
Conjurer le sort, le cinéverse de James Wan
À l’échelle industrielle hollywoodienne, James Wan est une licorne : un créateur de tendances, capable de rebondir après une série d’échecs, de prendre les rênes de blockbusters mastodontes tout en supervisant les multiples séquelles et spin-offs des franchises initiées par ses soins. À la veille de la sortie du cinquième Insidious, à l’avant-veille de celle de La Nonne II, il convient de rappeler que derrière la machine de guerre bat un cœur sanguinolent, alimenté par un authentique amour du bis.
La production du tout premier Saw est entrée dans la légende du cinéma d’horreur. Deux amis australiens, James Wan et Leigh Whannell, tournent un court-métrage d’une dizaine de minutes à même de démontrer le potentiel de leur concept. Whannell y joue déjà le rôle d’un supplicié contraint de fouiller les entrailles d’un infortuné encore vivant pour trouver la clé qui le libérera du mécanisme élaboré par Jigsaw. Et Wan y déploie déjà son amour des poupées inquiétantes, cette esthétique de friches délavées et ce montage agressif qui finiront par caractériser la saga.
Produit pour moins de 2 millions de dollars, Saw premier du nom explose le box-office à tel point qu’un projet de suite est immédiatement lancé. Leigh Whannell remanie un script original de Darren Lynn Bousman pour l’inscrire dans la continuité de la saga naissante, mais James Wan passe son tour.
Comme il s’en expliquait en 2010 à l’inestimable Alexandre Poncet au moment de la sortie d’Insidious, « Je n’ai rien contre les suites et les remakes, mais dans les deux cas, il faut réussir à apporter quelque chose d’unique et de nouveau. Quand on m’a demandé de tourner Saw II, je n’ai pas su comment m’y prendre. J’avais déjà raconté cette histoire et j’avais l’impression que j’allais me répéter. Si j’avais trouvé une nouvelle direction, je l’aurais fait. »
Il peut paraître sagouin de ressortir cette citation datant d’une époque où le futur producteur n’a pas encore à son tableau de chasse trois Conjuring, autant d’Annabelle et bientôt cinq Insidious.
Mais le fait est que James Wan assume toujours ce point de vue dix ans plus tard quand il est interrogé sur une éventuelle suite de M3gan, en amont de la sortie de cette production du studio Blumhouse dont il revendique la paternité de l’idée originale.
Il évoque pour justifier sa réserve une part de superstition ainsi qu’un besoin de sortir des sentiers battus et de mettre sur pied des projets barjos qu’il aurait envie de voir en salle. Il pourrait y avoir de la langue de bois dans la bouche du metteur en scène de deux énormes succès ayant dépassé le milliard de recettes au box-office mondial (Fast & Furious 7 et Aquaman), mais d’une, son enthousiasme semble inchangé depuis ses toutes premières interviews, et de deux, il a signé contre toute attente l’un des films bis les plus furibards de la jeune décennie des années 2020 avec Malignant.
James Wan prépare un plan dans le décor du premier Saw.
LA MORT LUI VA SI BIEN
Le genre pur et dur était déjà la voie choisie par le cinéaste à la suite du carton de Saw, avec deux productions originales au budget confortable mais relativement modeste de 20 millions de dollars chacune. Dead Silence (2007), coécrit avec Leigh Whannell, le voit rester dans le domaine de l’horreur, mais dans un registre radicalement différent des délires vengeurs de Jigsaw, dont les séquelles n’en finissent plus de prostituer des gimmicks de mise en scène tapageurs.
Wan entame pour l’occasion sa collaboration avec le directeur de la photographie John R. Leonetti, qu’il retrouvera sur le film suivant, les trois premiers Insidious et le premier Conjuring. Au revoir les couleurs de clou rouillé en vogue dans le torture porn, bonjour les simili-nuits américaines en intérieurs vieillots aux mille détails glauques. La réalisation gagne en lisibilité et en efficacité, le montage fricote avec la tentation du jump scare mais finit par lui préférer une horreur plus suggestive, plus dérangeante, centrée sur la déformation faciale et corporelle. Ce parti pris colle parfaitement à une histoire aux bases grotesques de ventriloque et de poupées maudites.
La fête est, hélas, en partie salopée par un gros ventre mou à mi-parcours et par les deux têtes d’affiche masculines, les falots Ryan Kwanten et Donnie Wahlberg, à peine rattrapés par des seconds rôles de première bourre comme cette vieille ganache de Bob Gunton.
Le problème ne se posera plus dans Death Sentence (2007), refonte de l’univers littéraire créé par Brian Garfield à l’origine (lointaine, très lointaine) des films de la saga Un justicier dans la ville. Kevin Bacon y campe un cadre sup’ fermement décidé à démastiquer lui-même le gang responsable de la mort de son fils, quitte à y perdre son humanité, son âme et le peu de famille qu’il lui reste.
Wan en pleine discussion avec Kevin Bacon durant le tournage de Death Sentence.
Leonetti a cette fois-ci pour consigne de composer une image tout en nuances de noir, imprégnée de poussières en suspension et de néons rouges clignotants, dans une fusion cradingue entre le New York des années 1970-80 et les ghettos contemporains. James Wan adapte son style à un récit cru, d’une sécheresse radicale ayant favorisé les interprétations circonspectes.
Il y a, incontestablement, une forme d’iconisation du personnage principal dans la toute dernière partie, lorsqu’il n’a plus rien à perdre et que sa brutalité atteint son apogée. Mais James Wan et son scénariste Ian Mackenzie Jeffers ne font aucun mystère du prix colossal à payer pour en arriver là, ni de la tétanie frappant le personnage principal lors de l’incroyable séquence de poursuite dans le parking.
Même si le film doit concéder un semblant de happy end, où un Kevin Bacon zombifié et à deux doigts de clamser sur son canapé regarde une vidéo familiale, difficile d’en retirer la moindre satisfaction ou le moindre soulagement.
Les productions de James Wan, et dans une certaine mesure celles de Leigh Whannell, s’imprègnent invariablement, à des degrés divers, de l’air du temps. Le virage réactionnaire et punitif de la saga Saw peut en attester : l’heure n’est pas franchement à un regard progressiste sur les questions de criminalité et de justice.
Dead Silence reprenait déjà à son compte le principe d’une justice d’outre-tombe, l’heure est clairement à la rétribution dans le cinéma de genre américain. Mais contrairement aux premiers méfaits de Jigsaw, la ventriloque vengeresse et le vigilante ne font pas école, tant s’en faut. Les deux films ne rentrent pas dans leurs frais e [...]
Il vous reste 70 % de l'article à lire
Ce contenu éditorial est réservé aux abonnés MADMOVIES. Si vous n'êtes pas connecté, merci de cliquer sur le bouton ci-dessous et accéder à votre espace dédié.
Découvrir nos offres d'abonnement