DVD/Blu-ray/VOD N°277

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Refais-le moi encore
Ne nous jugez pas + We are what we are

Zone 2 et zone B. Wild Side.

Si l’avant-dernier film de Jim Mickle ne convainc qu’à moitié, sa sortie est à saluer car elle permet enfin celle de l’excellent long-métrage mexicain dont il est le remake. 

Quand nous l’avons interrogé au Festival de Cannes, le réalisateur Jorge Michel Grau décrivait ainsi la genèse de son coup d’essai : « Dans mon école de cinéma, il y avait un concours pour tourner un long-métrage. Un auteur de théâtre ayant refusé de me laisser adapter sa pièce, je devais donc travailler un scénario en deux semaines afin de postuler. Je me suis alors souvenu d’une petite histoire que j’avais écrite quand j’étais plus jeune, où une famille survivait à la fin du monde en mangeant des gens. Je l’ai replacée à l’époque actuelle et à Mexico, en prenant le cannibalisme comme métaphore de la loi du plus fort qui règne dans cette ville, une des plus violentes au monde. Après la mort du père, qui fournissait non seulement la viande mais aussi le rituel, la famille se retrouve donc sans protection et sans tous les morceaux du puzzle. Et l’idée était d’explorer les relations de personnages qui voudraient avoir un autre type de vie, mais sont esclaves de circonstances les poussant à perpétuer des traditions dont ils ne connaissent même plus le sens. ». De fait, Ne nous jugez pas (Somos lo que hay) crée la surprise à la Quinzaine des Réalisateurs 2010 (hé oui, il aura fallu attendre tout ce temps pour une sortie française) en plongeant soudain le festivalier endormi dans le chaudron bouillant d’un psychodrame tumultueux. La situation décrite par Grau accouche en effet de rapports chaotiques et changeants entre quatre protagonistes excessifs : mère acariâtre, aîné inquiet, cadet bagarreur, petite soeur qui s’impose comme une sorte de mini-Lady Macbeth manipulatrice… Et la tension accumulée explose lors d’accès de violence brusques et désordonnés, tel le moment – à la fois comique et glaçant – où faute de s’être concertés, les membres du quatuor ramènent à la maison deux victimes différentes.
 
Une réussite devant beaucoup à une préparation assez originale. « J’ai effectué des recherches sur les différentes dynamiques existant à l’intérieur de familles marquées par des problèmes mentaux, comme la schizophrénie, les phobies, l’inceste, etc. » se souvient le cinéaste. « Cela m’a donné l’idée de sortes d’exercices émotionnels. J’ai envoyé les acteurs dans des morgues ou des abattoirs, afin qu’ils familiarisent avec le travail des corps, puis je les ai isolés, sans téléphone portable ni Internet, pendant deux ou trois jours à l’issue desquels je les ai emmenés directement sur le plateau. En outre, mes recherches sur les troubles mentaux m’ont fait découvrir une constante chez les malades, qui perdent la notion du temps et cherchent donc à la retrouver. C’est pourquoi j’ai fait du père un horloger : le tictac lui rappelle sa fin prochaine, et au montage, il me permettait aussi de souligner que les personnages doivent se presser pour exécuter le rituel à l’heure dite. Enfin, le père meurt d’une maladie qui a été constatée chez les peuples anthropophages d’Amazonie ou de Papouasie-Nouvelle-Guinée, et qui est causée par un prion. C’est un petit indice destiné aux amoureux du sous-genre « cannibale », et qui a été beaucoup plus développé dans le remake. Je trouve que ce dernier fonctionne très bien, car comme le dit Jim Mickle, c’est une ré-imagination de l’histoire, et pas seulement parce qu’il a transformé les deux frères en deux soeurs. Dans mon histoire, ils sont ennemis, d’où une vision très pessimiste de la famille, tandis que chez Jim, les deux soeurs sont solidaires entre elles. Car les circonstances sont différentes : je montre les protagonistes comme des prédateurs menacés par la ville, qui est un personnage à part entière. Dans le remake, tout se passe vraiment à l’intérieur de la cellule familiale, qui tient davantage d’un fanatisme religieux ayant sûrement à voir avec l’histoire du protestantisme aux États-Unis. »

