Terreur sur New York : le cinéma de genre à l'assaut de la Grosse Pomme
Plus que toute autre mégapole américaine, New York est une véritable ville-monde, un agrégat mouvant et insaisissable de multiples cultures et évolutions sociétales dont le cinéma de genre a su se faire le témoin privilégié. Pour bien préparer la délocalisation de la franchise Scream dans les rues de la ville qui ne dort jamais, rien de tel qu’une petite visite guidée dans ses œuvres miroirs les plus emblématiques, en compagnie de New-Yorkais de souche ou de cœur.
Dans la deuxième moitié du roman La Promesse des ténèbres de Maxime Chattam, les personnages descendent à de multiples reprises dans les profondeurs souterraines de la ville de New York à la rencontre des « mole people », les habitants clandestins d’une authentique ville sous la ville – les amateurs de bisseries estampillées eighties peuvent se hasarder à jeter un œil au foutraque C.H.U.D. (acronyme de « Cannibalistic Humanoid. Underground Dwellers ») de Douglas Cheek.
Fidèle à son modus operandi, Chattam a poussé l’investigation aussi loin que possible pour nourrir son récit. « Un fixeur m’a embarqué avec lui. Je ne suis pas descendu aussi loin que mon personnage, mais c’était hallucinant, ne serait-ce que d’avoir rencontré les mole people. » Si l’écrivain ne redoute pas de sonder les abysses de la ville, il trouve tout autant son bonheur et son inspiration à la surface.
« La dernière fois que je suis retourné à New York, c’était à la frontière de Brooklyn et du Queens, dans un tout petit coin perdu qui donnait parfois l’impression d’être au fin fond de l’Amérique rurale. Il y avait un mec avec son cheval, un dépôt de bus où on dit que la mafia planque des corps – je m’en suis servi dans le roman Un(e)secte… New York c’est tout : les espaces verts, les décharges à ciel ouvert, les friches industrielles incroyables. C’est une ville qui se construit et se reconstruit à une vitesse folle ; c’est une multiplicité de villes en une. Rien que dans Manhattan, il y a une disparité hallucinante. »
Harry Belafonte dans Le Monde, la chair et le Diable de Ranald MacDougall.
« Quelques années plus tôt, en allant dans Alphabet City sur l’avenue D, il y avait encore des junkies et des dealers sur le boulevard. On remontait quelques rues et on se retrouvait dans un endroit où le moindre appartement se vendait plusieurs millions de dollars. Il y a des villes comme Paris qui pompent votre énergie et d’autres qui vous portent. New York est l’une des dernières villes américaines de ce genre, elle bouillonne, elle se nourrit des différentes cultures et immigrations qui la composent. Quand on vous donne une bonne adresse, si elle date d‘il y a trois ans, elle est presque certainement obsolète. Certains quartiers résistent encore, comme celui qu’on voit dans Little Odessa de James Gray, mais le New York de French Connection ou American Gangstern’existe plus. »
De fait, peu de villes peuvent se targuer de nourrir autant d’imaginaires à la fois. La simple vision du pont de Brooklyn convoque à elle seule soixante ans d’Histoire du cinéma. Lorsque la caméra de Steven Spielberg fige le mouvement du plan final de Munich (2005) sur une vue des tours jumelles du World Trade Center, le choc de les redécouvrir sur grand écran quatre ans après leur destruction fait office d’épilogue et de complément éloquent au dialogue qui a précédé.
Des films comme Le Monde, la chair et le Diable de Ranald MacDougall (1959) ou Je suis une légende de Francis Lawrence (2007) surmontent l’horreur de leur postulat en fantasmant une New York vidée de ses habitants, comme un parc d’attractions à ciel ouvert.
LES PRINCES DE LA VILLE
Quand il s’agit de désigner la voix la plus représentative de New York, les mêmes noms reviennent invariablement : Martin Scorsese, Spike Lee et Abel Ferrara. Des metteurs en scène profondément liés à la ville, qui en ont arpenté les pavés et filmé les rues tant en configuration commando que dans la légalité et le confort de tournages dans les règles de l’art.
Ils ont de fait installé dans l’imaginaire collectif des images d’Épinal parmi les plus marquantes de la ville. La canicule de Brooklyn dans Do the Right Thing, les rues ravagées de Taxi Driver ou After Hours, la photographie chaude et bleutée de Bojan Bazelli pour China Girl ou King of New York font désormais partie de l’ADN de la cité, avec comme marqueur temporel commun l’excitation de la période.
Melanie Griffith dans New York, 2 heures du matin d'Abel Ferrara.
Entre la fin des années 1970 et celle des années 1980, ces trois cinéastes signent leurs films les plus emblématiques, ceux qui vont définir leur identité artistique et auxquels le public n’aura de cesse de les ramener. Scorsese tombera en désamour de sa ville lors des tournages cauchemardesques d’À tombeau ouvertet Gangs of New York.
Ferrara filmera l’assainissement idéologique de la mégapole (New York, 2 heures du matin) avant d’en faire le théâtre de l’apocalypse (4h44 dernier jour sur Terre) et d’y déployer sa vision pour le moins controversée de la décadence des élites dans un titre à l’ironie cinglante (Welcome to New York), avant de s’exiler en Italie.
Quant à Spike Lee, il signe son film new-yorkais définitif avec La 25e heure (2002, aussi connu sous le titre 24 heures avant la nuit) et son fameux monologue central d’Edward Norton, bouillonnant de colère, de racisme et de ressentiment face caméra. Une mise à jour cinglante du flux de pensée du Travis Bickle de Taxi Driverécrite par David Benioff (le futur cocréateur de Game of Thrones) en pleine gueule de bois post-11-septembre 2001.
Moins spectaculaire que ces trois génies tapageurs, Sidney Lumet a filmé New York pendant plus d’un demi-siècle, de 12 hommes en colère (1957) au non moins fabuleux 7h58 ce samedi-là (2007). Dans les mineurs Les Feux du théâtre (1958) et Une espèce de garce(1959), il épouse le point de vue de ses jeunes personnages féminins et cède à une certaine fascination de carte postale, mais commence déjà à révéler les zones d’ombre derrière les folles promesses.
Le pas tout à fait réussi Vu du pont (1962) s’aventure au-delà du strass et décrit le quotidien de dockers italiens à Brooklyn. Le mélange d’acteurs américains, français et italiens colle a priori parfaitement à l’ambition du projet, mais l’alchimie ne prend pas.
Al Pacino dans Cruising de William Friedkin.
C’est avec le phénoménal Le Prêteur sur gages (1964) que Sidney Lumet trouve le ton juste. Rod Steiger y campe un survivant de la Shoah émigré aux États-Unis où il exerce le métier qui donne son titre au film. Il voit défiler les clients dans le besoin, côtoie la misère avec un détachement émotionnel total, jusqu’à ce que des souvenirs des camps de concentration viennent le hanter de plus en plus régulièrement. Lumet capte un moment clé d’une ville en pleine débâcle industrielle, où les différentes communautés tendent à se replier sur elles-mêmes tout en continuant à coexister.
La caméra s’attarde plus volontiers que dans ses précédentes productions sur [...]
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