Dossier wu xia pian

Le wu xia pian (littéralement « film de héros martial » en chinois, plus communément traduit par « film de sabre chinois ») ne s’est pas contenté d’honorer l’antique tradition du récit chevaleresque. Son influence a élevé les exigences artistiques et techniques des industries hongkongaise, chinoise et taïwanaise. Toujours aussi précurseur aujourd’hui, le genre se trouve cependant au coeur d’une bataille rhétorique décisive. La sortie en VOD de Shadow (en attendant sa future édition labellisée HK vidéo), le dernier wu xia pian de Zhang Yimou, impose une mise en perspective.

L’approche du wu xia pian par Ang Lee témoignait déjà, il y a plus de 20 ans, de sa faculté visionnaire à fusionner les univers et interroger son medium. Coproduction taïwanaise, chinoise, hongkongaise et américaine, Tigre et dragon opère la synthèse parfaite entre toutes les sensibilités du genre dans une refonte moderne. Le choix de tourner en mandarin, particulièrement douloureux pour Chow Yun-Fat, apporte une fragilité judicieuse à sa relation aux autres. L’exploitation des talents de danseuse de Zhang Ziyi renvoie inévitablement au passif de Cheng Pei-Pei, héroïne de L’Hirondelle d’or de King Hu, logiquement castée dans le rôle de sa mentore. Tout se recoupe, se répond, s’élève au sommet de la forêt de bambous. Habile madeleine de Proust pour les uns, régal visuel insensé pour d’autres, le film remporte un succès international considérable, quatre Oscars, dont celui du meilleur film étranger pour Taïwan.
Ni une ni deux, une énorme production est mise en chantier dans la foulée, sous bannière exclusivement chinoise. Le casting de Hero (2002) regroupe Jet Li, Maggie Cheung, Zhang Ziyi, Tony Leung Chiu-Wai, Donnie Yen. Christopher Doyle à la photo, Ching Siu-Tung à la chorégraphie des combats, des milliers de figurants, et à la réalisation, un choix… curieux. Zhang Yimou était jusqu’alors un cinéaste discret à l’échelle de l’industrie, versé dans un cinéma d’auteur tempéré, particulièrement prisé en festivals internationaux pour sa faculté à raconter son pays par l’anecdotique. L’amertume assumée de sa fresque historique Vivre (1994) vaudra au film une interdiction sur son territoire jusqu’en 2008, l’année où Zhang Yimou mit en scène le spectacle d’ouverture des Jeux Olympiques de Pékin, signe de son asservissement au pouvoir chinois.
C’est peu dire que la forme et le fond de Hero trahissent leur réalisateur. Son maniérisme pictural vieillit bizarrement, égaré entre le romantisme de ses personnages secondaires et le sérieux de son fil rouge scénaristique. Sa sidération visuelle a vécu, n’en reste plus que cette conclusion dure à avaler, sa suspicion de recalibrage de la réalité historique dans la droite lignée des instances officielles. Ce n’est sans doute pas de façon anodine que Zhang Yimou envoie sa muse Gong Li au casse-pipe dans La Cité interdite (2006), son troisième wu xia pian : l’issue funeste de celle qui fut devant sa caméra le visage de toutes les déclassées chinoises, et la débauche spectaculaire qui s’ensuit, résonnent comme un aveu d’impuissance artistique terrible. Cible régulière de scandales au timing déconcertant, Zhang Yimou semble désormais condamné à alterner ces produits d’appel de qualité chinoise contrôlée, et des productions moins ambitieuses et vides de sens, comme A Woman, a Gun and a Noodle Shop (2009), remake costumé et pour le moins étrange du Sang pour sang des frères Coen, ou Sous l’aubépine (2010) et Coming Home (2014), ce diptyque neutre et diaphane sur la Révolution culturelle, à des lieux des regards cinglants de Vivre, Épouses et concubines, Qiu Ju, une femme chinoise, ou de la chaleur de Ju Dou.
Sur la même thématique que Hero et La Cité interdite – le maintien au pouvoir d’un despote pour éviter le chaos - la trilogie Detective Dee de Tsui Hark viendra apporter le contrepoint sournois indispensable, sans témoigner d’un quelconque renoncement ou d’une volonté de noyer le poisson. Sa façon même de s’emparer de la 3D pour jouer des perspectives sur un même événement renvoie aux mutations cruciales du genre dans les années 1970. Si The Blade (1995) démolissait tout sur son passage, la joute larvée entre Dee Renjie et l’Impératrice repose essentiellement sur l’idée de déconstruction des discours, des modes de narration, des motivations mêmes des protagonistes. Après les révolutions que furent en leurs temps Butterfly Murders, Zu, les guerriers de la montagne magique ou The Blade, Tsui Hark vient une nouvelle fois rappeler que l’essence du genre réside justement dans sa perpétuelle remise en question. La preuve en dix films.




LE RETOUR DE L’HIRONDELLE D’OR DE CHANG CHEH. 1968. 
Il faut bien évidemment voir L’Hirondelle d’or de King Hu, ultime collaboration de ce dernier avec la Shaw Brothers avant son départ pour différends artistiques, comme ça se disait déjà à l’époque. Mais il n’est pas interdit de lui préférer cette séquelle dans laquelle Chang Cheh semble hésiter continuellement entre son souhait d’honorer le personnage emblématique de Cheng Pei-Pei, et sa fascination beaucoup plus profonde pour Jimmy Wang Yu, son acteur fétiche, star immortelle de sa fameuse Trilogie du sabreur manchot. Son personnage finit par bouffer le film de l’intérieur, pour mieux régner en maître sur le combat final, qui se termine sur une image iconographique païenne, pleine de sang et de fureur maîtrisée, somptueux présage des joutes picturales de La Rage du tigre. Chang Cheh y affirme son style baroque et, surtout, son apport aux dignes thématiques du genre. Le sang rouge vif, typique de la fin des années 1960, coule enfin à flot. 




LES GRIFFES DE JADE DE HO MENG HUA. 1971. 
Le nom du réalisateur s’est incrusté dans le cortex des bisseux à poils drus grâce &a [...]

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