Dossier Aldo Lado

Né au début des années 1930, Aldo Lado fait ses armes comme assistant auprès de Maurizio Lucidi et Bernardo Bertolucci. Il a 34 ans lorsqu’il se lance dans l’écriture avec le scénario d’Une charogne est née, western dont le seul intérêt réside dans un twist final qui établit directement Lado comme un franc-tireur créatif, qui ne souhaite pas forcément se conformer aux règles établies des genres qu’il aborde. Après avoir travaillé plusieurs mois avec Dario Argento sur le script de ce qui deviendra L’Oiseau au plumage de cristal (dont le réalisateur s’attribuera la paternité), Lado retrouve Lucidi et rempile dans le giallo avec La Victime désignée, brillante relecture vénitienne et torturée de L’Inconnu du Nord-Express où Pierre Clémenti, parfait en aristocrate décadent, vampe le pauvre Tomas Milian dans un numéro très queer. Lado signe ensuite la comédie criminelle Un’anguilla da 300 milioni pour Salvatore Samperi, où Ottavia Piccolo est une riche héritière qui se cache chez des pêcheurs d’anguilles et monte un faux kidnapping afin de rançonner ses parents. Mais le temps est venu pour lui de mettre en scène ses écrits : avec Je suis vivant !, il entame une série de films qui vont faire de lui l’un des cinéastes italiens les plus prometteurs de sa génération, dans lesquels il va définir l’essentiel des thèmes qui lui tiennent à coeur : l’enfermement, le deuil, et surtout la cruauté de la bourgeoisie. Homme de gauche, Lado déteste tellement les nantis qu’il se rendra parfois coupable d’un certain manque de subtilité dans leur description. Suspense kafkaïen en partie inspiré par le funeste sort que la mafia réserve aux juges un peu trop zélés (ils sont enterrés vivants), Je suis vivant ! s’impose d’entrée de jeu comme un film singulier puisqu’il raconte sous forme de flashes-back l’enquête menée par un reporter américain détaché en Tchécoslovaquie (Jean Sorel, habitué des giallos de Lucio Fulci)… depuis la table de la morgue où il s’apprête à être autopsié par un personnel médical persuadé de sa mort, alors qu’il est paralysé mais tout à fait conscient ! Ce n’est qu’en plongeant dans ses souvenirs qu’il peut percer le mystère qui l’a mis en si fâcheuse posture, tâche rendue d’autant plus difficile par une amnésie partielle. Peu à peu, il se rappelle s’être lancé à la recherche de sa fiancée (Barbara Bach), dont la mystérieuse disparition semble liée à celles d’autres jeunes femmes et à un club privé réservé à des notables de la ville. Lado réussit l’exploit de rendre très attachant ce jeune couple en l’espace d’une poignée de scènes, épaulé par un sublime thème mélancolique chanté par la voix céleste d’Edda Dell’Orso sur une musique d’Ennio Morricone, avec qui le réalisateur démarre une collaboration qui se poursuivra sur sept autres films. Avec son double suspense, son décor anxiogène (Prague ressemble à une ville fantôme), sa galerie de personnages inquiétants et son incroyable final, Je suis vivant ! ressemble à ce qu’aurait pu donner un épisode de La Quatrième dimension réalisé par Roman Polanski.



MORT À VENISE
Lado enchaîne immédiatement sur Qui l’a vue mourir ?, qu’on peut légitimement considérer comme l’un des meilleurs giallos de l’Histoire du genre. La présence au scénario de Francesco Barilli, auteur et réalisateur des admirables Le Parfum de la dame en noir et Pensione paura, n’y est sans doute pas étrangère. Mais le film reste du Lado pur jus. Comme dans Je suis vivant !, la caméra se promène dans une ville qu’elle transforme en monstre tentaculaire : Venise devient un cimetière grisâtre et labyrinthique où règnent la mort, la souillure et la folie. Comme dans Je suis vivant !, l’émotion prime sur la représentation graphique de la violence, qui n’en est que plus choquante puisque ce sont des enfants qui en sont les victimes. Et comme dans Je suis vivant !, l’enquête menée par le héros est bourrée de fausses pistes, d’indices qui n’en sont pas, de phrases énigmatiques, de suspects potentiels et de coupables issus de la classe dominante. La moustache au vent, George Lazenby est très touchant en père traumatisé qui doit à la fois ravaler sa douleur et soutenir son ex-femme, tout en essayant de trouver qui a tué leur adorable fillette (jouée par Nicoletta Elmi des Frissons de l’angoisse). Entre des parents en deuil qui font l’amour, le décor de la cité des Doges et le cadavre d’une fillette dans le canal, Qui l’a vue mourir ? préfigure de façon troublante Ne vous retournez pas de Nicolas Roeg, sorti un an et demi plus tard. La coïncidence semble trop énorme pour être simplement due au hasard...


COMEDIA DELL’ARTE
Elles ont beau avoir la cuisse légère et le verbe haut, les deux comédies que réalise Lado dans la foulée ne trahissent en rien la gravité qui sous-tend toute son oeuvre, laquelle passe ici par l’impossibilité de vivre un amour interdit par les conventions sociales ou morales. Dans La Drôle d’affaire, un [...]

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