DVD/Blu-ray/VOD N°283

Godzilla
D'Ishiro Honda
Zone B. HK Vidéo/Metropolitan.

BOOM ! Après les États-Unis, l’Angleterre – BOOM ! –, L’Espagne, l’Italie et l’Allemagne – BOOM ! –, le plus célèbre des kaiju débarque enfin dans l’Hexagone par l’intermédiaire du disque bleu. BOOM ! L’attente fut longue et l’édition de ce GODZILLA version 1954 (donc premier du nom) ne manquera d’ailleurs pas de diviser fans hardcore du bestiau, collectionneurs compulsifs et cinéphiles. BOOM !

Est-il encore possible aujourd’hui d’écrire quelque chose de sensé sur Godzilla ? Est-il toujours possible de tirer de nouvelles perspectives sur le film séminal d’Ishirô Honda ? Assurément non ! À l’heure actuelle, deux clics de souris suffisent à reconstituer la genèse et le parcours d’un des plus grands monstres contemporains du cinéma. Sur chaque DVD ou Blu-ray, sur chaque fenêtre Internet qui s’ouvre, c’est une pluie d’anecdotes distillées par des spécialistes de la spécialité qui viennent éclairer la vie et l’œuvre du gros Godzi. Du poids du costume porté par l’acteur Haruo Nakajima jusqu’à l’estimation de la taille réelle du monstre en passant, bien sûr, par la liste exhaustive des 29 suites et remakes qui ont jalonné soixante ans de carrière, tout, tout, tout, vous saurez tout sur Godzilla. Soixante années durant lesquelles le mythique animal est passé du rang de terreur atomique à celui d’icône mondiale giga-champion de l’écologie et, accessoirement, à celui de monstre qui fait rire décliné bien sûr en produits dérivés de toutes sortes. Car quoi qu’on en dise et malgré un certain plaisir pris devant quelques épisodes de ses délirantes aventures, The Big G a participé bien malgré lui à la dérive des continents et des idéaux, engendrant des avatars volontairement infantilisants. Ainsi, en refusant tout discours adulte, Gareth Edwards posait en 2014 avec son reboot de Godzilla une cerise empoisonnée sur le gâteau d’anniversaire. Erreur ! Car à chaque fiesta d’anniv’, l’ancêtre revient toujours jouer les trublions à la réunion de famille un rien condescendante. Si papy ressasse les mêmes histoires c’est n’est que pour mieux nous rappeler l’essentiel d’un morceau d’Histoire du cinéma bâti sur un traumatisme.
Après tout, peut-être que la meilleure façon d’évoquer cette première apparition de la créature est d’énoncer des évidences – des banalités diront certains –, qui au fil des ans se sont dissoutes dans une bouillie analytique où il est parfois difficile de retrouver son japonais. La première, et pas la moindre, de ces lapalissades est pourtant celle qu’il faut à chaque fois assener avec le plus de force. Godzilla 1954 est un film de monstre sérieux, sombre, adulte et surtout cathartique. BOOM ! Moins de dix ans après les bombardements atomiques d’Hiroshima et Nagasaki qui firent 250 000 morts, Godzilla sonnait comme une triste et désenchantée commémoration, mais aussi comme un avertissement de taille face aux dangers de l’atome et autres dérives scientifiques. BOOM ! Dans ce dernier, Godzilla le monstre n’est l’ami de personne, ni des enfants, ni des vieux, ni des femmes et encore moins des gentils écologistes. Il est juste le fils de l’atome, une force brutale et destructrice qui rase des villes entières et piétine leurs habitants sans distinction de race et de classe sociale. BOOM ! Son géniteur, le producteur Tomoyuki Tanaka, l’a conçu comme tel, allant jusqu’à modifier l’apparence de sa bestiole, à la base un monstre marin, afin qu’elle puisse menacer physiquement les populations terrestres. Le résultat est une intense allégorie des ravages de la bombe, parfaitement maîtrisée par la mise en scène à la fois sèche et lyrique d’Ishirô Honda, bien épaulé par le superviseur des effets spéciaux Eiji Tsuburaya. Car là aussi, il faut rappeler le caractère expérimental de l’entreprise. En refusant d’utiliser la technique d’animation image par image magnifiée par Willis O’Brien sur King Kong et en plongeant un acteur dans un costume de caoutchouc, Tsuburaya et son équipe inventent à même le plateau. C’est ainsi qu’ils conçoivent des merveilles en matière de visions apocalyptiques. BOOM ! Ces mêmes visions seront édulcorées et asservies par les Américains d’American International Pictures, qui décident en 1956 de distribuer le film aux États-Unis. Pour l’occasion, le monteur Terry Morse est embauché pour tourner de nouvelles scènes avec l’acteur Raymond Burr commentant les exactions de Godzilla depuis sa chambre d’hôtel. Les personnages principaux du film original sont relégués au second plan. BOOM !
À quelques broutilles près, c’est cette version qui sera distribuée en France, d’abord en salle puis en VHS, et qui fera office de mètre-étalon durant des décennies. Une hérésie certes, mais peut-être le plus grand manque au niveau des additions de cette édition. Outre le fait qu’il ne pourra comparer le point de vue de deux nations, le spectateur n’aura guère la permission de juger le malentendu sur lequel s’est bâtie la réputation du saurien atomique. Car cet insensé tripatouillage propulse un chef-d’œuvre radicalement pessimiste vers les sommets du kitsch. BOOM ! Un chef-d’œuvre qui connut dans sa version d’origine un phénoménal succès sur le territoire japonais, engrangeant pas loin de dix millions d’entrées. Presque autant que le primordial Les Sept samouraïs d’Akira Kurosawa, sorti à peine six mois plus tôt et produit par le même studio. En cette année 1954, la prestigieuse Toho affichait carton plein. Un an plus tard, la compagnie remettra le couvert avec Le Retour de Godzilla de Motoyoshi Oda qui, disponible ici en bonus, constitue une très agréable seconde partie de programme tout en éclairant les tournants thématiques et esthétiques opérés par la future franchise. S’il reste belliqueux envers le genre humain, Godzilla, ou plutôt son successeur, devra désormais en découdre avec le vindicatif Anguirus. Un dino pas sympa qui sera très vite supplanté par une galerie d’ennemis tous plus pittoresques les uns que les autres. Au final, malgré sa légèreté qui ne manquera pas de heurter les amateurs d’interminables suppléments grassouillets et son master HD qui n’apportera aucune amélioration par rapport à ses prédécesseurs, cette galette HK Vidéo s’impose comme l’un des musts de ce début d’année. BOOM ! Papy revient. C’est son anniversaire et, croyez-moi, il n’est pas content ! BOOM ! BOOM ! BOOM !

