Dossier : les trois de l'apocalypse

La ressortie en salles, sous l’égide de Solaris, de la première trilogie « zombiesque » de George Romero nous donne l'occasion de détricoter quelques lieux communs critiques autour d'une oeuvre pas si anti-conservatrice que ça…

Dans leur illustre 50 ans de cinéma américain, Jean-Pierre Coursodon et Bertrand Tavernier évoquent le choc que constitua leur découverte au Studio de l’Étoile de La Nuit des morts-vivants (1968), modeste production indépendante signée par un inconnu. « Pour une fois, la terreur, débarrassée de son folklore scénaristique et pictural, résultait d’un surcroît de réalité : décors authentiques et quotidiens, noir et blanc ascétique, (…) acteurs inconnus, rebondissements obéissant à des critères sociologiques ou naturalistes. » À la sidération d’une jeune critique parisienne pas spécialement férue de fantastique, et qui discernait là quelque équivalent horrifique de la Nouvelle Vague (pour l’économie du tournage et la conscience sociale), s’opposait la voix d’un fin spécialiste de l’épouvante, Jean-Marie Sabatier. Dans ses Classiques du cinéma fantastique (1973), ce dernier s’en prenait aux « irréductibles intellectuels qui venaient décrypter le « message » du film de Romero », une oeuvre qui, à ses yeux avait « la faiblesse de céder à une facilité : celle d’être un film au symbolisme trop évident, à lourde signification sociale et antiraciste. » Il ne se trouve plus grand-monde aujourd’hui pour souscrire à cette opinion, ou pour considérer sans sourire la prophétie de Sabatier, estimant que Romero « ne semble pas appelé à devenir un auteur ou un nom important. » Ces divergences de vue ne sont plus de mise, le cinéaste ayant acquis très tôt – et vu croître au fil des années – un statut d’auteur proportionnel à sa réputation d’engagement (à gauche). À l’instar de Psychose (Alfred Hitchcock, 1960), La Nuit des morts-vivants est considéré comme le prototype du cinéma d’horreur américain moderne et a suscité d’innombrables études critiques et universitaires, auxquelles il semble impossible d’ajouter quelque élément neuf. 



UNE NUIT ÉCLAIRANTE
Plaidoyer anti-ségrégationniste, reflet cauchemardesque d’une Amérique déchirée par le conflit vietnamien, promoteur d’une horreur progressiste et hyperréaliste, le film fait office de manifeste politique autant qu’artistique. Il faut pourtant rappeler que Romero affirma longtemps n’avoir voulu transmettre aucun message spécifique avec son premier long métrage. Ainsi confiait-il en 1977 à l’Écran fantastique, au sujet de son héros noir campé par Duane Jones : « Lorsque j’ai écrit le scénario, le personnage était quelqu’un d’ordinaire. Il se trouve que cet acteur était un de mes amis, et le meilleur acteur que je connaissais. Bien sûr, on ne peut ignorer le fait qu’il soit noir, et j’aime ce que cela peut apporter à la texture du film, mais il faut comprendre que cela ne faisait pas partie de la conception initiale. ». Plus étonnante encore est cette déclaration au sujet de The Crazies (1973) : « Je n’ai pas l’intention de critiquer l’armée. Cela ne se retrouve pas dans mes autres films. » (1). L’antimilitarisme sera pourtant l’un des thèmes centraux du Jour des morts-vivants (1985), et Romero ne cessera par la suite de souligner l’importance de l’allégorie politique dans sa démarche créative, ce qui suggère l’impact de l’exégèse critique sur l’évolution de son travail. À un demi-siècle de distance, on mesure davantage l’empreinte de la tradition sur ce film dit « de rupture » qu’est La Nuit… Toute la première partie entretient un climat gothique « à l’ancienne » : à défaut d’être noyé de brume comme ceux de la Universal ou de Roger Corman, le cimetière conserve sa fonction d’enclave maléfique ; un orage éclate opportunément lors de la poursuite de Barbra par le premier zombie ; l’intérieur de la ferme où elle se réfugie est tapissé d’ombres expressionnistes d’où émergent des têtes d’animaux empaillés. Les taquineries macabres de Johnny et la démarche du mort-vivant errant entre les tombes font référence à Boris Karloff dans le Frankenstein de James Whale (1931), tout en se dissociant ironiquement de l’imagerie qu’il véhicule. Enfin, l’atmosphère générale, mêlant épouvante, science-fiction et fable morale, a la saveur d’un épisode de la série Au-delà du réel (1963-1965), l’horreur graphique en supplément. Encore est-il abusif de voir en La Nuit… l’acte de naissance du splatter : Herschell Gordon Lewis s’était livré au début de la décennie à des outrances bien plus explicites (à défaut d’être aussi convaincantes) dans Blood Feast (1963) et 2000 Maniacs! (1965).



AMERICAN WAY OF DEATH
Avec Zombie – le crépuscule des morts-vivants (1978), l’intentionnalité du discours politique livré par Romero n’est plus mise en doute. Le scénariste-réalisateur a de toute évidence assimilé les gloses de ses commentateurs et n’hésite pas à s’y conformer – il est cette fois exclu que le choix d’un acteur afro-américain (Ken For [...]

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