Dossier : Dans la peau de Nicolas Cage

Après une année 2017 calamiteuse avec six compositions à côté de la plaque dans des productions passées sous tous les radars, Nicolas Cage a bien redressé la barre en 2018, avec pas moins de sept performances plus habitées. De l’intériorité foutraque à la roue libre la plus extrême, le jeu de notre bon vieux Nico possède un spectre aussi large et mouvant que celui de la sexualité ; en voici dix aperçus parmi tellement d’autres.
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PEGGY SUE S’EST MARIÉE 
DE FRANCIS FORD COPPOLA (1986)
Au début des années 1980, Nicolas Coppola est encore ce rebelle sans cause qui écume les castings de sa présence par trop volontaire, gueule et dégaine de marlou, le cheveu déjà rétif à toute forme d’autorité. Dès son deuxième film, il change de nom en hommage à Luke Cage, son héros de comics préféré, pour éviter tout soupçon de népotisme. Ce qui ne l’empêche pas de jouer dans Rusty James et Cotton Club de son oncle Francis Ford, avant de tenir un rôle plus conséquent dans Peggy Sue s’est mariée, en amour de jeunesse devenu mari toxique de Kathleen Turner. Même si ses rôles de sportif bas du front (dans le pilote de la série Best of Times) et de punk bourgeois dans Valley Girl laissent deviner un certain allant mutant, c’est dans cette ultime collaboration avec tonton qu’il lâche pour la première fois la bride à ses interprétations d’un autre monde, loin de toute méthode connue. Dès sa première scène, son Charlie déboule au bal des anciens du lycée, moquette pectorale et dents en avant, cheveux gominés en arrière, costard blanc, voix de crécelle empruntée à un personnage de dessin animé des années 1950. Le réalisateur et les producteurs détestent son approche, en décalage cartoonesque avec le ton recherché. Sa partenaire Kathleen Turner s’en plaint plusieurs fois à Francis Ford Coppola, convaincu de force plus que de gré par son insistant neveu de persister dans cette voie. Nicolas Cage se construit dans cette incarnation séminale, à l’écoute de son instinct qui lui vocifère de foncer tête baissée dans l’expressionnisme, quoi que lui recommande désespérément son entourage. De fait, son binôme avec un Jim Carrey débutant n’en fonctionne que mieux, et son jeu amène illico une maladresse à ce personnage de gros m’as-tu-vu fragile. Contre toute attente, la greffe fonctionne. 




EMBRASSE-MOI, VAMPIRE DE ROBERT BIERMAN (1988)
Un col blanc bien relou, American Psycho avant l’heure, infernal avec sa secrétaire, se fait mordre au cou par l’une de ses conquêtes d’un soir. Dès lors, des symptômes étranges et sa stabilité mentale toute relative le persuadent qu’il se transforme en vampire. Une oeuvre cruciale dans la carrière de Nicolas Cage – à ce jour, l’une de ses performances préférées, celle qui lui a permis de théoriser le versant le plus extraverti de son acting sous l’intitulé de « Western Kabuki ». Le principe ? Surjouer sans aucune retenue, tout donner dans une énergie inquiétante, laisser sortir le Diable de sa boîte et se brûler les ailes dans un rire dément, sur le modèle des acteurs de théâtre japonais à l’expressivité poussée au maximum. Embrasse-moi, vampire ou le récit d’une contamination double : le personnage succombe à sa psychose incontrôlable, l’acteur expérimente l’abandon vers la folie furieuse. L’appétit aiguisé par les deux temporalités de Peggy Sue s’est mariée, Nicolas Cage explore en profondeur ce penchant pour la dualité qui jalonnera sa filmographie. Ici, elle prend la forme d’une bipolarité aussi amusante dans ses excès (la fameuse séquence de récitation rageuse de l’alphabet) que terrifiante dans ses sautes d’humeur inattendue. Avant qu’il ne rencontre son issue funeste, un montage parallèle le montre d’un côté en pleine rue, hagard, décoiffé, la chemise couverte de sang, tout en soliloque décousu tandis que des badauds interdits par cette vision hâtent le pas à l’arrière-plan ; de l’autre tiré à quatre épingles, en pleine confession à sa psy, la skyline new-yorkaise visible à travers la baie vitrée dans son dos. Deux versions d’un même personnage à peine contenu par son environnement, interprétées avec la même fièvre. Le monstre est vivant, lâché en pleine nature. Il faut le nourrir. 




SAILOR ET LULA DE DAVID LYNCH (1990)
Lula Fortune (Laura Dern) et Sailor Ripley (Nicolas Cage) quittent une réception guindée. Dans les escaliers, un homme de main envoyé par sa belle-mère intercepte Sailor. Un court dialogue s’ensuit. Sailor contient sa rage à grosse respiration sonore derrière un sourire acide. Le sbire sort un couteau, Lula crie, Sailor empoigne son assaillant, le projette violemment contre le mur, le roue de coups, lui éclate la tête contre la rampe puis contre le sol, sur les riffs inauguraux du morceau Slaughterhouse de Powermad. Il projette le corps sans vie une dernière fois dans les airs, comme une vulgaire poupée de chiffon. S’appuie contre le mur, reprend sa respiration. S’allume une cigarette. Regarde sa belle-mère en haut des marches, la pointe de son index ensanglanté, les lèvres déformées par un rictus déviant. Le regard de Nicolas Cage à la fin de cette foudroyante introduction devrait hanter quiconque a osé, un jour, émettre le moindre doute sur le charisme de l’acteur. Dans cette adaptation du roman de Barry Gifford, David Lynch livre sa vision hautement personnelle de ce qu’il reste du rock’n’roll à la mort des années 1980. Du kitsch clinquant en cohabitation avec de la pourriture, du cul moite avec du gore sale, des figures décaties qui refusent de vieillir et défilent comme des spectres dans des salons vides. Évidemment, dans ce tableau, Elvis ne peut qu’être campé par Nicolas Cage et ses fringues en peau de serpent, ses mouvements désarticulés de performer sous quatorze variétés d’amphétamines. Il va sans dire que le comédien s’investit corps et âme et ne fait qu’un avec son rôle. Magnétique, animal, il se déhanche à s’en fracturer le coccyx, bouffe Laura Dern du regard à bouchées goulues dans chaque scène, invente des gestes qui n’existent pas. Rien ne peut être prouvé, mais il se peut que la survie du rock ne tienne qu’à ce rôle. 





DEAD FALL : LES PROS DE L’ARNAQUE 
DE CHRISTOPHER COPPOLA (1993)

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