de la chaîne hollywoodienne.
Alexandre PONCET
Parodisiaque !
L’ESPION QUI VENAIT DU SURGELÉ + LE GRAND DÉFI
Zone 2. Artus.
Les Italiens tournaient parfois leurs propres filons bis en dérision, et même l’auteur de LA BAIE SANGLANTE s’est prêté au jeu.
C’est sûr, L’Espion qui venait du surgelé (1966) n’est pas le meilleur opus du grand Mario Bava, et encore moins le plus représentatif. Mais on doit saluer le travail exemplaire du double DVD édité par Artus, qui réunit les deux montages du film, dont le toujours pointilleux Éric Peretti décrit les importantes différences en bonus. Cette coproduction hybride a en effet été traitée très diversement selon les pays, chacun ayant mis en avant les stars locales. La version américaine (Dr. Goldfoot and the Girl Bombs) fait ainsi la part belle à un Vincent Price incarnant avec son onctuosité habituelle un savant fou, inventeur de femmes-robots équipées d’une charge explosive – un rôle qu’il avait déjà rôdé dans le Dr. Goldfoot and the Bikini Machine réalisé l’année précédente par Norman Taurog. Ici, il envoie ses pin-ups incendiaires pulvériser des généraux de l’OTAN réunis en congrès à Rome, selon un plan qu’essaye de contrecarrer l’agent joué par le playboy chantant Fabian. Plus long mais privé de certaines lignes narratives (l’enlèvement d’une toute jeune Laura Antonelli), le montage italien (Le Spie vengono dal semifreddo) laisse en revanche la bride sur le cou au tandem comique Franco & Ciccio, qui était un simple faire-valoir de l’autre côté de l’Atlantique. On doit cependant reconnaître que leurs pitreries s’accordent peut-être mieux à une parodie de James Bond que Bava a essayé de tirer vers le burlesque exubérant, notamment en utilisant des passages en accéléré comme il le refera dans Roy Colt et Winchester Jack, un western comique pré-Trinita. D’ailleurs, Le Spie vengono dal semifreddo est sans doute le film du cinéaste qui a engrangé la plus grosse recette en Italie (325 millions de lires de l’époque), battant même son génial Danger : Diabolik. Il faut dire que Franco & Ciccio cartonnaient régulièrement avec des bandes tournées à la chaîne et où ils ont dû pasticher à peu près tous les genres existants. Le cas du Grand défi (1964) est un peu différent. Cette parodie de péplum a finalement peu à voir avec ces pochades où les amuseurs latins squattaient un temps les décors antiques de Cinecittà. Additionnant les musculeux (le titre original se traduirait par « Hercule, Samson, Maciste et Ursus, les invincibles »), le film de Giorgio Capitani s’emploie plutôt à satiriser le genre de l’intérieur, en moquant ses rouages : narcissisme des culturistes gominés, intrigues de palais, oracles providentiels, etc. Du coup, le résultat est à la fois très tonique et très drôle, alors que la démarche était pourtant assez périlleuse.
Gilles ESPOSITO
Night Call
de Dan Gilroy
Zone B. Orange Studio.
Véritable bête de festivals, NIGHT CALL a rencontré un joli succès d’estime à l’international, quadruplant son maigre investissement de huit millions de dollars. Rapidement proclamé film culte instantané, le long-métrage doit aujourd’hui passer le test déterminant de la seconde vision en Blu-ray.
S’il est une réussite que l’on ne saurait remettre ici en cause, c’est bien la performance hypnotique de Jake Gyllenhaal, renversant dans son rôle de capitaliste sociopathe prêt à tout pour embrasser le rêve américain. Rejeton d’une crise tant financière qu’identitaire, devenant le symbole de l’agressivité et de la cruauté d’un marché de l’emploi clairement surpeuplé, Lou Bloom s’impose comme une version dégénérée du yuppie des eighties, préférant à la cocaïne et aux prostituées un sensationnalisme riche en adrénaline. Déjà ahurissant dans Prisoners et Enemy, l’acteur caresse la moindre syllabe, la moindre virgule de son texte, délivrant un argumentaire d’autopromotion perpétuelle dont le racolage et l’opiniâtreté finissent par être ensorcelants. Cinglant car dénué du moindre jugement perceptible (on se prend régulièrement à craindre pour Lou, comme on compatissait à l’égard du Norman Bates de Psychose), le portrait qu&rsquo [...]
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