Dossier : Mansonsploitation

Le crime du siècle. Une époque désillusionnée. L’incroyable capacité du cinéma américain à exploiter sa propre histoire, même la plus sordide. Charles Manson, sa famille, ses filles et le cinéma : un demi-siècle d’images, des courts et des longs-métrages, des films expérimentaux, d’auteur, d’animation, des documentaires bizarres et même des bandes porno. La « mansonsploitation » : un courant délicat à défricher, écartelé entre culte satanique, snuff movie, meurtres en série et fantasmes sexuels, et qui vient de ressurgir à travers Once Upon a Time… in Hollywood et la saison 2 de la série Mindhunter.
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Une chaude nuit d’été d’août 1969 changea les États-Unis d’Amérique pour toujours. Le 9 du même mois, cinq personnes étaient sauvagement assassinées au 10050 Cielo Drive, une luxueuse demeure située à Benedict Canyon, ville de Los Angeles, État de Californie. Les victimes étaient jeunes et évoluaient dans la haute société. À part, peut-être, Steven Parent, à peine âgé de 18 ans, qui eut la mauvaise idée de rendre visite à William Garretson, le gardien de la maison. Occupé à écouter de la musique, ce dernier n’entendit pas les plaintes d’Abigail Folger (25 ans), héritière de la fortune des cafés Folger, de Wojciech Frykowski (32 ans), scénariste et occasionnellement trafiquant de drogue, de Jay Sebring (37 ans), un coiffeur de stars qui comptait parmi ses clients Frank Sinatra et Steve McQueen, et de Sharon Tate, actrice enceinte de huit mois au moment des faits. Tate était la compagne du cinéaste Roman Polanski, absent ce jour-là car absorbé par un tournage sur le Vieux Continent. Une dizaine de coups de feu, une centaine de coups de couteau, des cris, des pleurs, des supplications et le mot « PIG » tracé avec le sang de Tate sur la porte d’entrée. La nuit du lendemain, à Los Feliz, dans la banlieue de Los Angeles, Leno LaBianca, un propriétaire de supermarché, et sa femme Rosemary étaient attaqués dans leur résidence et succombaient à leurs blessures dans des circonstances similaires. Le mot « WAR » avait été gravé au couteau dans la chair de Leno LaBianca alors qu’en lettres de sang s’affichaient « Rise » et « Death to Pigs » sur les murs, ainsi qu’un énigmatique mais non moins sanglant « Healter Skelter » sur le réfrigérateur. Une vague de crimes sans précédent, auxquels il faut rattacher le meurtre de Gary Hinman, survenu dans les derniers jours du mois de juillet 1969. Activiste politique, musicien, professeur de piano, bouddhiste et dealer de mescaline, Hinman fut torturé pendant plusieurs jours, on lui trancha l’oreille avec un sabre avant de le poignarder en plein coeur. Avant de quitter les lieux, son ou ses meurtriers écrivirent en rouge sang « Political Piggy » sur l’un des murs de sa maison. Dix jours plus tard, un certain Robert Beausoleil, dit Bobby, est arrêté au volant de la voiture de Hinman qui contenait toujours l’arme du crime. Une fin de carrière abrupte pour ce musicien talentueux qui avait débuté au cinéma sous l’aile protectrice du cinéaste underground Kenneth Anger. Dans Invocation of My Demon Brother, un film achevé en 1972 et né des chutes de Lucifer Rising (1966), Beausoleil incarne un Lucifer plus angélique que jamais. Plus tard, à la fin des années 60, il apparaîtra dans Le Totem du sexe (The Ramrodder, 1969) que beaucoup considèrent comme la première entrée de la longue filmographie hantée par le criminel le plus célèbre de l’Histoire. S’il mélange en toute décontraction western et érotisme, Le Totem du sexe est avant tout connu pour avoir été tourné sur le site du Spahn Ranch, lieu mythique qui avait abrité le tournage du Banni (The Outlaw, 1943) de Howard Hughes et Howard Hawks, de Duel au soleil (Duel in the Sun, 1946) de David O’Selznick, ainsi que d’une ribambelle de séries télé dont la plus fameuse fut certainement Bonanza (1959-1973). Avec le déclin du western, ne trouvant plus assez de tournages pour faire marcher la boutique, son propriétaire George Spahn, aidé de quelques cowboys, organisait des visites guidées à cheval mais louait aussi les lieux à une bande de hippies excentriques dirigée par un certain Charles Manson. Dans ces décors fossilisés d’une autre époque, Beausoleil traficotait ses pilules de mescaline acquises chez Hinman et les refourguait à une bande de motards portant le doux de nom de Straight Satans. Une tenace théorie suggère que les meurtres Tate/LaBianca ont été perpétrés uniquement dans le but d’innocenter Bobby Beausoleil, alors derrière les barreaux. Toujours est-il que les fils de l’intrigue se démêlèrent peu à peu, les enquêteurs ne tardant pas à relier les affaires entre elles alors que Hollywood sombrait dans la paranoïa. Yul Brynner et Warren Beatty offrirent des milliers de dollars de récompense en échange de la moindre information sur les crimes alors que les ventes d’arme et de systèmes de sécurité explosaient. Trois mois après les meurtres, les forces de l’ordre arrêtèrent finalement la plupart des membres de « la Famille ». Sur le banc des accusés Susan « Sadie » Atkins, Leslie « Lulu » Van Houten, Patricia « Katie » Krenwinkel, Linda Kasabian, Charles « Tex » Williams et bien sûr Charles Manson. Ces cinq-là précipitèrent les sixties dans les ténèbres et l’Amérique s’embrasa. Drogue, satanisme, orgies, meurtres, motards déments et gourou illuminé. Soit tous les éléments d’un bon film. Toute une génération qui prônait l’amour libre et contestait la présence militaire au Vietnam tout en se collant des fleurs dans les cheveux était maintenant vue comme des tueurs sanguinaires, le couteau entre les dents, prêts à égorger votre famille et violer vos enfants. À la gloire du grand Satan, bien sûr. De quoi largement alimenter les pompes de l’industrie du cinéma.



