Dossier : les films de l'été

Et si la saison cinématographique estivale 2015 était l’une des pires de ces dix dernières années ? Surexploitation de franchises à bout de souffle, remakes dégueulasses, suites poussives, machins anachroniques… Il faudra partir à l’assaut des salles avec l’indulgence en bandoulière pour affronter les films évoqués dans les pages qui suivent. Tous ? Pas loin…

JURASSIC WORLD
USA. 2015. Réalisation : Colin Trevorrow. Interprétation : Chris Pratt, Bryce Dallas Howard, Vincent D’Onofrio, Irrfan Khan… Sorti le 10 juin 2015 (Universal Pictures International France).
TERMINATOR GENISYS
USA. 2015. Réalisation : Alan Taylor. Interprétation : Emilia Clarke, Arnold Schwarzenegger, Jai Courtney, Jason Clarke… Sorti le 1er juillet 2015 (Paramount Pictures France). 

UN ÉPISODE DE TROP ?
On se croirait revenus vingt ans en arrière : alors que MAD MAX vient de se payer un comeback retentissant, deux autres franchises reviennent faire les yeux doux au grand public en jouant la carte de la nostalgie. Mais cette volonté de regarder en arrière ne contredirait-elle pas l’essence profondément novatrice des modèles en question ? 

La création numérique du tentacule extraterrestre d’Abyss, en 1989, permet à James Cameron de libérer totalement ses visions. Deux ans plus tard, le cinéaste redéfinit le concept du blockbuster hollywoodien et révolutionne le monde des effets spéciaux avec Terminator 2 – le jugement dernier. En s’appuyant sur les prouesses réalisées par Cameron, ILM et Stan Winston Studio sur T2, Steven Spielberg marque en 1993 une rupture définitive avec le 7e Art tel que nous le connaissions, et fait de son nouveau film le prototype du cinéma de demain. En modifiant comme jamais auparavant l’inconscient collectif mondial (nous n’avions auparavant jamais vu de dinosaure), Jurassic Park ouvre aux cinéastes un monde de possibilités jusqu’alors inenvisageables, où tout effort de suspension d’incrédulité de la part du spectateur deviendrait inutile. L’effet domino est en marche : sans Terminator 2, il n’y aurait pas eu Jurassic Park, et sans Jurassic Park, nous n’aurions jamais vu Starship Troopers, Le Seigneur des Anneaux, Avatar, ni même Mad Max : Fury Road.
Ironie du calendrier, l’été 2015 voit débarquer coup sur coup Jurassic World et Terminator Genisys, deux longs-métrages revendiquant un statut de suite directe aux classiques de Spielberg et Cameron. Avalisés par les deux cinéastes (Spielberg en tant que producteur exécutif, Cameron en tant que caution promo), Jurassic World et Terminator Genisys ont d’ailleurs la prétention assez extraordinaire de faire table rase de toutes les séquelles déjà produites par le passé : exit, donc, les péripéties d’Isla Sorna et de San Diego vues dans Le Monde perdu et Jurassic Park III. Au revoir également, les recherches narratives de Terminator 3 (le chemin de croix de Kate Brewster, la contamination d’Internet par Skynet, l’épilogue crépusculaire dans l’abri militaire) et Renaissance (le personnage de Marcus Wright, passionnant). Si Jurassic World choisit la voie du silence, laissant ainsi la possibilité d’inscrire son aventure dans une timeline plus complexe, Genisys efface l’après T2 sans le moindre scrupule, en contredisant dès son prologue les informations distillées par les autres épisodes. La manoeuvre pourrait se comprendre, si seulement l’objet n’était pas aussi laid, incohérent et antipathique.

POUR L’AMOUR DES DINOSAURES

Bien que l’un traite de dinosaures et l’autre de robots tueurs envoyés du futur, les deux projets sont étonnamment comparables dans leurs thématiques, leur ton, et surtout la manière dont ils équilibrent leur retour aux sources et une nécessité contractuelle de s’inscrire dans des formules à la mode. Sur ce dernier point, Jurassic World est de loin le plus futé du lot, puisqu’il prend le parti de développer les questionnements méta du film original. Tout comme Spielberg brouillait la frontière entre la fiction et son emballage marketing (on apercevait à l’écran de vrais produits dérivés, le déroulement de l’intrigue faisait du spectateur un authentique visiteur de parc d’attractions), le nouveau script de Rick Jaffa et Amanda Silver (La Planète des singes : les origines, Avatar 2) verbalise clairement sa problématique centrale : comment gérer l’indifférence du public 22 ans après le premier Jurassic Park ? Un dinosaure, dans le monde réel comme à l’écran, n’impressionne plus personne, et c’est là tout le drame qui agite cette suite plus maline qu’il n’y paraît. En précipitant son exposition du parc, sorte de Marine Land où il est demandé aux dinos de paraître avant d’être, Jurassic World commente justement la lassitude de ses spectateurs. L’idée de créer génétiquement un nouveau méga-dinosaure, baptisé par des exécutifs experts en marketing et non des sommités scientifiques (tourné en ridicule par les fans durant la campagne promo, l’Indominus Rex est ouvertement moqué par les héros du film !), est dans ce contexte un leurre, et ce des deux côtés de la toile. Sorte d’hérésie conceptuelle dictée par les lois de la surenchère, la bestiole sera mise hors d’état de nuire par de vrais dinosaures lors d’un final harryhausenesque en diable. « La nature reprend toujours ses droits » disait Ian Malcolm. Le T-Rex aussi, son apparition plein cadre retardée jusqu’en dernière bobine s’imposant en soi comme le climax du long-métrage, moins pour son aura menaçante que pour la pureté inégalée de ses lignes. 

ACIER ROUILLÉ 

Il manque bien sûr à Jurassic World la rigueur scénaristique de son modèle, et surtout une mise en scène plus audacieuse que celle de Colin Trevorrow, réalisateur indé propulsé du jour au lendemain dans les plus hautes sphères hollywoodiennes. L’intéressé a au moins le mérite d’assurer le spectacle. Impossible hélas d’en dire de même d’Alan Taylor sur Terminator Genisys. Servi il est vrai par un script d’une bêtise sans limites, coécrit par Patrick Dracula 2001 Lussier, le réalisateur de Thor : le monde des ténèbres se compromet dans un divertissement anachronique, selon les canons des nineties comme des années 2010. Injure constante vis-à-vis de l’univers auquel il essaie de rendre hommage (des plans entiers de Terminator sont reproduits tels quels, pour être aussitôt défigurés par des raccords douteux, un casting invraisemblable et des effets numériques envahissants), Genisys atteint le nirvana du mauvais goût en appliquant à la « franchise » les codes des dernières superproductions Marvel. D’une science-fiction hardcore pour adultes, nous sommes donc passés à une énième histoire super-héroïque, dénuée de violence crédible, ponctuée d’interludes romantiques à la Twilight et noyée dans des intrigues à tiroir dignes d’un feuilleton d’après-guerre. La scène post-générique de fin et les nombreuses questions laiss [...]

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