DOSSIER : QUAND LES BÊTES SE TAPENT LES BELLES

Les vampires et les loups-garous ne sont pas les seuls monstres capables de séduire des humains. La preuve avec ce généreux bestiaire qui prouve que l’amour entre mortels et créatures de rêve/cauchemar prend les formes les plus transgressives et n’est pas toujours platonique…
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S’il nous faut évacuer d’emblée le genre vampirique pour la simple raison qu’il mériterait un hors-série à lui tout seul et que ses créatures de la nuit sont plus volontiers séduisantes que repoussantes, difficile de passer à côté du sublime Dracula de Francis Ford Coppola (1992), ne serait-ce que pour une seule scène : celle où le comte, sous sa forme la plus bestiale, viole Lucy en la mordant au cou à pleines dents sous le regard effaré de Mina. Ce court instant, qui se déroule en pleine nuit et en pleine tempête au son des psalmodies païennes de la musique de Wojciech Kilar, est un sommet d’érotisme déviant unique dans un film de studio, où les gémissements de la victime résonnent plus comme un orgasme que comme l’expression de la douleur. En faisant de celle appelée à devenir la bien-aimée du vampire le témoin fasciné de ce spectacle contre nature, Coppola redonnait toute sa dimension sexuelle à Dracula, décuplant du même coup l’intensité de sa romance avec Mina tout en osant mettre en images un thème féminin aussi tabou que le fantasme du viol par un monstre.


DU POIL DE LA BÊTE
Il est en revanche permis de s’attarder un poil sur le genre lycanthrope : si le loup-garou ne possède en rien l’aura érotique du vampire en raison d’un aspect bien plus effrayant, cela n’a pas empêché quelques donzelles de s’éprendre de la bête. Dans Le Loup-garou de Londres de John Landis (An American Werewolf in London, 1981), une jeune infirmière jouée par la charmante Jenny Agutter tombe amoureuse de son patient David Kessler (David Naughton), mordu par un loup-garou lors d’une randonnée dans la lande du Yorkshire. Le film a beau être une comédie noire, son décor essentiellement urbain ne joue sur aucun aspect gothique, s’inscrivant au contraire dans la réalité sociale souvent sordide de Londres (les couloirs du métro, le cinéma porno – cf. Séquence(s) page 16) avec une force d’évocation qui renvoie à l’ouverture de Hurlements, dont l’héroïne rencontrait un tueur en série lycanthrope dans une cabine de sex-shop. Véritable figure tragique, David succombera aux balles de la police dans une ruelle sombre, sa protectrice ayant tout juste le temps de lui avouer son amour avant qu’il ne rende son dernier souffle et retrouve forme humaine. Mésestimé, mais passionnant, Wolf (1994) donne l’occasion à Mike Nichols de signer le seul film fantastique d’une carrière plutôt placée sous le signe de la comédie sentimentale (Le Lauréat, Working Girl) en réunissant une partie du casting des Sorcières d’Eastwick (Jack Nicholson, Michelle Pfeiffer et Richard Jenkins, le compositeur John Williams ayant déclaré forfait pour céder sa place à Ennio Morricone). Né du désir de Nicholson de travailler avec son ami l’auteur Jim Harrison (dont le script sera tellement remanié qu’il ne voudra plus jamais mettre les pieds à Hollywood), le projet est singulier dans le sens où le terme « loup-garou » n’y est jamais prononcé. Pourtant, c’est bel et bien en quoi se métamorphose Will Randall, l’éditeur incarné par Nicholson, viré comme un malpropre suite au rachat de sa société pour être remplacé par son jeune protégé Stewart (James Spader) qui, en plus de ça, couche avec sa femme Charlotte (ce dont il se rendra compte en reniflant les vêtements de cette dernière). Will trouve une précieuse alliée en Laura (Michelle Pfeiffer), la fille du nouveau patron, qui ne résiste pas bien longtemps à son charme d’homme mûr velu. Quand Charlotte est retrouvée morte, Will est persuadé de l’avoir tuée pour se venger lors d’une phase de transformation. Il ignore qu’il n’est pas le seul loup dans les parages. Si le but de Wolf est de construire une métaphore sur la duplicité humaine, la soif de pouvoir, l’animalité et l’Amérique des yuppies, il n’en reste pas moins un authentique film d’épouvante qui se termine par un affrontement brutal entre deux hommes-bêtes et raconte une très belle idylle entre deux êtres blessés : en dépit du milieu féroce dans lequel il évolue, Will est resté un type bien, fidèle à son épouse et à ses principes, qui souffre d’avoir été trahi par ceux qu’il aimait le plus. En révolte contre son père, Laura redonne à Will la vigueur que l’âge lui a fait perdre et découvre l’âme soeur qui va lui permettre de faire exploser sa féminité.
Le romantisme est également au coeur de Wolfman (2010). Très mal accueilli, le film du solide artisan Joe Johnston est pourtant un superbe western gothique qu’on peut aisément considérer comme un sommet du genre, bien supérieur au pourtant très estimable classique de la Universal dont il est le remake. Alors que dans l’original, le loup-garou Lawrence Talbot était tué par son père, c’est l’inverse qui se passe ici : responsable de la malédiction qui frappe sa famille, meurtrier de sa femme et de son fils cadet, le paternel est mis à mort par Lawrence, tombé amoureux de la veuve de son frère. Dépeinte de façon un peu trop caricaturale dans le montage vu en salles (Emily Blunt, très éplorée, ne cesse de renifler aussi bruyamment que dans Le Diable s’habille en Prada), la jeune femme est bien plus attachante dans le director’s cut sorti en vidéo, où l’histoire d’amour impossible qu’elle vit avec Lawrence devient franchement émouvante, nimbée d’atours romanesques victoriens que Johnston détourne brillamment en faisant du policier qui traque Lawrence une sorte de Wyatt Earp portant le même nom de famille que l’inspecteur chargé de l’enquête sur Jack l’Éventreur.