C’est bien vendu, mais We are what we are (ce qui était aussi le titre international de Ne nous jugez pas) n’en récoltera pas moins un accueil mitigé quand il sera présenté à son tour à la Quinzaine 2013. Il faut dire que la volonté de dévoiler les origines du rituel fait un peu pschitt, tout comme les éléments de suspense. Malgré la prestation de Michael Red State Parks en médecin accablé par la disparition de sa fille, l’enquête parallèle (qui servait dans l’original à épingler la corruption endémique du Mexique) nous fait retomber dans les poncifs du thriller, alors que le film semblait viser un équilibre entre horreur et auteurisme indé – dans le genre, Mickle fera beaucoup mieux avec Juillet sanglant (Cold in July), qui sortira dans nos salles en décembre prochain. Reste l’intéressante expérience de voir le même sujet extrême traité avec une atmosphère beaucoup plus douce et mélancolique, fruit d’un étonnant mélange d’influences. « Nous voulions faire se rencontrer David Lynch et l’horreur japonaise » lance l’Américain. « Celle-ci se retrouve dans des cadrages très symétriques, comme celui sur le dos de la mère regardant la pluie tomber. Mais le plus frappant pour moi, c’est la confiance témoignée par les cinéastes japonais dans le fait de pouvoir causer de l’angoisse juste par la patience, la subtilité et le design sonore. Il y a aussi le réalisateur finlandais Antti-Jussi Annila, dont le film Sauna parvenait à distiller une sensation lugubre sans montrer de danger concret. Nous nous sommes beaucoup inspirés de ses éclairages et de ses costumes, pour la manière dont ils exprimaient un passé intemporel sans paraître trop empesés ou formels. Antti va d’ailleurs mettre en scène une préquelle, car nous avons pensé qu’il pourrait livrer une vision personnelle de cette histoire après nous. » Jorge Michel Grau prévoyant lui aussi une suite, qui devrait commencer à la minute même où l’original s’achevait, on n’en a pas fini avec l’univers troublant des We are what we are.

Gilles Esposito

 

 

Un ! Dos ! Tres !
Le Bossu de la morgue + La Mariée sanglante + Les Vampires du Dr Dracula
Zone 2. Artus Films

Trilogie gothico-ibérique pour l’inauguration d’une nouvelle collection chez les exigeants messieurs d’Artus films.

Malgré L'horrible docteur Orloff de Jess Franco, l’épouvante espagnole n’a entamé son âge d’or qu’à la fin des sixties, grâce au succès des Vampires du Dr Dracula (La Marca del Hombre-lobo, 1967) cofinancé par des Allemands plus convaincus de son potentiel commercial. Ambitieux, ils voient grand, réclament l’utilisation de la 3D et un spectaculaire format 70 mm. Paul Naschy remanie le script pour la censure qui ne peut admettre l’existence d’un lycanthrope espagnol. Waldemar Daninsky, à l’aube d’une longue saga, est ainsi d’origine polonaise. Plus que la réalisation fonctionnelle d’Enrique López Eguiluz, la beauté des images enchante cette bande naïve aux dialogues parfois ridicules, mais dotée de belles atmosphères, dans un festival de couleurs vives. Le récit est rocambolesque à souhait : le loup-garou frappé de malédiction tombe sous l’emprise d’un couple de vampires (non pas les Dracula mais les Mikhelov) qui électrise la dernière partie du film avec une bonne dose de stupre. La grande cape noire à doublure rouge est certes classique, mais leurs pratiques échangistes et leur amour du décolleté profond le sont moins.
Toujours à l’écriture, Naschy va plus loin dans le délire, s’offrant un personnage repoussant et quelque peu attardé : celui de Wolfgang Gotho dans Le Bossu de la morgue (Javier Aguirre, 1972), grandiose et pitoyable, claudiquant, l’oeil humide de chagrin, dans les méandres grand-guignolesques d’un mélodrame de la gibbosité proche de l’humour grinçant de Gaston Leroux. Stupide fantôme des catacombes, sans cesse poussé au meurtre, tourmenté par un amour impossible, il est la victime déficiente de la méchanceté des uns et de l’orgueil manipulateur d’un autre (un savant mégalo qui crée un être artificiel se nourrissant de chair humaine). Le film est traversé d’idées démentes, de plans gore répugnants et d’un érotisme trouble. L’amour fou de Gotho frôle la nécrophilie, sa bosse et son immonde laideur (peut-être même son idiotie) excitent la libido d’une pulpeuse doctoresse. Un chef-d’oeuvre de la déviance. Avec La mariée sanglante (Vicente Aranda, 1972), le fantastique est plus précieux, voisin de l’envoutement subtil des Lèvres rouges. Adaptation libre du Carmilla de Le Fanu, cette mariée vampirique n’est peut-être qu’une interprétation psychanalytique des angoisses sexuelles de l’héroïne, jeune épouse en proie à des visions et des cauchemars, et une attaque féroce du machisme marital. Aidé par deux actrices superbes, Aranda surprend par des images surréalistes dont la découverte de Mircalla, nue et enfouie dans le sable d’une plage, avec un masque de plongée, est l’un des moments les plus étranges. Tiercé gagnant donc pour Artus Films, qui offre des copies excellentes et complètes (les trois films furent coupés à leur sortie en France), dans les versions dites déshabillées (oui, vous verrez Rossana Yanni, poitrine nue, é [...]

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