L'enfer des reboots, l'originalité écorchée

Si la folie consiste à recommencer toujours la même chose en s’attendant à un résultat différent, reproduire ad nauseam les mêmes schémas tout en espérant un résultat similaire n’est-il pas tout aussi dément ? À l’approche des bilans de fin d’année, faut-il se réjouir du rebond du box-office quand celui-ci n’est rempli que de licences artistiquement essorées ? A-t-on vraiment besoin d’un onzième Hellraiser ? Tant de questions rhétoriques, autant de réponses de mauvaise foi et de raccourcis à main armée. 

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Dans la saison 3 de l’excellente série Barry produite par HBO, le personnage de Sally Reed porte à bout de bras un projet de série inspirée de son propre vécu de femme battue. Les critiques sont dithyrambiques, le public adore… Mais le show disparaît de la page d’accueil de la plateforme qui le produit douze heures après sa mise en ligne. Et Sally d’apprendre son annulation dans la foulée. La raison invoquée ? L’algorithme en a décidé ainsi. « Ça va faire trente ans que je fais ce métier » lui dit ainsi la big boss, « et si j’ai appris quoi que ce soit, c’est que personne ne comprend rien à rien, sauf l’algorithme. »

Cet épisode rappelle aux infidèles à quel point l’écriture de Barry est une pure merveille dans sa manière de nager à contre-courant. Il n’y a pas que la plateforme à la lettre « N » rouge dans son collimateur : sa diffusion coïncide avec la clôture d'un exercice fiscal compliqué, au gré duquel les plus grosses productions du studio Warner sont sorties conjointement sur la plateforme HBO Max.

Ajoutez à ce bilan pour le moins contrasté les incessantes et absurdes mutations de l’univers cinématographique DC Comics, l’arrivée pétaradante de David Zaslav à la tête du studio et ses changements de braquet au frein à main sur une route verglacée, et vous obtenez le stade terminal de la transposition des logiques capitalistes à l’industrie du 7e Art.



Les « tentpoles », ces énormes machines budgétisées à 150 millions de dollars minimum, ont avalé les blockbusters plus modestes et autres bisseries intermédiaires. Le public doit impérativement connaître l’univers pour lequel il va débourser ses vingt dollars en multiplexe. Ne comptent que les « IP », les Intellectual Properties déjà identifiées. Il peut s’avérer plus rentable de ne pas sortir un film déjà tourné (coucou Batgirl).

Tout ne doit être que projections de satisfaction, rationalisation des coûts sur des secteurs jugés accessoires (comme les effets spéciaux numériques), lissage de complaisance avec les tendances observées sur les réseaux sociaux, rentabilité à court terme – la seule vision d’avenir autorisée s’opère sous la forme de ces satanées frises chronologiques d’univers super-héroïques étendus.

Dans ses indispensables documentaires Pandora's Box(1992) et All Watched Over by Machines of Loving Grace (2011), le visionnaire Adam Curtis liait une partie de l’Histoire du XXe siècle à son investissement aveugle et extatique dans l’informatique, où nous avions chevillée au corps cette croyance mystique que les ordinateurs allaient nous sortir de la panade et nous élever collectivement. Mais comme tout système politique, social, philosophique ou religieux, il fallait bien que ce mode d’organisation soit détourné à des fins de profit personnel.

À Hollywood, les crises économico-pandémiques et les pertes colossales dues au désamour du support physique ont servi d’accélérateurs. Les chiffres, analyses et études ne sont désormais plus que des paravents derrière lesquels se planquent des exécutifs sans panache, tous morts de trouille à l’idée de pousser une idée originale. Tout ne doit être que suite, remake, reboot. 



Matrix Resurrections : un braquage méta.


