DOSSIER L'HOMME INVISIBLE AU CINÉMA

Quatre-vingt-sept ans séparent Invisible Man de Leigh Whannell du long-métrage matriciel de James Whale produit par Universal. En près d’un siècle, l’Homme invisible a certes connu de nombreuses évolutions, mais il s’est toutefois montré plus discret que ses compagnons vampires et loups-garous. Retour sur une icône à part du fantastique, dont la nature anti-cinématographique peut mettre en péril les réalisateurs les plus accomplis.
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An de grâce 1931. Comblés par le succès de Frankenstein, les pontes d’Universal Pictures commandent à James Whale une adaptation du roman L’Homme invisible de H.G. Wells, dans lequel un savant brillant mais amoral dérobe la fortune de son père pour financer des expériences illégales. Devenu invisible, le personnage s’embarque bientôt dans une spirale meurtrière incontrôlable, qui s’achèvera par un lynchage public à l’ancienne. Si Whale abandonne le lynchage au profit d’une fusillade plus contemporaine et décrit littéralement son héros comme un fou – ce qui ne manquera pas d’agacer Wells –, L’Homme invisible de 1933 pose une nouvelle pierre importante à l’édifice des Universal Monsters, dans la foulée du Dracula de Tod Browning et de La Momie de Karl Freund. Dans le rôle-titre, Claude Rains compense sa prétendue absence physique par une performance théâtrale et volontairement excessive, presque héritée du cinéma muet (joli paradoxe, non ?). Les trucages du film sont beaucoup plus subtils : Rains est filmé au préalable sur un fond noir, avec certaines parties du corps recouvertes d’un tissu de la même couleur. Des caches mobiles et de multiples expositions permettent ensuite d’intégrer partiellement le comédien dans des prises séparées. Pour certains inserts où l’Homme invisible retire ses célèbres bandages, les vraies mains de Rains manipulent une marionnette relativement complexe, capable de simuler des mouvements de respiration. Des techniques similaires sont utilisées pour Le Retour de l’homme invisible, produit en 1940 alors qu’Universal est entrée dans une politique d’exploitation effrénée de ses franchises horrifiques. Si de nouveaux personnages font encore leur apparition (le Loup-Garou en 1941), la major capitalise sur ses acquis en enchaînant les séquelles à budget réduit. Coûtant à ses investisseurs 281.700 dollars, contre 328.000 pour l’original, Le Retour de l’Homme invisible se prétend « suggéré par H.G. Wells ». On y trouve effectivement le frère de Jack Griffin, le savant fou campé par Claude Rains, lequel injecte une potion d’invisibilité à un condamné à mort. Accusé d’un crime qu’il n’a pas commis, Sir Geoffrey Radcliffe (Vincent Price, dont le temps de « présence » ne dépasse pas les deux minutes) va profiter de sa nouvelle condition pour s’évader et trouver le coupable. Rien de bien passionnant ici. Ce script inspirera de nombreux longs-métrages par la suite, dont L’Étrangleur invisible de John Florea, Gene Fowler Jr. et Arthur C. Pierce en 1978. Parmi les suites concoctées chez Universal (dont le propagandiste L’Agent invisible sorti en 1942 et le très tarabiscoté La Vengeance de l’homme invisible en 1944), on peut s’attarder sur La Femme invisible (1940), une comédie un brin érotisée où une vendeuse de fringues au chômage (Virginia Bruce) est recrutée comme cobaye pour une expérience d’invisibilité (vous ne pensiez tout de même pas que l’inventeur de la potion était une femme ?). L’intéressée enchaîne bientôt les stripteases et ose même prendre le volant en soutif, au mépris de la sécurité routière.Pire : elle découvre que l’alcool renforce son pouvoir d’invisibilité, et ne va pas se priver d’en abuser ! L’honneur est sauvé in extremis, puisqu’on apprend lors de l’épilogue que la jeune femme a fini par se marier et faire un enfant… qui a une fâcheuse tendance à devenir invisible. En 1983, Universal Television réitère avec le téléfilm The Invisible Woman, une abomination pseudo-comique dont les rires préenregistrés façon sitcom s’adaptent mal à la nature du personnage. Un autre long-métrage intitulé The Invisible Woman a été réalisé par Ralph Fiennes en 2013, avec en tête d’affiche Felicity Jones (Rogue One: A Star Wars Story). Il ne s’agit toutefois en aucun cas d’une variation autour du genre, puisqu’il évoque une liaison que Charles Dickens a entretenue en secret à la fin de sa vie avec une jeune comédienne de théâtre.




