DVD/Blu-ray/VOD N°281
Si tu tends l’oreille + Princesse Mononoké + Le Voyage de Chihiro + Le Vent se lève
Zone B. Walt Disney Home Video.
En l’espace de quelques mois, Walt Disney Home Video ressort en Blu-ray les quatre films qui ont scellé malgré eux le destin du studio Ghibli. Tous ne sont pas signés Hayao Miyazaki, et là réside justement le noeud du problème.
En 1993, le réalisateur de Kiki la petite sorcière et son producteur Toshio Suzuki décident de rompre avec la tradition bicéphale de Ghibli, reposant depuis ses débuts sur seulement deux réalisateurs. Pour mettre en images son dernier scénario, adapté du manga Mimi Ho Sumaseba de Aoi Hiiragi, Miyazaki promeut Yoshifumi Kondô, 43 ans, oeuvrant comme animateur clé et character designer au sein de la maison depuis Le Tombeau des lucioles. À la sortie de Si tu tends l’oreille en 1995, Miyazaki en est persuadé : il a trouvé son héritier, celui qui pourra prendre les rênes artistiques du studio lorsque Isao Takahata et lui partiront se dorer la pilule au soleil. Si tu tends l’oreille visant des publics enfants et adolescents, Miyazaki peut enfin se lancer sans retenue dans un projet foncièrement adulte. L’incroyable épopée Princesse Mononoké, dont l’animation est supervisée en partie par Kondô, est annoncée comme le dernier film du maître. Le baisser de rideau se déroule a priori dans des conditions idéales, le film surpassant au Japon les recettes de Titanic. Six mois plus tard toutefois, l’heure n’est plus à la fête. En janvier 1998, Yoshifumi Kondô décède dans un tragique accident ; son mentor désemparé doit remonter en selle. En 1999, Miyazaki se lance dans la production du Voyage de Chihiro, qu’il scénarise directement sous forme de story-boards. La narration visuelle reflétant directement les états d’âme de l’auteur, le film finit par adopter (involontairement ?) la forme d’une petite annonce. Décrivant le fonctionnement frénétique d’une maison de bain symbolisant Ghibli, où des centaines d’employés anonymes devront cravacher sans relâche pour espérer pouvoir un jour se faire un nom, Le Voyage de Chihiro ramène logiquement Miyazaki vers un univers enfantin et merveilleux, comme si le cinéaste se résignait à réinvestir le rôle qu’il avait abandonné à Kondô. Il assume toutefois ses fonctions sans le moindre cynisme, fonçant tête baissée dans un imaginaire totalement débridé, gagnant constamment en richesse et en densité grâce à un art de la mise en scène et un souci du détail restés inégalés.
Suite au Voyage de Chihiro, Miyazaki testera de nombreux poulains. Mais ni Hiroyuki Morita (Le Royaume des chats), ni Hiromasa Yonebayashi (Arrietty : le petit monde des chapardeurs), ni même son propre fils Goro (Les Contes de Terremer) ne parviendront à contenter ses mirifiques exigences. Ses vrais adieux, le cinéaste les fera donc avec Le Vent se lève, fresque mélancolique dont le héros, un artiste visionnaire dans son domaine de compétence, refuse de trop se pencher sur l’héritage de son oeuvre. Si les copies haute définition des quatre films sont un régal de tous les instants, révélant chaque coup de pinceau comme jamais auparavant, on peut dès lors sincèrement regretter l’absence de tout supplément sur le disque du Vent se lève et du Voyage de Chihiro, hormis bien sûr les habituels story-boards juxtaposés aux films grâce au picture-in-picture. Quel dommage aussi que la galette de Si tu tends l’oreille doive se satisfaire d’une courte bobine mettant en exergue les superbes décors peints ; un hommage à Kondô aurait été le bienvenu. Seul Princesse Mononoké, finalement, ose sortir des chemins balisés en restaurant un documentaire de 1999 suivant Miyazaki lors de sa tournée américaine. Tourné en HD et 16/9, une surprise pour l’époque, ce journal de bord permet de connaître un peu mieux le réalisateur. « Nous nous influençons tous les uns les autres » note-t-il. « La créativité est une véritable course de relais : petits, quelqu’un nous a transmis le témoin, et nous ne le transmettons pas tel quel, nous l’améliorons avant de le faire passer à la génération suivante. Voilà notre travail. ». La génération suivante, s’il peine à la dénicher dans son propre studio, Miyazaki la rencontre dans les locaux mêmes de Disney, lors d’une visite exceptionnelle organisée par les pontes de la major. Face au réalisateur nippon, les animateurs américains fondent d’admiration, mais ne parviennent jamais à détourner leur invité de son analyse méticuleuse des méthodes locales, par exemple l’axe d’inclinaison choisi pour les tables d’animation. « On est tous de la même race » poursuit le cinéaste. « Je m’intéresse à la manière dont chacun travaille dans le monde entier. Et je perçois les gens immédiatement ! Untel est dans l’impasse, untel est bon ou mauvais, untel est en forme… C’est exactement pareil dans nos ateliers. »