Prof. THIBAUT



Gone Girl
de David Fincher
Zone B. FPE.

L’un des meilleurs films de 2014 revient dans une édition Blu-ray étrangement anémique, seulement accompagnée d’un commentaire audio. On crierait au scandale si ladite piste isolée, menée par un David Fincher en grande forme, n’enterrait pas la majorité des making of actuels.
Oubliez l’interactivité torrentielle de Fight Club ou Zodiac. L’absence de tout supplément filmé du présent disque semble annoncer la sortie prochaine d’une édition collector de Gone Girl, comme cela avait été le cas pour le mal aimé Panic Room, au début des années 2000. Le chef-d’œuvre de Fincher méritait clairement mieux que cette édition simple, la subtilité étourdissante de sa mise en scène témoignant d’un souci du détail quasi sans précédent. Mais au-delà de sa maîtrise absolue de l’outil cinéma, le film révèle surtout un traitement thématique dont la folle agressivité a de quoi subjuguer dans la grisaille hollywoodienne actuelle. Subversif jusque dans ses plans les plus anodins (voir le somptueux générique d’ouverture), Gone Girl plonge avec délectation dans une société occidentale basée sur le mensonge et la manipulation, où règnent en maîtres médias adeptes du voyeurisme et réseaux sociaux tentaculaires. Filmant la lente agonie d’une réalité dont tout le monde se moque, sacrifiée sur l’autel d’un fantasme collectif qui sera chassé d’un revers de manche par le prochain grand fait divers, Fincher développe ici des notions introduites dans Social Network, et les soumet à une intrigue perverse que n’aurait pas reniée le Paul Verhoeven de Basic Instinct. L’opposition entre objectivité et subjectivité devient vite la clef de voûte de la narration, en particulier lors de flashes-back ridiculisant les principes fondamentaux de la comédie romantique à l’américaine. Bien sûr, Fincher ne manquera pas de souligner ses enjeux thématiques tout au long de son épique commentaire audio. Ironisant d’entrée sur la ringardise du logo de Regency, le cinéaste apparaît toutefois comme un artiste pragmatique et très humain, excité comme un gosse face aux essais d’une actrice sortie de nulle part, et souvent frustré par les limitations que lui imposent certaines technologies datant de l’ère shakespearienne. On apprend ainsi que la perruque de Rosamund Pike fut retouchée numériquement dans tous ses plans ; un trucage invisible parmi les centaines que compte le long-métrage. Étonnante aussi est la manière dont Fincher a modifié une scène de sexe du film pour que le public féminin s’attache immédiatement au personnage de Ben Affleck, ou comment il a dû gérer en amont la campagne marketing d’un projet aussi riche en rebondissements. « Il faut parvenir à donner envie aux spectateurs de se déplacer sans trop en révéler. Quand on décide de montrer des images de la seconde partie du film, on l’a dans le cul ! » s’amuse le cinéaste. Qu’il se rassure : il s’en est sorti indemne.

Alexandre PONCET

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