DOSSIER LES MONSTRES SOUS-MARINS

Underwater de William Eubank renoue avec un grand motif du film de monstre : l’exploration des grands fonds marins. Avec toujours ce même message : ne descendez pas trop profond, vous risqueriez de réveiller des choses visqueuses (et souvent lubriques).
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PREMIÈRES VAGUES
MONSTER FROM THE OCEAN FLOOR ET THE SHE-CREATURE (WYOTT ORDUNG, 1954 ET EDWARD L. CAHN, 1956, USA)
Le milieu des années 1950 marque le tournant décisif dans l’appréhension des fonds marins par le grand public. Premier gros coup de semonce, la nouvelle adaptation clinquante de 20.000 lieues sous les mers par Richard Fleischer en 1954 fait rêver spectateurs et Disney, qui se lançait ici dans le blockbuster en Cinémascope. Deux ans plus tard, Le Monde du silence de Jacques-Yves Cousteau et Louis Malle plonge le monde entier dans la sidération avec ses visions inédites des profondeurs de l’océan en couleurs somptuaires, du bleu azuréen au rouge du sang des requins massacrés joyeusement par l’équipage dans une scène qu’on qualifiera poliment de « datée ». Pour sa toute première production, Monster from the Ocean Floor, le jeune et fringant Roger Corman parvient à convaincre une société de lui prêter son modèle de sous-marin individuel grâce à l’immortel crédo du « ça vous fera de la pub ». Bouclé en huit jours, le film de Wyott Ordung débite sa narration inepte sans passion. Le casting, diaphane, tente de s’effrayer à chaque apparition de l’étrange enfant bâtard d’une amibe et d’une pieuvre translucide. Plus original, The She-Creature voit la pauvre assistante d’un hypnotiseur transformée par ce dernier en sa plus ancienne vie antérieure : un monstre subaquatique dont le costume, pourtant pas possible, sera néanmoins réutilisé dans deux autres productions Corman. Il se dit que Peter Lorre vira son agent après que celui-ci eut osé lui soumettre ce script. Plausible. 




GUERRE FROIDE
LA CRÉATURE DE LA MER HANTÉE (ROGER CORMAN, 1961, USA)
Qui dit Trente Glorieuses dit affrontement larvé entre deux visions du monde. Du côté du divertissement de masse, le bloc soviétique produit en 1955 le gros budget (pour l’époque) Le Mystère des deux océans de Konstantine Pipinashvili, sombre histoire d’espionnage à bord d’un sous-marin (en fait, les trois mêmes décors recyclés ad libitum). Le cliffhanger de mi-parcours repose sur l’apparition d’un calamar géant, peluche pataude aux mouvements précipités par un manipulateur vraisemblablement ivre. La bestiole ne fait finalement que passer, mais rappelle à quel point elle reste aujourd’hui encore un grand classique des trouilles marines – qu’est-ce qu’un kraken, sinon un calamar vraiment géant ? La question est posée. Roger Corman, encore et toujours, persiste dans la menace venue des grands fonds et, comme bon nombre de films de l’époque, évoque le spectre communiste dans La Créature de la mer hantée, réalisé par ses soins relatifs. Ses protagonistes baguenaudent dans un Cuba en plein processus révolutionnaire, une toile de fond observée avec distance et causticité par un Roger visiblement pas super concerné, que ce soit par la partie comédie – peut-être encore plus datée que les dégâts causés par le passage de la Calypso –, ou par l’aspect horrifique, assumé tant bien que mal par un monster carrément craignos. De quoi décréter une égalité hautement symbolique entre blocs de l’Est et de l’Ouest et remettre la balle au centre. Enfin, au fond.




ET TOUT DE SUITE, UNE PAUSE MUSICALE !
THE HORROR OF PARTY BEACH (DEL TENNEY, 1964, USA)
Hey les kids, ça boume ? Venez donc vous éclater sur la plage de (*vérifie ses notes*) Stamford, Connecticut, au son plein de bonnes vibrations de notre super groupe de rock résident, les branchés The Del-Aires ! Bikinis et gang de motards acceptés. Comment résister à une telle note d’intention ? Parfaitement, c’est impossible. Au point que le film de Del Tenney consacre pas moins de la moitié de son intrigue aux danses chaloupées des garçons et des filles de leur âge qui se la donnent sur le sable deux par deux. Pour le reste, le film fonctionne « à l’américaine » et s’approprie un trope scénaristique développé par le premier Godzilla de Ishirô Honda : le monstre des profondeurs engendré par le nucléaire. Ici, des matelots peu scrupuleux balancent des bidons de déchets radioactifs non loin de la plage de la fête, juste au-dessus de la carcasse d’un navire. La pollution se répand sur les squelettes de l’équipage, et donne naissance à un « protozoaire géant zombie méduse » d’après les premières conjectures à peu près scientifiques. Dans les faits, un ancêtre aux grands yeux tristes du mec déguisé en mascotte de la pub Cetelem avec ses milliers de post-its verts. La chose tue des nymphettes en petite tenue et des mecs bourrés, dans un avant-goût des psychopathes moralisateurs de la vague slasher à venir. D’une légèreté affriolante, cette série B marque néanmoins la bascule des films de monstres subaquatiques : de simples réceptacles à créature, les grands fonds deviennent des brouets vengeurs des exactions humaines.




COQUILLAGES ET CRUSTACÉS
EBIRAH CONTRE GODZILLA (JUN FUKUDA, 1966, JAPON)
Douze ans après le premier film du gros lézard atomique, la saga en est déjà à sa sixième séquelle. À la suite de l’épisode précédent, avec son gros barnum sur la Planète X, Godzilla hiberne tranquillement sur une île reculée. Pas pour longtemps. Une troupe de pieds nickelés égarés en mer tombe sur cette saleté d’Ebirah, un homard de taille disproportionnée et quand même bien plus empoté qu’un kraken lambda – si les hentaï nous ont appris quelque chose, c’est bien que les tentacules l’emportent toujours sur les pinces, quelle que soit leur taille. Nos naufragés du dimanche échouent sur la fameuse île où Godzi rêve et – parce qu’une seule coïncidence ne suffit pas – où Mothra pique également un roupillon. Les premières échauffourées voient contre toute attente Ebirah et Godzilla jouer à la baballe avec un gros caillou, un interlude distrayant mais contre-productif – la suspension d’incrédulité, à ce moment précis, s’est jetée de dépit dans un fût de déchet radioactif. Tout à son entra [...]

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