Dossier : Familles Dysfonctionnelles

Dans le puissant Hérédité, les failles d’une famille sont exploitées par d’obscures forces pour la pousser au bord du gouffre. Une mécanique souvent utilisée dans le genre, qui pourrait presque être une catégorie cinématographique en soi. D’où notre envie de partager avec vous quelques films qui prennent un malin plaisir à faire éclater de l’intérieur l’illusoire cocon de sécurité que constitue la sacro-sainte cellule familiale, socle bien fragile d’une société vacillante…
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HIMIZU 
DE SONO SION. 2011. JAPON.
De Noriko’s Dinner Table à Cold Fish, Sono Sion aura passé la première décennie du XXIe siècle à se battre contre la figure du père, à la fois pour souligner le pourrissement désastreux du modèle patriarcal de la société japonaise, mais aussi (surtout ?) pour régler ses comptes avec son propre géniteur. La parenthèse du très patelin Be Sure to Share (2009) laisse penser à une réconciliation entre les générations, avant que les apparences n’explosent dans les effusions gore du traumatisant Cold Fish (2010), puis dans ce premier volet de son diptyque consacré à la catastrophe de Fukushima. Cette libre adaptation du manga de Minoru Furuya s’implante dans un no man’s land dévasté, où quelques survivants se soutiennent dans des campements de fortune, regroupés autour d’un commerce de location de bateaux vaguement tenu par Yuichi, ado de 14 ans en rupture progressive avec le monde extérieur. Et pour cause. Sa mère se donne aux premiers venus tandis que son père, soiffard endetté, ne ressurgit que pour le tabasser et lui demander de se suicider pour toucher l’argent de l’assurance. Grosse ambiance festive, représentative d’une société japonaise en déshérence depuis les événements du 11 mars 2011. Tout le monde se gueule dessus, se surine dans les rues, les usuriers se rincent sur la situation, les néonazis sont à deux doigts de sortir du placard… Keiko, la jeune soupirante de Yuichi, se réfugie dans la poésie de François Villon, autant hantée par la mort que son entourage proche – les parents de la jeune fille l’enjoignent eux aussi au suicide, en lui présentant de multiples variations de noeuds coulants. Non, vraiment, bonne ambiance, au point que la respiration plus auteuriste et lumineuse de The Land of Hope, tourné par Sono Sion dans la foulée et dans les mêmes décors en ruine, passerait presque pour de l’ironie. Dans la suite de sa filmographie, le réalisateur privilégiera les représentations de familles reconstituées comme alternative au marasme de la famille nucléaire.

F.C.




EMPRISE
DE BILL PAXTON. 2001. USA/ALLEMAGNE.
Pour son premier film en tant que réalisateur, le regretté Bill Paxton choisit de s’inspirer de l’histoire de Joseph Kallinger, un serial killer qui tua trois personnes et tortura quatre familles au milieu des années 70 dans le New Jersey avec l’aide de son fils de quinze ans, et qui prétexta avoir agi sur l’ordre de Dieu. Pour l’occasion, l’acteur fétiche de James Cameron s’octroie le rôle de « Dad » Meiks, un père qui élève seul ses deux fils. Véritable fanatique religieux, il est persuadé qu’un ange le guide et qu’il lui suffit de toucher les gens pour voir leurs péchés. Armé d’une hache dont il fait l’instrument de Dieu en lui donnant un nom, il décide de massacrer ceux que la parole divine lui a désignés comme des démons, entraînant ses enfants dans sa croisade sanglante contre le Mal. Plutôt que d’opter pour un récit linéaire, Paxton le fait raconter en flash-back par l’un des fils de Meiks et le prolonge dans le présent jusqu’à un final qui a parfois valu à Emprise d’être qualifié de « film réac’ », sous le simple prétexte que son réalisateur était catholique pratiquant. C’est mal juger l’ambiguïté stimulante et le goût pour le fantastique de ce néo-noir redneck texan jusqu’au bout des bottes (Paxton, natif de Fort Worth, a recruté pour l’occasion Powers Boothe et Matthew McConaughey), où le comédien fait preuve d’une science de la mise en scène qui évoque à la fois Walter Hill et La Nuit du chasseur. Porté par une musique sensationnelle d’un débutant nommé Brian Tyler et l’interprétation hallucinée de son maître d’oeuvre, Emprise annonçait la naissance d’un cinéaste de tout premier ordre, ce que vint confirmer quatre ans plus tard le formidable biopic sportif Un parcours de légende. La paternité, la frontière entre le Bien et le Mal, l’obscurantisme provoqué par l’ignorance, il y a tout cela dans Emprise, sombre drame familial qui se termine comme un western de John Ford.

