Dossier : John Carpenter
Le même 24 octobre où débarque le Halloween de David Gordon Green, Splendor Films a l’astuce de ressortir l’oeuvre originale de John Carpenter, Halloween, la nuit des masques (1978), en prélude à quatre autres longs-métrages du maître récemment restaurés en 4K : Fog (The Fog, 1980) dès le 31 octobre, Prince des ténèbres (Prince of Darkness, 1987) le 28 novembre, New York 1997 (Escape From New York, 1981) le 19 décembre, et enfin Invasion Los Angeles (They Live, 1988) en janvier 2019. Au début de l’année, Splendor avait déjà ramené dans les salles Les Aventures de Jack Burton dans les griffes du mandarin (Big Trouble in Little China, 1986), lequel reparaît en Blu-Ray steelbook le 16 octobre chez L’Atelier d’Images. Bref, il y aura une intense actualité Carpenter dans les prochains mois et semaines, et c’est peut-être l’occasion de s’interroger sur la nature profonde de l’art du cinéaste. Bien que réunis par le hasard des sorties et des gestions de catalogues, ces six titres (qui panachent productions indépendantes au succès inattendu, gros fours au box-office et petits budgets) ont en effet en commun d’être des objets de culte pour les fans les plus acharnés de « Big John », qui y voient des étapes majeures dans une trajectoire originale et solitaire (1).
Car, il faut le dire, Carpenter est un peu un cas. Remarqué pour Assaut en 1976 et couronné par le triomphe commercial de Halloween, il travaille ensuite pour la télévision et pour les indépendants de Avco Embassy (2), comme s’il voulait repousser au plus tard possible sa collaboration avec les grands studios, laquelle ne commencera vraiment qu’avec The Thing en 1982. En cela, il se distingue radicalement des wonderboys du type Spielberg, qui ont pris d’assaut les majors en revisitant les genres en vogue dans leur jeunesse armés de budgets démesurés – d’ailleurs, jamais aucun des « gros » films de Carpenter ne sera à proprement parler un blockbuster. Mais bien qu’il se plaira ici et là à égratigner les mythes américains (les exactions des pionniers évoquées dans Fog, le régime policier de New York 1997, les aliens en col en blanc de Invasion Los Angeles), l’homme du Kentucky n’est pas non plus réductible aux auteurs démiurges du Nouvel Hollywood. Sans doute parce que son attachement au classicisme, illustré par son découpage limpide et ses continuelles déclarations d’amour au cinéma de Howard Hawks, est à prendre au pied de la lettre. En quelque sorte, Carpenter s’est mis tout seul dans la peau d’un cinéaste sous contrat du Hollywood des années 50, en se passant à lui-même des « auto-commandes » où, au lieu de chercher à dépasser ou détourner le genre en question, il a travaillé ce dernier de l’intérieur, notamment pour le tirer vers une sorte d’abstraction formelle.
CROCHES ET ANICROCHES
À revoir Halloween aujourd’hui, on est en effet sidéré par la longueur démesurée des scènes où, sur le chemin du lycée, Laurie Strode sent confusément qu’elle est suivie par Michael Myers. L’occasion d’un incroyable exercice de mise en scène… Mais si, après deux numéros de Mad Movies, vous en avez un peu marre d’entendre parler du tueur masqué, pas de problème. De toute façon, Fog raconte un peu la même chose, bien que Carpenter s’y frotte pour la première fois à une épouvante purement surnaturelle. Les deux films se saisissent d’un événement situé à une date couperet (la célébration du centenaire d’un patelin du nord de la Californie, cette nuit de Halloween où les gamins se déguisent pour réclamer des tours de magie ou des bonbons) pour y glisser une mise en abyme où l’horreur est renvoyée aux terreurs primaires et enfantines : la peur du brouillard, la peur du croquemitaine. D’ailleurs, Myers finira par emprunter le symbole d’effroi le plus simple qui soit : ce bon vieux fantôme recouvert d’un drap blanc. Avant cela, il aura jeté son dévolu sur une jeune fille lui rappelant sans doute sa soeur aînée, qu’il a poignardée 15 ans plus tôt. Fog débute également par une scène primitive : devant une assemblée de bambins ébahis, un vieux pêcheur raconte qu’un jour, les spectres des marins d’un navire naufragé sortiront du brouillard nocturne pour se venger. Et c’est exactement ce qui se passe, la ville ayant été fondée au moyen d’un terrible forfait. Les premiers habitants ont spolié une colonie de pauvres lépreux, dont ils ont fait couler le bateau en plaçant des feux de position délibérément erronés sur la plage. Pile un siècle après, les revenants s’apprêtent à passer leurs descendants au fil de l’épée, ce qui était préfiguré par la toute première image du film : le gros plan d’une montre à gousset, dont l’aiguille des heures et celle des minutes vont se rejoindre à minuit, telles les deux lames d’un sécateur. Schlack !
Le compte à rebours est donc lancé, et bien malin celui qui donnera un résumé plus détaillé. Ce n’est pourtant pas qu’il ne se passe rien dans Halloween et Fog, qu’il n’y ait pas d’histoire. C’est juste qu’il n’y a rien de semblable à ce qu’on appelle d’habitude un rebondissement. À la place, nous avons la patiente construction d’une tension qui va croissant… Construction des personnages aussi, Fog brillant notamment par le faisceau de relations tissées entre des protagonistes séparés dans l’espace, cela grâce à une idée géniale : la présence d’une animatrice de radio locale, qui surveille l’avancée de la brume fatale depuis le phare d’où elle émet, et qui tient la population informée en di [...]
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