CHARLES S’EN CHARGE
Les premiers films à capitaliser sur l’affaire Manson sont, fort logiquement, de minuscules productions indépendantes, tournées en quelques jours et mises rapidement sur le marché, accompagnées comme il se doit d’une tapageuse campagne de publicité. Mais c’est pourtant un long-métrage d’exception qui viendra confirmer la règle. Avant même que les meurtriers ne soient appréhendés, le cinéaste underground John Waters met les pieds dans le plat avec Multiple Maniacs (1970). Divine, travesti d’un bon quintal et muse du réalisateur, y revendiquait haut et fort le meurtre de Sharon Tate. Mais une fois la famille épinglée, au moment du tournage, le metteur en scène dut hâtivement changer les dialogues tout en incluant une couverture du New York Times qui relatait l’arrestation. Après tout, personne, même pas Divine, ne pouvait voler la vedette à Charles Manson. Waters n’en resta pas là. Fasciné par les évènements, il dédicacera Pink Flamingos (1972) à Sadie, Katie et Leslie, les trois filles Manson qui venaient d’être condamnées à la prison à perpétuité. Dans cet imparable chef d’oeuvre de bon mauvais goût, Divine, encore elle, parade devant un mur sur lequel est tagué « FREE TEX WATSON ». Ce même Tex Watson, auquel John Waters rend souvent visite en prison, influencera notablement le script de Female Trouble (1974), une improbable et hilarante cavalcade meurtrière sur le thème de la beauté du crime. Watson lui-même pensait que Waters était fou, mais le détenu offrit pourtant au cinéaste un petit hélicoptère en bois fabriqué en cellule que l’on peut voir dans le générique du film. Quatre ans plus tôt, en 1970, Russ Meyer et son sc&eacu [...]

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