Double trouble : les jumeaux au cinéma
À l’occasion de la sortie sur Prime Vidéo de la relecture sérielle du Faux-semblants de David Cronenberg, voyons double et penchons-nous sur la figure des jumeaux. Mais plutôt que de revenir sur les films présents dans n’importe quel best of de la gémellité horrifique (du Faux-semblants précité à Basket Case en passant par le récent Goodnight Mommy), il nous a semblé plus opportun de nous attarder sur des titres plus méconnus ou pas assez célébrés. Mais attention aux spoilers !
Honneur aux anciens, entamons ce voyage dans la gémellité horrifique du côté de la Hammer. Ultime chapitre de la trilogie Karnstein initiée avec The Vampire Lovers et La Soif du vampire, Les Sévices de Dracula (1971) – titre auquel on préférera l’original, Twins of Evil, vu que Dracula n’apparaît pas dans le film – met en scène deux sœurs jumelles bien plus vicieuses que les demoiselles de Rochefort.
Habituées à une existence oisive dans la cité des Doges, Maria et Frieda, devenues orphelines, sont recueillies par leur oncle Gustav (Peter Cushing), un fanatique religieux qui brûle des jeunes filles suspectées de sorcellerie dans une petite ville autrichienne. Pas du tout disposée à vivre sous le joug d’un tonton puritain, Frieda plonge tête baissée dans la gueule du loup, à savoir celle de l’aristocrate libertin Karnstein, comte de son état. Elle ignore que celui-ci a scellé un pacte avec son ancêtre Carmilla, qui a fait de lui un nosferatu. Bien entendu, Frieda ne tarde pas à subir le même sort.
Nanti d’une direction artistique qui en met plein la vue et d’une réalisation dynamique signée John Hough (La Maison des damnés), Twins of Evil vaut principalement pour son érotisme gothique (Coppola se souviendra des nuisettes transparentes dans son Dracula), avec en premier lieu la plastique de ses héroïnes incarnées par Mary et Madeleine Collinson, deux vraies jumelles venues de l’île de Malte dont le plus grand fait d’armes est d’avoir posé dans Playboy (aujourd’hui, on a droit à Marlène Schiappa…).
Maria et Frieda ont beau être parfaitement identiques (ce qui sert de ressort dramatique à plusieurs reprises), elles sont d’un caractère très différent : là où Maria est sage, réservée et romantique (voir sa relation avec le jeune professeur joué par David Warbeck dix ans avant L’Au-delà), Frieda est rebelle, mystérieuse et impulsive, ce qui ne l’empêche pas d’adorer sa sœur et d’être torturée à l’idée que ses pulsions la poussent à la mordre.
Martin Potter et Judy Geeson dans Goodbye Gemini.
D’un point de vue thématique, il s’agit là d’une des productions les plus riches de la Hammer : en effet, difficile de voir dans l’oncle et ses sbires le camp du Bien face à un comte certes décadent mais victime d’une malédiction familiale. Quant à Frieda, elle trouve une vraie liberté en rejoignant les rangs des vampires, au risque de mettre en danger la vie de Maria. Tout l’intérêt du film réside dans cette ambiguïté et dans ces trois personnages, bien plus que dans ceux de Maria et du professeur dont elle s’entiche, plus modérés et donc moins complexes.
Également réalisé par un habitué de la Hammer (Alan Gibson, à qui l’on doit Dracula 73 et Dracula vit toujours à Londres), Goodbye Gemini (1970) va beaucoup plus loin dans l’aspect sexuel. Étudiants issus d’une famille très aisée, les jumeaux Jackie (Judy Geeson, L’Étrangleur de la place Rillington) et Julian (Martin Potter, Fellini Satyricon) débarquent à Londres et s’installent dans la maison où ils sont censés séjourner. Ou plutôt en prennent possession, puisqu’ils ont tôt fait de se débarrasser de leur propriétaire pour être tranquilles.
On comprend très vite que sous leurs airs innocents, ni le frère ni la sœur ne sont très équilibrés. Jackie se promène partout avec un ours en peluche qui lui sert de confident et sa relation avec Julian dégage un fort parfum d’inceste, celui-ci ne lui cachant pas être sexuellement attiré par elle.
