Dossier : Films à twist

Rien ne vaut le vertige d’un bon retournement de situation. Se faire ainsi manipuler rejoint d’ailleurs une composante fondamentale du 7e Art : celle de la suspension d’incrédulité, permettant au spectateur de se projeter émotionnellement dans un univers de fiction. Alors que M. Night Shyamalan réserve aux spectateurs de Split quelques jolies surprises, la Mad Team a décidé de s’attarder sur la tradition du film à twist en brisant un tabou très à la mode : vous êtes prévenus, ce dossier est garanti 100 % spoilers.
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LE GÉNIE MACHIAVÉLIQUE

Né du « Whodunit », courant littéraire popularisé par Agatha Christie ou Raymond Chandler au début du XXe siècle, le principe du twist reste intiment lié aux affaires les plus sordides. En salles, l’Europe n’est pas la dernière à s’emparer du genre, comme en atteste la conclusion perfide des Diaboliques de Henri-Georges Clouzot (1955). L’Italie répond avec une intarissable vague de giallos, prompts à tester les concepts les plus avant-gardistes. On pense notamment à Je suis vivant ! d’Aldo Lado (1971), où un journaliste déclaré mort est en fait bel et bien conscient sur la table de la morgue, et essaie de résoudre à coups de flashes-back une enquête sur laquelle il travaillait.

Les seventies voient émerger un maître du twist rocambolesque. De Dario Argento, on retiendra par exemple les rebondissements de Ténèbres. Si la fin enchante par sa conclusion gore à rallonge, le clou du spectacle intervient à mi-parcours, lorsqu’une jeune femme poursuivie par un chien errant se réfugie par mégarde dans la demeure de l’assassin. La gestion de l’espace est ici déterminante, Argento diluant cette révélation dans de longs plans d’exposition, souvent en plongée, semblant sortir d’une caméra de surveillance. La victime apparaît aliénée dans cet environnement, et ce bien avant l’apparition du tueur. On peut d’ailleurs dresser un parallèle entre ce morceau de bravoure et une scène clé du Silence des agneaux (1991) : alors que des agents du FBI sonnent chez leur principal suspect, Jonathan Demme se lance dans un montage parallèle ingénieux. La sonnette retentit des deux côtés de la cloison mais Buffalo Bill découvre finalement Clarice Starling seule devant sa porte, la jeune femme ignorant encore l’identité de son hôte. Peter Jackson récupère l’idée en 2001 dans La Communauté de l’Anneau, pour les besoins d’une séquence où les Nazgûls tentent d’assassiner les Hobbits dans une auberge. 

Les twists gagnent une saveur particulière lorsque les meurtriers sont décrits, à la manière de celui de Ténèbres, comme des entités omniscientes, aux compétences stratégiques hors du commun. L’évasion de Hannibal Lecter dans Le Silence des agneaux – encore lui – marque un tournant dans le genre. James Wan et Leigh Whannell sauront s’en souvenir pour le final de Saw : allongé depuis l’ouverture entre les deux héros, un cadavre s’anime soudain, à la manière de Lecter à l’arrière de l’ambulance. Malin, mais peut-être pas autant que les nombreux rebondissements du Se7en de David Fincher, rejeton direct du classique de Demme. Ponctué par un gros plan subliminal de Gwyneth Paltrow (technique réutilisée dans Fight Club), le dernier twist reste l’une des conclusions les plus funèbres jamais imprimées sur pellicule. On décèle presque chez Fincher une démarche politique, en réaction à la vision sociétale politiquement correcte de l’Amérique de Clinton.


LE TWIST CONTESTATAIRE 

Se7en n’est pas le premier long-métrage à renvoyer à son public un discours abrasif, moyennant un rebondissement de dernière minute. Lorsqu’on l’interroge sur son choix de mettre en scène un héros noir dans La Nuit des morts-vivants, George Romero relativise souvent l’affaire en expliquant que Duane Jones était le meilleur acteur qu’il avait sous la main en 1968. Le film n’en repose pas moins sur un twist contestataire, montrant le protagoniste se faire abattre par une bande de rednecks après avoir survécu à une longue nuit d’horreur. Marqué par le chef-d’oeuvre de Romero, John Carpenter prend rapidement l’habitude de glisser ici et là quelques twists anarchistes. Après avoir ridiculisé le Président dans New York 1997 et révélé une propagande alien dans Invasion Los Angeles – par l’intermédiaire d’un SDF s’il vous plaît –, Big John passe à l’étape supérieure avec Los Angeles 2013. Snake Plissken renvoie le monde à l’âge de pierre d’une simple pression de télécommande, troquant un ordre fascisant contre un désordre libertaire cher au cinéaste. Si la séquence n’est pas un twist dans le sens « whodunit » du terme, elle retourne la situation de départ de la façon la plus sauvage et imprévisible qui soit.

Tout aussi politique, le final du Village de M. Night Shyamalan pourrait bien être la leçon la plus complète sur les principes d’écriture d’un twist. Sorti en 2004, le long-métrage décrypte le système de l’administration Bush à l’heure où l’armée américaine s’embourbe dans une longue campagne militaire au Moyen-Orient. L’accusation est bien sûr métaphorique, le film étant lui-même bâti sur un mensonge. Vendu comme un creature feature par ses bandes-annonces, Le Village suit une communauté aux moeurs quasi médiévales, installée à l’orée d’une forêt peuplée de créatures sanguinaires. Sauf qu’en réalité, les monstres n’existent pas : ils ont été imaginés par les pères fondateurs dans le but de contrôler par la peur une population naïve. Le sujet véritable du Village n’a donc rien à voir avec le synopsis officiel : voulant rompre avec la violence du monde moderne, des censeurs auront emporté le Mal en eux. Renvoyant aux armes de destruction massives inventées par la team Bush, l’idée d’une civilisation unie face à un ennemi fabriqué n’est en rien un ajout de dernière minute. Le script repose organiquement sur cette ultime révélation, et Shyamalan semble avoir rédigé son manuscrit à reculons, maquillant progressivement son projet derrière des atours plus facilement marketables. Le cinéaste nous livre au passage quelques brillantes idées visuelles, notamment une disparition progressive des contrechamps dans les dialogues, soulignant à la fois la cécité de l’héroïne et la duperie de ses parents. En termes de mise en place, on peut difficilement faire mieux.




LE BAL DES SCHIZOS

Autre grand metteur en scène, Martin Scorsese s’écarte volontairement de la méthode Shyamalan pour le twist de Shutter Island (2010). Persuadé d’être un U.S. Marshall venu enquêter dans un hôpital psychiatrique érigé sur un îlot, Edward « Teddy » Daniels est lui-m&ec [...]

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