Dossier créatures géantes
LA CRÉATURE GÉANTE TOXIQUE
GODZILLA VS HEDORAH DE YOSHIMITSU BANNO (1971)
Onzième épisode de la saga initiée par Ishirô Honda en 1954, Godzilla vs Hedorah de Yoshimitsu Banno se pose en lanceur d’alerte, face à la pollution qui commence à envelopper les grandes métropoles dans d’épaisses nappes de brouillard. Pour asséner son message écolo, la Toho répète en boucle une chanson moralisatrice, intercale des scènes d’animation très louches et se perd dans des scènes de boîte de nuit et d’hallucinations à vous dégoûter d’essayer la moindre substance illicite. Hedorah, le monstre en titre, est quant à lui un amas de déchets qui finit par se transformer en soucoupe volante organique, capable de projeter des lasers et des excréments à travers l’écran. Quand elle ne pulvérise pas les pauvres citoyens de Tokyo façon Mars Attacks !, la bestiole se soulage aux quatre vents, de préférence en direction de ce gros pataud de Godzilla. Pataugeant un bon moment dans la fiente, le gentil géant finira par arracher les tripes de son adversaire, avant de se projeter dans les airs en marche arrière, propulsé par un souffle radioactif inépuisable. Si la pollution inquiète en 1971, le nucléaire, lui, ne semble pas poser le moindre problème !
A.P.
LA CRÉATURE GÉANTE EXOTIQUE
LE COLOSSE DE HONG KONG DE HO MENG-HUA (1977)
Tellement impressionnée par le succès du King Kong de 76 qu’elle en abandonne un moment les arts martiaux, la puissante Shaw Brothers riposte immédiatement avec ce décalque chinois, intitulé à l’international The Mighty Peking Man ou même Goliathon ! Cependant, le plus fort est que le plagiat se marie ici au vieux genre du film de sauvageonne. En effet, la Fay Wray de service n’est pas un membre de l’expédition, mais une blonde orpheline qui a grandi dans la jungle sous la protection bienveillante du singe géant. Du coup, on a l’impression de voir un spectacle pour enfants qui serait bizarrement ponctué de morts violentes, de déshabillages et d’agressions sexuelles tartignoles. Un délice pour les esthètes décadents.
G.E.
LA CRÉATURE GÉANTE RIDICULE
THE GIANT CLAW DE FRED SEARS (1957)
Si les Japonais tiennent avec le ptérosaure supersonique du Rodan d’Ishirô Honda un bel oiseau atomique, les Américains font en comparaison pâle figure avec le volatile extraterrestre de The Giant Claw. Un strabisme à la Marty Feldman, un long cou déplumé, un improbable duvet au sommet du crâne, un bec de perruche plein de dents… La marionnette d’un ventriloque ? Non, il s’agit bien d’un monstre au premier degré, venu sur Terre pondre et couver ses oeufs. Ceux-ci réduits en omelette, la créature pique une colère noire et redouble d’efforts dans les destructions, scènes affligées de trucages pathétiques, notamment lorsque l’emplumé d’un autre monde attaque un train, un avion de chasse, l’Empire State Building et même le siège de l’ONU. Pauvre Fred Sears, qui dut amèrement regretter que le producteur Sam Katzman n’ait pas eu les moyens de se payer les effets spéciaux de Ray Harryhausen, avec qui il venait de tourner Les Soucoupes volantes attaquent.
M.T.
LA CRÉATURE GÉANTE POLITIQUE
GODZILLA RESURGENCE DE HIDEAKI ANNO & SHINJI HIGUCHI (2016)
Le 31e épisode de la série Godzilla peut paraître assez classique au premier abord : l’intrigue revient en effet au concept des débuts, c’est-à-dire une créature disproportionnée qui se fraie un chemin à travers une mégalopole japonaise, dévastant absolument tout sur son passage. Les motivations du long-métrage s’éloignent toutefois de l’exploitation dans laquelle la saga s’était embourbée au fil des décennies : tout comme l’original d’Ishirô Honda tentait d’exorciser le traumatisme de Hiroshima et Nagasaki, Godzilla Resurgence (Shin Godzilla en VO) apparaît comme une séquelle directe du tsunami de 2011. Chaque apparition du monstre (d’abord dans une forme embryonnaire évoluant ensuite au fil du récit) est décrite comme une catastrophe naturelle glaçante et d’un réalisme inouï, et le Japon tout entier est appelé à réagir en temps réel. Si le spectacle est total, notamment lors d’une cauchemardesque attaque nocturne de la créature sur le centre-ville de Tokyo (probablement l’une des séquences les plus hallucinantes de l’Histoire du kaiju eiga), c’est l’aspect logistique du désastre qui intéresse avant tout l’auteur. S’ils sont nombreux et parfaitement incarnés, les personnages passent au second plan ; un choix risqué qui sert parfaitement l’approche cérébrale, pour ne pas dire sacrément maniaque, de Hideaki Anno.
Assisté par Shinji Higuchi, superviseur des effets visuels de la formidable trilogie Gamera des années 90 et réalisateur des deux adaptations live de L’Attaque des titans, le créateur de Neon Genesis Evangelion signe ici l’une de ses oeuvres les plus ambitieuses, et de loin la plus cronenbergienne. S’il n’y a pas de héros à proprement parler dans Godzilla Resurgence, le Japon semble lui-même tendre vers une « nouvelle chair » : le pays est décrit ni plus ni moins comme un monstre géant, dont la tête (le gouvernement et ses diverses branches administratives) ordonne aux bras (police, armée) et aux jambes (transports et travaux publics) des actions précises afin de circonscrire la progression de l’envahisseur. Le concept peut paraître abstrait, mais le souci du détail du script rend l’ensemble évocateur et totalement cohérent. La manière dont les informations circulent entre les décideurs et les exécutants, tel un jeu de dominos étalé sur plusieurs kilomètres, donne le vertige : également scénariste de l’objet, Anno a vraisemblablement passé des mois à se demander quelles répercussions pourrait bien avoir telle ou telle décision du gouvernement, et combien d’entités successives seraient affectées par la réaction en chaîne. Le poids de la hiérarchie décrit par le long-métrage finit par conférer au Japon une sensation de lenteur et de lourdeur extrêmes ; exactement ce que l’on attend d’un monstre géant. Épique et virtuose, Godzilla Resurgence est une expérimentation unique, dont les visions flamboyantes (au hasard, le rayon radioactif du roi des kaiju n’a jamais été aussi terrifiant) devraient marquer l’Histoire du cinéma fantastique pendant un bon moment.
A.P.
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