JURASSIC JAM

Il est injuste de tout mettre sur les épaules de la Warner quand son cirque organisationnel ne fait que rendre sa déroute créative plus visible – la boîte à Mickey charrie encore plus de casseroles, ne serait-ce que sur l’année écoulée. Il faut en outre reconnaître à Warner d’avoir produit, en amont de sa débâcle, deux aberrations méta hallucinantes qui resteront sans nul doute, a posteriori, comme deux des commentaires les plus éloquents sur leur époque.

Matrix Resurrections de Lana Wachowski est un acte de flibusterie insensé, portant en lui son inutilité existentielle. La réalisatrice y avoue sans ambages qu’il ne s’agit là que d’une entreprise de maintien illusoire de sa création dans son giron contre les bureaucrates du studio, quasiment nommés comme tels.

Le cas Space Jam : nouvelle ère de Malcolm D. Lee surpasse presque son homologue dans le domaine de la double lecture offensive, avec un surplus d’hypocrisie laissant un arrière-goût d’amer foutage de gueule en fond de gorge. LeBron James y joue encore moins bien que Michael Jordan dans le film original de 1996, il y a donc tout l’espace disponible pour se focaliser sur l’ennemi : une intelligence artificielle incarnée par l’affable et charismatique Don Cheadle.

C’est peu dire que celui-ci prend l’ascendant sur le héros supposé du film dans toutes leurs scènes en commun, et ses motivations en sembleraient presque légitimes. Notre antagoniste sympa, nommé Al-G Rhythm (sic), ne vise rien moins qu’à absorber toutes les créations Warner Bros. pour les proposer à portée de clic.

Et de fait, la mise en scène ne semble pas fermement décidée à prendre parti dans le débat, tant elle jubile à aligner un demi-siècle de créations emblématiques pour figurer les supporters du match, des Warboys de Mad Max: Fury Road aux Drougs d’Orange mécanique, sans oublier la sœur Jeanne des Diables de Ken Russell – un comble, quand on connaît l’historique de censure et de rétention du studio vis-à-vis du film.



LeBron James dans Space Jam : nouvelle ère fait pire que Michael Jordan dans la version de 1996.


En l’état, impossible de savoir si cet affront, répété dans un nombre invraisemblable de plans, relève de la contrebande de pirates cachés dans l’équipe de production, d’un vaste doigt d’honneur, ou de l'œuvre d’un jeune foutriquet qui aurait trouvé ça cool. Il en va de même de tout le film, d’une laideur invraisemblable, d’un déséquilibre global tel qu’il est impossible de savoir si la fin est un happy end ou non – est-ce une bonne chose qu’Al-G Rhythm ait perdu ? Lebron James est-il vraiment devenu un meilleur père ? Nul ne le saura jamais et il est tout à fait plausible que tout le monde s’en tamponne le coquillard.

Le même flou, tout juste artistique grâce à l’apport modeste de J.A. Bayona à la franchise, anime la trilogie Jurassic World. Le premier film de Colin Trevorrow est un pur « requel », néologisme marketeux pour désigner une suite lointaine reprenant les éléments dramaturgiques du premier volet, à la limite du remake pur et simple. Il s’y dessine une amorce de discours, un embryon de mise en abyme sur le besoin de satisfaction d’un public blasé, qui se noie dans des séquences d’action plus mal fichues et bien moins crédibles que chez tonton Steven. La sidération de 1993 n’est plus qu’un vague souvenir auquel s’accrocher désespérément.

Le deuxième épisode signé Bayona développe une piste passionnante sur le clonage humain, une autre pleine de potentiel sur le marché noir des dinosaures, un soin plus affirmé à la mise en images… et Jurassic World : le monde d'après n’en fera absolument rien.

C [...]

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Commentaire(s) (1)
oriounga
le 24/11/2022 à 09:43

Très bel article argumenté et pertinent et c'est vraiment sympa d'avoir sur le site cet article paru dans le dernier numéro: bravo et merci.

Je pense à ceux qui n'ont pas la version papier et c'est vraiment sympa pour eux.

Continuez ainsi.

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