EXPLOITATION
Si l’Homme invisible est théoriquement lié aux écrits de H.G. Wells, les séquelles d’Universal ont prouvé que le concept pouvait voler de ses propres ailes, et parfois se plier à des intrigues particulièrement absurdes. Après une pause d’une petite quinzaine d’années, l’exploitation de l’Homme invisible est récupérée par la concurrence : en 1958, le Mexicain Alfredo B. Crevenna signe un remake à peine voilé du Retour de l’homme invisible avec El Hombre que logró ser invisible, mais le manque d’imagination du script est contrebalancé par quelques séquences visuellement passionnantes. Le prologue montre ainsi un couple évoluer dans le tracé d’un pavillon sur le point d’être bâti, les tourtereaux imaginant littéralement leur intérieur à travers des murs invisibles. Suivant lui aussi un prisonnier en cavale, L’Incroyable homme invisible d’Edgar G. Ulmer (The Amazing Transparent Man, 1960) est une série B fauchée sans le moindre point de vue, au vocabulaire pseudo-scientifique très fifties (attention aux rayons X !), mais tout de même ponctué par deux scènes d’effets visuels convaincantes. Très court (à peine une heure), le film tente de se raccrocher au dernier moment à un message alarmiste à l’encontre du mariage entre l’armée et la science, qu’un personnage formule en s’adressant directement au spectateur. Sorti deux ans plus tard, L’Invisible docteur Mabuse de l’Allemand Harald Reinl fonce tête baissée dans le registre de l’espionnage avec son génie du mal à la tête d’une dangereuse armée invisible (on nous avait prévenus, pourtant !). Si le film part dans tous les sens tout en s’enlisant dans des dialogues interminables récités par des flics léthargiques, il a le mérite d’arriver un an avant James Bond 007 contre Dr. No et deux ans avant le premier Fantomas d’André Hunebelle. Puisqu’on est en France, profitons-en pour évoquer l’indescriptible Orloff et l’homme invisible de Pierre Chevalier (1970), également connu sous le titre de La Vie amoureuse de l’homme invisible. Si ces titres ne suffisent pas à vous convaincre, sachez qu’on y trouve un mauvais sosie de Dracula en cape rouge brillante et un homme en costume de singe transparent, le tout dans une ambiance campagnarde digne du Lac des morts-vivants. Un spectacle immanquable donc, promizoulin ! La même année, l’Italien Antonio Margheriti signe Mister Superinvisible, une comédie potache où un scientifique s’inocule par erreur un virus qui le rend… vous avez compris. Outre l’habituel chimpanzé faisant office de cobaye, Margheriti arrose son récit de quiproquos à la Blake Edwards (le génie en moins) et de gags mettant en scène le chien fidèle du héros. 




L’HOMME RISIBLE
L’Homme invisible et la gaudriole, ça ne date pas d’hier. Dès 1941, D. Ross Lederman prend à contrepied l’« image » menaçante du personnage avec The Body Disappears, comédie légère produite par Warner Bros. en réponse directe à Universal. Le héros n’étant pas ici un criminel, H.G. Wells et ses héritiers ne peuvent déposer plainte pour plagiat. Le concept d’homme invisible est dès lors considéré, à moins de se rapprocher de façon trop frappante du livre, comme libre de droits. Ayant signé un contrat avec Universal, Bud Abbott et Lou Costello n’ont de toute façon aucun souci à se faire au niveau des copyrights, et sont même encouragés à revisiter les classiques de l’horreur du studio. Après avoir rendu visite à Frankenstein en 1948, les Deux Nigauds affrontent l’Homme invisible en 1951 dans… Deux nigauds contre l’homme invisible, mis en scène par Charles Lamont, réalisateur boulimique dont le CV compte plus de 250 titres. Mine de rien, Lamont devance Paul Verhoeven et l’équipe de Hollow Man – l’homme san [...]

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