Dossier : Dix joyaux de la Nikkatsu chez Bach Films

Poursuivant son défrichage des nouveaux territoires d’une cinéphilie décalée et éclectique, l’éditeur indépendant Bach Films se lance pour la première fois à l’assaut du cinéma de genre japonais. La parution de dix inédits produits par le studio Nikkatsu de 1965 à 1971, dont deux sagas, offre un panorama de l’inventivité des formes du cinéma d’action nippon autant que du renouvellement de ses figures héroïques et de leur féminisation progressive.
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Seul titre dominé par un héros masculin, Les Tueuses en collants noirs (1966) met en scène un reporter de guerre de retour du Vietnam qui se retrouve au coeur d’une lutte pour un trésor entre une bande de ninjettes et des gangsters japonais et américains. Le protagoniste est incarné par Akira Kobayashi, mâchoire carrée et cheveux gominés de crooner. Numéro deux de la « Diamond Line », il fait partie de cette écurie de vedettes masculines qui, au tournant des années 1960, ont forgé le courant « Nikkatsu Action » : un cinéma d’action « sans frontières », fortement inspiré du cinéma hollywoodien. Le genre, en voie d’épuisement, parvient néanmoins à se réinventer sous le signe de la parodie. Comédie d’espionnage aux accents sexy et kitch, Les Tueuses en collants noirs emprunte allègrement aux James Bond ses gadgets les plus fantaisistes : chewing-gums aveuglants, vinyles-shuriken, mètre-épée, sans oublier un « canon à main » délicieusement anachronique. Le film s’amuse de ses détournements, tels ces clins d’oeil à Goldfinger. Rythmé par un enchaînement de péripéties aussi haletantes qu’un Lupin III, le film vaut surtout pour son esthétique pop sixties et ses trouvailles de mise en scène, rappelant que son réalisateur, Yasuharu Hasebe, dont c’est le premier long-métrage, est un disciple de Seijun Suzuki dont il fut l’assistant. La séquence onirique du film, faite d’un enchaînement d’aplats monochromatiques, évoque les expérimentations de La Vie d’un tatoué, poussées à leur paroxysme dans Le Vagabond de Tokyo. Outre le traitement des couleurs, l’influence plastique du maître se fait également palpable dans le découpage stylisé et elliptique des scènes d’actions rythmées au son de scores jazzy, comme le meurtre de Lopez par les ninjettes aux angles de caméra détonants.


UNE SÉRIE PIONNIÈRE
Si chaque titre mérite l’attention pour ses hautes qualités de production, la véritable rareté se niche dans la trilogie Woman Gambler (1965-66), inédite en vidéo, y compris dans l’archipel. Sa particularité historique est d’être la première série à figurer une héroïne yakuza. Pour contrecarrer la popularité des ninkyo eiga, les films de yakuza chevaleresques de la Tôei, la Nikkatsu tente d’en rénover la forme. Aux commandes, Hiroshi Noguchi, un cinéaste artisan accompli qui avait débuté avant-guerre, et plus connu sous le prénom de Haruyasu, sous lequel il signe le seul film de monstres produit par la Nikkatsu : Gappa, le descendant de Godzilla. À noter qu’il fut également le mentor de Seijun Suzuki, qui était son assistant à la Nikkatsu.
De facture classique, tournés dans un splendide Scope en noir et blanc, les Woman Gambler empruntent volontiers aux codes du film noir américain pour leur usage expressionniste des jeux d’ombres et de lumière. S’y ajoute une trame narrative parallèle, à travers une enquête de police, qui se déroule en arrière-plan de The Cat Gambler et Woman Gambler. L’occasion de découvrir, dans un petit rôle de sous-inspecteur, un tout jeune Tatsuya Fuji, qui deviendra mondialement célèbre grâce à L’Empire des sens. Mais celle qui irradie chaque chapitre de son talent d’actrice, autant que de sa dextérité au lancer de dès, c’est Yumiko Nogawa. Elle campe Yukiko Eguchi, une jeune femme devenue croupière pour le milieu afin de retrouver l’assassin de son père. Sa gestuelle assurée, l’expressivité de son visage ainsi que sa sensualité débordante, illuminent les séquences de jeu. Selon un entretien, elle aurait appris les gestes du maniement du gobelet auprès d’un véritable yakuza qui avait à l’époque des liens avec la Nikkatsu. Actrice fétiche de Seijun Suzuki qui l’a révélée en prostituée vêtue de vert dans La Barrière de chair, elle montre des dispositions étonnantes d’interprète dramatique. Elle insuffle à chaque épisode sa dimension mélo, en particulier dans son renoncement amoureux, lors du final de Woman Gambler. Comédienne atypique, elle avait refusé à ses débuts de signer un contrat d’exclusivité avec la Nikkatsu, car elle n’appréciait pas la mani&egra [...]

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