Dossier : Enquête sur le HFR

En salles depuis le 2 octobre dernier, Gemini Man de Ang Lee ne présente en 2D qu’un intérêt très relatif. En HFR 3D à 120 images par seconde (ou 3D+), l’oeuvre explore en revanche des thématiques passionnantes, son action hero se voyant littéralement menacé d’extinction par une technologie expérimentale. Le gap sensoriel et philosophique entre les deux versions est si saisissant qu’il nous a poussés, près de sept ans après Le Hobbit, à questionner en profondeur les enjeux du cinéma à haute fréquence, en attendant de voir ce que nous réserve James Cameron avec les suites d’Avatar…

Le 11 avril 2011, Peter Jackson annonce qu’il tournera les « deux » chapitres du Hobbit en 48 images par seconde. « Je suis persuadé que l’avenir du cinéma est en haute fréquence » écrit le cinéaste sur sa page Facebook. « Nous espérons qu’il y aura suffisamment de salles capables de projeter Le Hobbit en 48 images par seconde à sa sortie, et les prévisions parlent de 10.000 écrans équipés d’ici à décembre 2012, mais nous ne savons pas encore quelle sera la réalité. » En avril 2012, Warner Bros. organise une projection de dix minutes d’extraits en HFR 3D lors du CinemaCon de Las Vegas. Les professionnels présents déversent leur haine du format sur la Toile, évoquant un rendu proche d’un soap opera (un point de débat récurrent autour du HFR) et une disparition du grain et du flou de mouvement privant l’objet du look cinématographique attendu. En décembre, les réserves des exploitants sont manifestes. L’IMAX de Sydney en Australie fait parler de lui en décidant de projeter le film en 24 fps ; un coup dur pour Jackson. Aux États-Unis, l’offre en 48 fps est médiocre. La France est proportionnellement mieux lotie, les chaînes Pathé, Gaumont et Kinépolis répondant à l’appel du HFR… pour un total d’un peu moins de 40 salles. Tout de même curieux, le public accepte de se confronter à cette nouvelle technologie, mais le débat qui s’ensuit est tendu. À l’entrée des cinémas, des avertissements expliquent que le film n’est pas diffusé en accéléré, et qu’un temps d’adaptation est requis pour profiter pleinement du HFR. Le fait que Jackson ouvre Un voyage inattendu sur une succession de plans brefs et de mouvements rapides n’aide pas, ces derniers accentuant la fluidité « anormale » du format. Si les premières minutes déstabilisent, chaque scène apporte rapidement son lot de détails inédits. Un simple panoramique depuis la Comté vers Cul-de-sac se voit dépourvu du moindre effet stroboscopique. Tout est net, incroyablement défini dans le cadre… au point que la texture des costumes et décors peut dangereusement ressortir. Si la fluidité globale évoque indéniablement une expérience télévisuelle, les gros plans sont d’un intimisme sans précédent, et les panoramas les plus vastes n’ont, dans l’Histoire de l’heroic fantasy, aucun équivalent. Le plus important reste la profondeur et le confort du relief, bien plus immersif et moins migraineux qu’en fréquence standard. Une scène en témoigne tout particulièrement : peu mémorable en 24 images par seconde, le réveil de deux géants de pierre est une vision écrasante et absolument inouïe en 48 fps. 



TOURNAGE EXPÉRIMENTAL
Les réactions face au HFR sont si contrastées et intenses que Jackson décide d’atténuer le niveau de détails durant l’étalonnage de La Désolation de Smaug. Quoi qu’il en soit, l’industrie prend acte des réserves du grand public : alors que X-Men: Days of Future Past avait été tourné en HFR (ce qui est évident dans plusieurs séquences), 20th Century Fox décide de le postproduire et l’exploiter en 24 images par seconde. Peu avant la sortie d’Un voyage inattendu, soit dans une ambiance un peu plus apaisée, nous avions la chance de discuter directement de ce nouveau format avec Andrew Lesnie, génial directeur de la photographie du Hobbit, du Seigneur des Anneaux et de Babe. Disparu en 2015 à seulement 59 ans, l’artiste avait eu à relever un défi technique sans précédent, dans le cadre d’une production colossale. « Sur les 266 jours du tournage principal, nous avons engrangé l’équivalent de 8000 km de pellicule » nous expliquait alors Lesnie. « Vu que nous tournions en 48 fps, vous pouvez doubler ces données, et compte tenu de la 3D, vous pouvez les quadrupler. Comptez pour l’ensemble des rushes environ 1 petabyte (soit 1 million de gigabytes – NDR) de données. C’est le prix à payer pour ce type de matériel. » Cette question d’espace disque n’est pas le seul problème que doit résoudre Lesnie. Compte tenu de la masse d’informations à enregistrer, les caméras RED Epic, encore au stade expérimental, chauffent anormalement, jusqu’à cesser de fonctionner. Des techniciens de RED assistent l’équipe néo-zélandaise au quotidien, et mettent au point un nouveau système de dissipation de la chaleur en plein tournage. En tout, 48 caméras sont utilisées, soit 24 rigs puisqu’il s’agit d’un long-métrage 3D où chaque plan est capté par deux appareils. « Nous avons dû créer de nouveaux périphériques pour pouvoir travailler avec ces caméras. Il fallait qu’on gère la synchro, les timecodes, les références vidéo, le tout connecté sans fil. Il fallait d’ailleurs que notre technologie sans fil puisse gérer plusieurs caméras en même temps. Il y avait tellement d’éléments wireless que le délai de transmission des images est devenu un problème. On a fini par trouver une méthodologie pour que les changements physiques de focales ne durent que trois minutes, et la synchro de l’effet 3D ne dure que deux minutes. Il fallait que le système global soit suffisamment efficace pour qu’on puisse raconter notre histoire sans qu’on se sente influencé par des contraintes technologiques insolubles. »



LE PARRAIN DU HFR
Impossible d’aborder le HFR sans donner la parole à Douglas Trumbull. Connu pour avoir conçu les effets visuels de 2001, l’odyssée de l’espace, réalisé Silent Running, développé les premières grandes attractions sur vérins hydrauliques et participé à la naissance de l’IMAX, Trumbull est un authentique savant fou qui, depuis son laboratoire dans le Massachusetts, expérimente encore aujourd’hui sur les hautes fréquences et le futur de la 3D. Sa volonté d’en finir avec le 24 fps ne date pas d’hier : à l’aube des années 80, Trumbull avait tenté d’imposer le Showscan, un format révolutionnaire projetant une pelli [...]

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