Dossier : Le Hellraiser que vous n'avez pas vu
Flash-back. Alors que la postproduction d’À l’intérieur touche à sa fin, Thomas Langmann, apprenant par des bruits de couloir que le film serait vraiment très gore, nous convie dans ses bureaux de la Petite Reine afin de nous parler d’un projet auquel il semble particulièrement tenir : le remake de Maniac. Étonnante proposition venant de la part d’un producteur bien français, moins lorsqu’on connaît un tant soit peu la personnalité et les goûts de Langmann, véritable geek courant sans cesse après ses madeleines de Proust. Et le chef-d’oeuvre poisseux de William Lustig en est assurément une. Il nous en propose alors rapidement la réalisation, mais souhaite d’abord savoir comment nous verrions cette relecture. Très vite, nous lui soumettons notre désir de rester franco-français et de prendre Gérard Depardieu en chauffeur de taxi/tueur en série hantant le quartier des Halles. Hélas pour nous, Langmann voit les choses différemment et souhaite rester aux États-Unis, en délaissant toutefois les rues de New York pour celles de Chicago. Et pour le rôle principal, il a un bien un nom mais là tout de suite, impossible pour lui de s’en souvenir. Pas de problème : devant nos yeux médusés, Langmann décroche son téléphone et appelle Lustig (qu’il réveille au passage, décalage horaire oblige) afin qu’il lui rafraîchisse la mémoire sur la relève de Joe Spinell. De l’autre côté de l’Atlantique, la voix pâteuse, Lustig baragouine un « Tom Sizemore » avant de raccrocher. Statu quo concernant ce projet qu’Alexandre Aja débloquera quelques années plus tard, mais nous quittons Langmann en lui glissant le scénario de Neiges, que nous avons écrit parallèlement au montage d’À l’intérieur, et qui narre les aventures d’un groupe d’accidentés sur une autoroute enneigée prise dans une boucle spatio-temporelle. À peine une semaine plus tard, Langmann nous achète le script et nous met rapidement au turbin. La mise en route de ce projet budgété à 7 millions d’euros s’annonce longue et fastidieuse, et nous sentons que nous avons largement le temps de faire un autre film, à condition qu’il se monte très rapidement. Et les films d’horreur qui se montent rapidement, ça se trouve surtout, hélas, du côté de Los Angeles.
UN AMÉRICAIN A PARIS
Ou plutôt de New York. Car c’est bien de là qu’arrive un jour à Paris Harvey Weinstein. En transit pour le Festival de Berlin, il demande à ce qu’on lui projette À l’intérieur, toujours pas sorti sur les écrans mais sélectionné à la Semaine de la Critique du Festival de Cannes. Il l’achète dans la foulée, nous serre la paluche entre deux taxis, tout en nous glissant que son frère Bob a quelque chose à nous proposer. Une partouze ? Rooh, tout de suite. Non, bien mieux que ça : le remake de Hellraiser. Une offre casse-gueule mais qui nous tente immédiatement, malgré le déclin évident de la franchise depuis le quatrième épisode, soit depuis que les frères Weinstein en détiennent les droits. Une pelletée de DTV sans âme bien loin de la perle noire de Clive Barker, toujours aussi glauque et malsaine vingt ans après sa sortie (nous sommes alors en 2007). Nous acceptons donc, à la condition de ne pas venir empiéter sur le territoire de Barker en atténuant le sous-texte SM et homosexuel de l’histoire. Soit les deux mamelles du film, me direz-vous. Bien sûr, mais n’étant branchés ni cuir ni gays (au grand regret de Xavier Gens, qui lança la rumeur sur le plateau d’À l’intérieur), il nous semblait inconcevable de parler de choses que nous ne connaissions pas, du moins dans ce contexte. Considérant le film de Barker comme une oeuvre hautement personnelle, parfaite et intouchable, nous préférons donc nous caler sur l’esprit de Hellraiser II : les écorchés, sa séquelle déjantée qui, à l’instar quelques années plus tard de Massacre à la tronçonneuse 2 pour notre Leatherface, deviendra rapidement notre véritable référence.
Un remake pur et dur de Hellraiser ? Non. Une nouvelle séquelle dans l’esprit des chapitres 2 et 3 qui nous vengerait des trois dernières purges de la saga shootées à la suite par Rick Bota ? Un grand oui. Pressé de faire le film de peur d’en perdre les droits, Bob Weinstein officialise le deal lors du Festival de Cannes. Sur son yacht, en chaussettes, il écoute nos doléances, nous promet un budget assez confortable loin du pauvre million de dollars que coûte désormais chaque nouvel épisode, puis nous donne carte blanche pour le scénario. Galvanisés par l’enjeu – redorer le blason de la franchise –, nous écrivons frénétiquement avant de rendre notre copie, que nous souhaitons également faire lire à Clive Barker. En froid avec les Weinstein depuis des années, il accepte tout de même, demande à voir À l’intérieur puis nous contacte directement pour nous dire à quel point il aime notre histoire, et qu’il nous soutiendra activement sur ce projet. Grand « ouf » de soulagement de notre côté, la bénédiction de Barker étant à nos yeux l’élément primordial à ce stade du développement. Reste maintenant à convaincre Bob du bien-fondé de notre histoire. Et pour en parler, le bonhomme nous convoque illico presto dans son bureau, à New York !
AMERICAN TRIP
Mais avant la Big Apple, le festival de Toronto nous attend. À l’intérieur est sélectionné au Midnight Madness, au même titre que les derniers films de Dario Argento et George Romero. Nous rêvons les yeux ouverts, et nous nous retrouvons rapidement à la table de ce dernier, dans un long tête-à-tête qui restera comme l’un de nos plus beaux souvenirs. Pendant plus de trois heures, le géant de Pittsburgh nous raconte sa vie, son oeuvre… Totalement surréaliste. En nous quittant, il nous donne un dernier conseil en faisant pétiller ses yeux malicieux derrière ses lunettes démesurées : « Ne signez jamais avec les Weinstein, ne signez jamais avec le Diable ! ». Mais il est déjà trop tard. Nous nous envolons vers New York en compagnie de notre agent français Lionel Amant (hélas, depuis décédé) pour notre rendez-vous dans le QG de Big Bob. Une fois passées les portes d’un immeuble de briques rouges des plus anodins, nous l’attendons dans une grande salle de réunion vide. Le bras droit du producteur vient rapidement nous rejoindre, et semble plus qu’un peu gêné. Il vient de lire le scénario et nous garantit que Bob va détester le prologue dans les camps de concentration nazis. Nous commençons à nous liquéfier en pensant prendre une bonne soufflante par un producteur pas vraiment réputé pour avoir sa langue dans sa poche, lorsque Bob apparaît dans la salle, hilare. Il nous broie la main, avant de nous lancer d’une voix ton [...]
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