Dossier : Mad In China

N’avez-vous pas remarqué une recrudescence de logos chinois en amorce de vos séances du samedi soir ? Une apparition en masse de stars asiatiques dans vos blockbusters favoris ? Si, en tant que fans de cinoche et de culture d’Extrême Orient, nous avons a priori de quoi jubiler, la bonne nouvelle cache en réalité des enjeux économiques pervers, qui pourraient changer à jamais le visage de la production occidentale.
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Prenons comme exemple l’inénarrable Independence Day : Resurgence de Roland Emmerich. Uchronique, le long-métrage s’installe dès son premier acte dans une base lunaire dirigée par la Chine. Greffés sans raison aucune à l’intrigue, deux personnages principaux s’expriment en mandarin, et la destruction de Londres ne laisse apparaître que des victimes asiatiques. Louche ? Pas plus qu’une séquence pivot de Seul sur Mars de Ridley Scott, dans laquelle le patron de la société spatiale chinoise explique à sa secrétaire qu’ils vont pouvoir utiliser un réacteur expérimental jusqu’ici gardé secret. « Secret, donc personne ne savait qu’on l’avait, même pas la NASA ? » vérifie l’assistante. « En effet... car c’était un secret » confirme le directeur. « C’est formidable, nous ne sommes pas des méchants, et nous allons pouvoir sauver ces idiots d’Américains » s’excite à demi-mot la jeune femme, concluant une interminable séance d’autocongratulation dont on se serait volontiers passé. Gravity l’avait jouée un peu plus subtilement, mais son héroïne n’en trouvait pas moins son salut dans la station spatiale chinoise…

RENAISSANCE D’UN GÉANT

Pour être honnête, on ne l’a pas vu venir tout de suite. La situation privilégiée du Chinese Theater, au milieu de Hollywood Boulevard à Los Angeles, nous semblait même ironique, le public occidental se plaisant à ridiculiser à la première occasion les longs-métrages venus d’Extrême-Orient. Pendant des décennies, une niche de cinéphiles s’était battue pour soutenir la production asiatique, en vain (remember les excellentes revues HK Magazine ou Mad Asia). Pour séduire le grand public à travers le globe, John Woo, Tsui Hark, Ringo Lam, Yuen Woo-Ping, Jackie Chan ou encore Chow Yun-Fat avaient dû flirter avec Hollywood, et s’adapter à son cahier des charges. Difficile de savoir exactement quand la vapeur a commencé à s’inverser. Forts d’expériences occidentales enrichissantes, Woo, Hark et consorts sont repartis à l’Est pour y former une nouvelle industrie, apte à concurrencer les superproductions des visages pâles. Parallèlement, le gouvernement chinois a mis un terme à son isolement fin 2001, en adhérant à l’Organisation Mondiale du Commerce. L’économie du pays s’est libéralisée et adaptée aux conventions de ses nouveaux partenaires. Navigant en stratège dans les eaux boursières internationales, la Chine s’est rapidement imposée comme un acteur déterminant, voire même dangereux pour la plupart de ses concurrents. En octobre 2015, le pays va jusqu’à posséder 1270 milliards de la dette américaine, soit environ 7 % du total. Tenant la présidence Obama par les cojones, la Chine en profite pour inonder le marché US de ses produits à bas prix… et acheter des groupes locaux à tour de bras.

ARGENT FACILE

L’interventionnisme étranger à Hollywood, ce n’est pas nouveau. En 2008, une multinationale indienne entrait dans le capital de Dreamworks. Vingt ans plus tôt, Sony achetait Columbia et Tristar pour 3,4 milliards de dollars, donnant ainsi naissance à Sony Pictures. En 1990, Matsushita absorbait Universal pour la revendre cinq ans plus tard au français Vivendi… destiné à s’en débarrasser à son tour. C’est en 2012 que les grands capitaux chinois débarquent officiellement aux États-Unis, lorsque le groupe Wanda se paie la chaîne de cinéma AMC. En 2015, cette dernière absorbe son concurrent Carmike Cinemas, tandis que le troisième grand exploitant Arclight signe un contrat de 300 millions de dollars avec le conglomérat chinois Huace Group. Le milieu des années 2010 voit ainsi un emballement dans le rapprochement de Hollywood avec la Chine. En mars 2016, China Media Capital récupère des parts d’Imagine Entertainment, la société de production de Ron Howard et Brian Grazer. En juin 2016, Tang Media Partners, dirigé par l’homme d’affaires Brian Tang et soutenu par quatre géants chinois, acquiert IM Global, un groupe américain surpuissant spécialisé dans le financement et les ventes internationale de blockbusters. Aux dernières nouvelles, Wanda Group serait de son côté en passe d’acheter Viacom, notamment propriétaire de Paramount Pictures, MTV, Showtime et BET. Si ces manoeuvres asiatiques peuvent paraître envahissantes, la Mecque du cinéma n’est pas du genre à se laisser bouffer sans consentement. Après des années de vaches maigres dues à la crise financière de 2008, les studios voient des flux monétaires inédits se présenter à leur porte, et les interprète dans un premier temps comme de la « dumb money ». En d’autres termes : de l’argent facilement récolté auprès d’investisseurs novices et naïfs, comme celui qu’Edward Wood Jr. ponctionnait auprès d’une communauté baptiste pour les besoins de Plan 9 from Outer Space. Contre ces fonds inespérés, Hollywood accepte toutefois de se plier à quelques règles a priori anecdotiques, mais qui sur le long terme provoqueront une vraie métamorphose tonale et esthétique du cinéma américain.

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