C.D.




THE GIRL NEXT DOOR 
DE GREGORY WILSON. 2007. USA.
The Girl Next Door a beau être adapté d’un roman de Jack Ketchum, il s’appuie avant tout, comme le fit l’auteur, sur des faits réels : la mort de Sylvia Likens (Meg Loughlin dans le film), une adolescente de 16 ans séquestrée et torturée par sa famille d’accueil dans l’Indiana au milieu des années 60. Admirablement défini par Stephen King comme « la face sombre de Stand by Me », le film se passe quant à lui à la fin des années 50 et relate les événements en flash-back à travers les yeux de David, un quinquagénaire qui revient sur les lieux où il a rencontré la victime lorsqu’il était enfant. Au premier regard, il en tombe amoureux. Orpheline confiée avec sa petite soeur à la garde de leur tante Ruth, Meg lui donne d’abord l’impression d’être traitée comme Cendrillon par sa belle-mère. Il va vite se rendre compte que l’affaire est bien plus grave : ami des fils de Ruth, David découvre que leur génitrice, une célibataire alcoolique, les encourage à humilier et à maltraiter Meg. La méchanceté gratuite vire rapidement au sadisme : après avoir giflé l’un des garçons qui tentait de la peloter, Meg est ligotée, bâillonnée et séquestrée nue dans la cave de la maison. Dès lors, elle n’est plus qu’un objet qu’on torture : scarifiée au couteau, brûlée avec une cigarette, violée par les fils de Ruth, elle est ensuite mutilée par sa tante, qui lui brûle le clitoris à l’aide d’un chalumeau et profite de la situation pour tripoter sa petite soeur. D’abord témoin passif, puis tétanisé d’horreur devant ces atrocités, David finira par réagir, mais trop tard. Choquant et révoltant malgré ses allures de téléfilm des années 90, The Girl Next Door ne cesse de naviguer entre complaisance et suggestion, hors champ et violence frontale, réussissant là où le pourtant fort estimable Flowers in the Attic de Jeffrey Bloom avait échoué 20 ans plus tôt.

C.D.




THE WITCH 
DE ROBERT EGGERS. 2015.USA/G-B./CANADA/BRÉSIL.
1630, Nouvelle-Angleterre. Une famille (dont on ne saura jamais le nom) est bannie d’un village de puritains : le père, William, aurait péché par orgueil en ayant reproché à la communauté son manque de rigueur religieuse. Il décide donc d’emmener sa femme enceinte Katherine, sa fille aînée Thomasin, son fils Caleb et ses jeunes jumeaux Mercy et Jonas s’installer aux confins d’une forêt déserte afin de vivre des fruits de leur labeur, dans la plus stricte observation des Écritures. Mais une ombre maléfique semble planer sur eux… Situé au moment où les calvinistes arrivèrent d’Angleterre dans l’espoir de refonder un catholicisme pur et dur, The Witch pourrait presque être vu comme une « préquelle » du procès des sorcières de Salem. Sa famille est dysfonctionnelle de fait, car elle a rejeté les lois naturelles pour réduire sa vision du monde à une interprétation rigoriste des textes saints. Cet enfermement physique et mental dans une piété absolue sera paradoxalement la porte d’entrée du Mal : les liens familiaux distendus par la paranoïa religieuse ne sauront résister aux assauts des sorcières des bois et, surtout, du Malin lui-même, qui a pris l’apparence du bouc « Black Phillip ». C’est finalement Thomasin, accusée de sorcellerie par sa famille, qui fera un pas vers le « côté obscur » et trouvera, au coeur de la forêt, la joie indicible de la liberté absolue sous l’oeil (bienveillant ? Malveillant ? Qui sait…) du Diable [...]

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