Dossier : La Hammer 70's
L’année 1968 marque sans doute un apogée pour la Hammer Films. Le patron de la boîte, James Carreras, reçoit le prestigieux « Queen’s Award to Industry » pour avoir fait rentrer un paquet de millions de dollars sur le territoire britannique. Il sera même sacré Chevalier au début de l’année suivante. L’homme doit alors mesurer le chemin parcouru depuis la période d’avant-guerre, où il avait rejoint la petite structure de distribution fondée par son père Enrique Carreras. Cet immigré espagnol avait créé une chaîne de salles de cinéma dès les années 1910, en association avec William Hinds, un businessman qui jouait occasionnellement les comiques de stand-up sous le pseudo de « Will Hammer ». Mise en demi-sommeil pendant le conflit mondial, la société se retrouva bien dépourvue de films à diffuser une fois la paix revenue, et il fut donc décidé d’en tourner en interne. Baptisée d’après l’ancien nom de scène de Will, la Hammer Film Productions était née. C’est là qu’ont vite éclaté les talents de James, désormais appelé par ses collègues « Le Colonel » puisqu’il avait effectivement atteint ce grade au terme d’une glorieuse participation à la Seconde Guerre mondiale. Négociateur hors pair (on le disait capable de vendre de la neige à un Eskimo), le Colonel a assuré l’essor international de la Hammer en signant de fructueux accords avec les distributeurs étrangers, notamment américains. Mais c’est l’arrivée d’une nouvelle génération qui a ouvert les portes du triomphe. Entrés très jeunes dans la société bi-familiale, Michael Carreras (fils de James) et Anthony Hinds (fils de William et scénariste très capable) en ont rapidement gravi les échelons, avant d’orienter résolument la stratégie de la maison vers l’épouvante. À partir de 1956, la Hammer remporte d’énormes succès, avec une série de films souvent réalisés par le génial Terence Fisher et offrant des couleurs sanglantes et rutilantes aux monstres classiques des productions Universal des années 1930-1940 : Dracula, Frankenstein, la Momie, etc. Les deux juniors suivront cependant des chemins bien différents. Dès 1961, Michael Carreras volera de ses propres ailes et entamera une carrière de producteur-réalisateur indépendant, travaillant ponctuellement pour la Hammer mais aussi pour plusieurs autres sociétés. Anthony Hinds, lui, restera en poste, rédigeant de nombreux scripts sous le pseudonyme de John Elder. Jusqu’à l’orée de la décennie 1970, qui le verra prendre une semi-retraite anticipée en revendant ses parts de la compagnie…
En réalité, alors même qu’il ploie sous les honneurs royaux, Sir James songe déjà lui aussi à revendre la Hammer. Finalement, il se contente de transmettre le flambeau. Pour pallier le départ de Hinds junior, il fait revenir son fils Michael à plein temps, en le nommant directeur général de la boîte au début de 1971. L’année suivante, le fiston, apprenant par hasard que le Colonel s’apprête à céder l’entreprise familiale, lui rachète l’ensemble des actions, et devient ainsi le seul maître à bord. Pour autant, ce n’est pas forcément une aubaine. Car si James Carreras a voulu lâcher l’affaire, c’est que la situation n’est guère brillante. Le gros problème tient au tarissement des financements américains, dû à deux facteurs. D’abord, les productions Hammer marchent beaucoup moins bien qu’avant outre-Atlantique (le fond du trou a été touché avec le désastre commercial et artistique du space opera Alerte satellite 02/ Moon Zero Two en 1969), ce qui a poussé les majors hollywoodiennes à jeter l’éponge. En outre, le président US Lyndon B. Johnson a supprimé les mesures fiscales qui rendaient très profitable la délocalisation des films yankees à l’étranger. En 1970, Sir James signe ainsi un accord avec le conglomérat anglais EMI. Dorénavant, les bandes d’horreur de la maison auront un financement à 100 % britannique, ce qui n’avait jamais été le cas. Les sept titres qui ressortent aujourd’hui dans nos salles sont issus de cette entente Hammer-EMI, et témoignent des efforts de la firme pour rester dans la course. En effet, la décisive année 1968 a vu la sortie de Rosemary’s Baby et de La Nuit des morts-vivants, deux oeuvres très différentes mais ayant en commun d’inscrire l’épouvante dans un contexte réaliste et contemporain. Du jour au lendemain, l’attirail gothique et les récits situés au XIXe siècle prennent ainsi un sacré coup de vieux. La Hammer essaie de réagir à cette nouvelle donne, en panachant mutations et conservatisme. Pas d’augmentation des moyens, ni de réduction du nombre de longs-métrages produits par an : au contraire, le rythme s’accélère encore, et on prolonge les vieilles séries avec des épisodes supplémentaires aux budgets limités. Seulement, les auteurs tâchent d’acclimater les recettes maison au goût du jour, en mettant l’accent sur le sang et l’érotisme. Avec des fortunes diverses, comme le montre le septuor en question. Trois réussites qui doivent être vues par tout amateur de fantastique : Dr. Jekyll et sister Hyde (1971) de Roy Ward Baker, Les Démons de l’esprit (Demons of the Mind, 1972) et Une fille… pour le Diable (To the Devil… a Daughter, 1976), réalisés tous deux par Peter Sykes. Trois mets de choix pour les aficionados de la Hammer : La Momie sanglante (Blood from the Mummy’s Tomb, 1971) de Seth Holt et Michael Carreras, Les Cicatrices de Dracula (Scars of Dracula, 1970) de Roy Ward Baker et Les Horreurs de Frankenstein (Horror of Frankenstein, 1970) de Jimmy Sangster. Enfin, une péloche nettement plus dispensable : Sueur froide dans la nuit (Fear in the Night, 1972) du même Sangster. Les priorités étant posées, rentrons maintena [...]
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