DÉSIRS CONTRE NATURE
Reconnu à juste titre comme le plus beau film fantastique de l’Histoire du cinéma français, La Belle et la Bête (1946) semble donner vie aux gravures de Gustave Doré et se distingue par le triple rôle qu’il octroie au merveilleux Jean Marais (le vil séducteur Avenant, la Bête et le Prince Charmant). Avec son physique de statue grecque, l’acteur prenait un risque énorme en se cachant derrière le masque d’un monstre, lui qui devint une idole populaire en jouant des hommes à femmes alors qu’il était homosexuel. Même si Jean Marais n’a jamais dissimulé sa véritable nature, difficile de ne pas établir un parallèle entre la créature au grand coeur, mais à l’aspect cauchemardesque et l’artiste sensible forcé de jouer les machos. Sans parler de l’image que certains se faisaient de lui à cause de préférences sexuelles. Masque oblige, tout passe par le regard du comédien pour exprimer l’amour qu’il éprouve pour la Belle. Josette Day n’ayant rien d’une grande tragédienne, c’est donc uniquement à son partenaire qu’on doit la puissance romantique de leurs scènes, Cocteau se chargeant de recréer l’atmosphère d’un conte de fées. Il y réussira si bien qu’il faudra attendre presque 40 ans pour qu’il soit égalé en la matière par le sublime Legend de Ridley Scott (1985), qui retrouve comme par magie la poésie irréelle du chef-d’oeuvre de Cocteau. La romance entre la belle mortelle (Mia Sara, ensorcelante) et Darkness, le démon rouge et cornu interprété par Tim Curry, est cependant très différente puisqu’elle est à sens unique, et qu’il s’agit plus d’une affaire de désir charnel que d’amour courtois (de l’aspect de Darkness à l’épée de Jack en passant par les licornes, le film est bourré de symboles phalliques). Darkness veut faire de la princesse Lily sa reine des ténèbres, mais il veut la posséder et non l’aimer, souiller son innocence et sa pureté. Il n’empêche que le plan où il s’agenouille devant le corps inerte de sa victime, celui où il traverse la caverne vers elle alors qu’il est en proie à la fureur et la scène magnifiée par les accents impressionnistes de la musique de Jerry Goldsmith où Lily valse dans la somptueuse robe noire que lui a offert son ravisseur comptent parmi les images les plus inoubliables de la fantasy, et que le couple Lily/Darkness déploie une telle puissance maléfique et déviante qu’on aurait presque envie que la jeune fille succombe aux avances du monstre. Mais c’est en France qu’il faut aller chercher la relecture la plus singulière de La Belle et la Bête : dans La Bête (1975), le réalisateur d’origine polonaise Walerian Borowczyk (Contes immoraux) livre une version on ne peut plus explicite du conte, même s’il ne fait que s’en inspirer. Lucy (Lisbeth Hummel), une riche héritière anglaise, est promise au fils difforme d’un aristocrate désargenté et découvre une légende locale qui raconte que Romilda (Sirpa Lane), une ancêtre de son futur époux, a été violée par un monstre dans la forêt deux siècles plus tôt. Encore vierge, Lucy est vite en proie à des rêves érotiques où elle se voit poursuivie par la bête dans les bois. Pourvue d’un membre gigantesque, celle-ci lèche la jeune fille et se masturbe sur elle après l’avoir suspendue à un arbre. Les songes de Lucy, qui se caresse frénétiquement dès son réveil, prennent une tournure de plus en plus crue : elle est pénétrée par la bête, qui finit par éjaculer sur elle et couvrir son corps de litres de sperme avant de mourir d’épuisement. Jugées très choquantes à l’époque, ces scènes illustrées par une guillerette musique au clavecin sont plus outrées que réellement pornographiques, d’autant que le costume du monstre est parfaitement ridicul [...]

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