En jouant les noctambules dans les clubs de la ville, ils font la connaissance de Clive (Alexis Kanner, le numéro 48 de la série Le Prisonnier), un mac criblé de dettes qui cherche à soutirer de l’argent aux jumeaux. Après l’avoir drogué, il emmène Julian dans un bordel et le prend en photo en train de se faire violer par deux travestis afin de le faire chanter. Mais on ne s’en prend pas impunément à des jumeaux psychopathes…
Daphne Zuniga dans Vœux sanglants.
Goodbye Gemini prend pour toile de fond le Swinging London de la fin des sixties pour raconter une histoire d’amour méchamment tordue prenant place dans un milieu underground queer rarement décrit à l’époque. Cette modernité thématique se reflète dans une mise en scène stylisée riche en angles de caméra audacieux mis en valeur par la photographie du grand Geoffrey Unsworth (2001, l’odyssée de l’espace).
Film étrange, plus suggestif que démonstratif – ce qui ne l’empêche pas de laisser une forte impression –, Goodbye Gemini est certes un peu daté mais reste un modèle de romantisme déviant.
MEURTRES EN CASCADE
Terrain de jeu idéal des twists improbables, le slasher s’empare avec délices de la figure des jumeaux. Dans Vœux sanglants (The Initiation, 1984, sorti en pack avec le MadMovies 336), Kelly (Daphne Zuniga, La Mouche 2), amnésique depuis qu’elle a été blessée à la tête lorsqu’elle avait neuf ans, vient d’entrer à l’université et souffre de cauchemars récurrents où elle voit un homme brûler vif dans la maison de son enfance.
Contre l’avis de ses parents, elle décide de se livrer à une expérience menée par un séduisant professeur (James Read, le pote de Patrick Swayze dans Nord et sud), laquelle est censée lui permettre de comprendre la signification de ce rêve. Entre deux séances, elle se prépare à effectuer avec quelques camarades un rituel d’initiation dans le but d’intégrer la sororité de sa fac. Ledit rituel consiste à pénétrer par effraction dans une sorte de Galeries Lafayette texan dont son père est propriétaire et à voler l’uniforme du veilleur de nuit.
Pendant ce temps, à plusieurs kilomètres de là, l’infirmière en chef d’un asile est assassinée et des patients s’échappent. Ce n’est que le premier d’une série de meurtres dont le père et les amis de Kelly sont à leur tour victimes. À la fin de l’histoire, l’héroïne se retrouve face à l’auteur du massacre qui n’est autre que Terry, une sœur jumelle maléfique qu’elle n’a jamais connue puisqu’elle était enfermée dans l’asile.
Deborah Foreman dans Week-end de terreur.
Seule qualité du film : il est littéralement impossible de voir venir ce twist sorti de nulle part puisque les raisons qui poussent Terry à dessouder tout le monde à l’aide d’un arsenal allant de l’outil de jardinage au harpon en passant par un arc sont assez nébuleuses. La scène où les sœurs se rencontrent enfin donne par ailleurs l’occasion à Daphne Zuniga de jouer la folie avec une étonnante économie de moyens : elle gesticule en écarquillant les yeux et en faisant des grimaces tout en s’esclaffant très fort. Effet comique garanti.
Dans Week-end de terreur (April Fool’s Day, 1986), des étudiants sont invités à venir passer le spring break dans le manoir des parents de leur amie Muffy (Deborah Foreman, Waxwork) sur leur île privée. Mais l’affaire s’engage plutôt mal : à peine sont-ils arrivés qu’un des marins qui les accompagne lors de la traversée est grièvement blessé dans un accident.
Une fois installés, ils sont victimes de quelques poissons d’avril imaginés par Muffy. Rien de bien méchant, jusqu’à ce que les invités commencent à être massacrés les uns après les autres et qu’on retrouve la tête de Muffy dans la cave. Comme dans Vœux sanglants, on apprend alors que Muffy a une jumelle prénommée Buffy (!) : échappée d’un asile, elle a tué tout le monde en se faisant passer pour sa sœur après avoir décapitée cette dernière.
C’est du moins ce [...]
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