Outre la possibilité d’entendre le maître s’exprimer sur les excès horrifiques de Princesse Mononoké (« La violence n’est pas le thème du film. Les enfants savent parfaitement que le monde est violent. La violence fait partie des attributs de l’être humain. Le problème crucial est de savoir la contrôler. »), le documentaire comble enfin quelques interrogations quant aux années séparant Le Château de Cagliostro et Nausicaä de la vallée du vent. Retournant sur les lieux des événements, Miyazaki se remémore une période sombre de sa carrière, un long development hell américano-japonais qui le forcera à s’installer (et à se soûler quotidiennement) dans un petit hôtel de Los Angeles. « Une expérience cauchemardesque » de l’aveu même de l’auteur, mais une expérience formatrice sans doute, qui pèsera de tout son poids sur la création de Ghibli et poussera Miyazaki à affirmer jusqu’au bout son indépendance… Quitte à fermer sans scrupules, après 30 années de bons et loyaux services, les portes du studio.
Alexandre PONCET
Les Gardiens de la galaxie
de James Gunn
Zone B. Walt Disney Home Video.
À l’heure où nous écrivons ces lignes, le film de James Gunn est encore le plus gros succès de 2014 aux US. Une victoire pour Marvel, qui tente ici pour la première fois de sortir de sa zone de confort.
Adaptation de l’un des comics les plus underground de la Maison des Idées, qui plus est exempt de véritables super-héros, Les Gardiens de la galaxie est à la fois une confirmation et une promesse pour le Marvel Cinematic Universe. Confirmation, d’une part, de la toute puissance commerciale de la firme, dont le brillant business plan est parvenu à créer une fidélisation sans précédents dans l’histoire du divertissement hollywoodien. Promesse, d’autre part, d’un avenir relativement favorable aux prises de risques, tant que des personnalités aussi trempées qu’Edgar Wright n’entendent pas remettre en cause le fonctionnement du studio (cf. l’affaire Ant-Man). Gunn se sera montré plus rusé que son confrère anglais avec Les Gardiens de la galaxie, suivant les directives du gourou Kevin Feige tout en tirant profit, d’un point de vue stylistique, de ses figures imposées. Ensevelie sous une couche de subversion, de joyeuse vulgarité et de cool attitude non feintes, la narration des Gardiens de la galaxie peine certes à engendrer un vrai sentiment de danger, mais l’écriture survitaminée de Gunn lui confère une énergie, voire une urgence assez remarquable. Témoignant de la verve de l’auteur de Horribilis et Super, les scènes de dialogues rivalisent d’ailleurs en termes d’impact avec les nombreux morceaux de bravoure, les personnages principaux bénéficiant d’un bel effort de caractérisation et d’interactions franchement stimulantes. S’il entre dans le moule hollywoodien dès que l’action prend de l’ampleur, exploitant au mieux les nouveaux outils mis à sa disposition (animatiques, images de synthèse dernier cri, décors de SF à l’échelle disproportionnée, costumes, maquillages et animatroniques par milliers), Gunn assume enfin avec générosité son projet de space opera, dont la palette de couleurs retrouve toute sa puissance en Blu-ray 3D. Faisant cohabiter un produit adroitement marketé et une oeuvre irrésistiblement facétieuse, ce blockbuster à part aurait néanmoins mérité une interactivité un peu plus ambitieuse que ce qui nous est proposé ici. Comme à son habitude, Marvel préserve ses éléments les plus précieux en vue d’une future réédition, et ne livre à ses fans qu’une poignée de featurettes très superficielles (à peine 30 minutes en tout et pour tout), quatr [...]
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