Dossier : Creepypasta

Avec la série Channel Zero, Nick Antosca et ses sbires ont réussi la première transposition à l’écran du grand phénomène de trouille virale de la décennie, les « creepypasta », équivalents 2.0 des éternelles légendes urbaines. La série débarque enfin dans les bacs français chez Elephant Films, prête à inoculer ses récits hantés au plus grand nombre.
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Il se murmure que lors du rachat de la Fox par Disney, les services techniques officieux de la firme aux grandes oreilles ont traqué les dernières copies physiques et numériques d’un épisode inédit des Simpson, a priori censuré mais toujours présent dans les archives du show animé et susceptible d’être rediffusé de façon hasardeuse. L’épisode démarre avec une énième manigance de Bart, affairé à ouvrir le hublot d’un avion de ligne en plein vol. Il arrive à ses fins, se fait happer par l’appel d’air avant que le personnel de bord n’ait pu intervenir. Il chute dans le vide dans un long hurlement pendant plusieurs minutes, s’écrase sur la terre ferme sans que rien ne nous soit épargné de la dislocation de son corps. Aucun gag à l’horizon, ne suit que la douloureuse description du deuil de sa famille. Ellipse. Un an plus tard, les Simpson sont à table dans leur fameuse cuisine, les yeux dans le vide, sans dire un mot. Maggie est absente, pour une raison inexpliquée. Ils se lèvent, toujours en silence, sortent de la maison. Les rues de Springfield sont vides. Plus les Simpson progressent, plus le paysage se noircit, plus le brouillard s’épaissit. La famille arrive aux portes du cimetière, ouvre les grilles, avance entre les stèles. Sur la tombe de Bart, son cadavre inhumé, inchangé depuis l’issue de sa chute fatale. Marge et Lisa demeurent prostrées, Homer ouvre la bouche, son visage se crispe, semble exprimer un terrible hurlement d’affliction mais ne laisse échapper aucun son. Générique. L’épisode a traumatisé tous les spectateurs qui l’ont vu lors de sa diffusion nocturne accidentelle… c’est-à-dire personne, puisqu’il s’agit d’une pure invention née sur des forums Internet, agrémentée de fausses captures d’écran, de montages approximatifs à partir d’épisodes existants ou de détails censés appuyer sa crédibilité (ici, le rôle introductif des hommes de main de Disney). « Dead Bart » est une « creepypasta », mot-valise constitué du qualificatif « horrible » (« creepy ») et du principe de copier-coller (« copy/paste »), désignant des récits d’horreur fictifs inventés sur la Toile par des auteurs majoritairement anonymes pour mieux renforcer l’aura nébuleuse de leurs écrits. À tel point qu’il s’avère aujourd’hui assez ardu de retracer un historique exact de ce mouvement, même si un faisceau d’indices concordants inclut les premières chaînes de mails virales promettant une malédiction en cas de refus de forwarder le message, ou encore l’apparition des premiers newsgroups.




BACK MIRROR
Dans le podcast Le Bureau des mystères (transposé en livre le mois dernier chez l’éditeur Flammarion), Charles et Mathias ont, à de nombreuses reprises, abordé le sujet des creepypasta. Ils font remonter la première occurrence pop culturelle du phénomène à 1999. « Le marketing du premier Projet Blair Witch avait utilisé le transmédia en diffusant sur Internet des informations parcellaires qui introduisaient l’histoire du film, et développaient son lore (terme désignant l’univers dans lequel se situe une oeuvre – NDLR). De mémoire, je dirais que c’est la première fois qu’une fiction utilisait le Web de cette manière, dans un brouillage entre réalité et fiction, directement hérité de la culture de la légende urbaine. » Avantage certain des creepypasta sur la bonne vieille histoire racontée autour du feu avec des chamallows : l’attirail technique du Net, qui permet d’appuyer son récit de multiples sources. La légende du Slender Man (voir encadré) a prospéré sur un impressionnant vivier d’entrées de blogs, de posts, de photos/dessins/vidéos truqués et tronqués. Mais quelle que soit la richesse d’une creepypasta en matière de documents soi-disant diégétiques, son premier atout sera toujours son conteur, son talent de réappropriation et son angle narratif. « J’ai essayé de raconter l’histoire de Dear David dans le livre du Bureau des mystères, mais ça ne fonctionnait pas en le faisant à la troisième personne. Comme pour les légendes urbaines, la narration à la première personne est une des composantes essentielles d’une creepypasta efficace. Elles sont en majorité écrites ainsi, ou sous la forme de documents retrouvés (ce qui évoque évidemment le found footage du cinéma d’horreur). Ce qui importe, c’est de se souvenir des grandes étapes du récit, de se le réapproprier en insérant des détails qui ajoutent des effets de réel. » Et comme les found footage dans le cinéma d’horreur du début de millénaire, les creepypasta se sont répandus en masse sur le Web, dans un foisonnement de contenus de qualité et de longueur extrêmement variables. La résurgence d’éléments vintage (séries, cartouches de jeux vidéo, premiers univers ouverts en ligne) et l’affiliation aux tropes du cinéma de genre des années 1970/1980 laissent parfois augurer de l’âge de leurs auteurs, trahissent un élan générationnel encore intimidé par la pratique du tout numérique. Le cadre exclusivement 2.0 des creepypasta n’implique pas pour autant une technophobie à la Black Mirror. « La technologie est très rarement au centre du récit, et lorsque c’est le cas, on est plus proche du thème de l’objet hanté, de façon très classique. Plus qu’un vrai traitement du numérique, on a [...]

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