DON’T BREATHE – LA MAISON DES TÉNÈBRES de Fede Alvarez
Don't Breathe
Tout le monde, ou presque, connaît l’histoire. En 2009, un Uruguayen nommé Fede Alvarez balance sur YouTube une vidéo de cinq minutes intitulée Ataque de pánico ! dans laquelle des robots géants détruisent la ville de Montevideo. La chose, réalisée pour 300 malheureux dollars, comptabilise aujourd’hui plus de sept millions de vues sur le Net. Quatre ans plus tard, Sam Raimi donnera carte blanche à Alvarez pour le remake d’Evil Dead, avec à la clé un film qui, en plus de repousser les limites de la classification R-Rated, propose une approche gothico-gore renversante d’inspiration plastique, même si légèrement handicapée par une exposition trop expéditive. Restait à voir si Fede Alvarez saurait se relever de cette entrée en matière pour le moins casse-gueule (commencer sa carrière par la relecture d’un des films d’horreur les plus adulés de tous les temps n’est pas forcément une sinécure), ou s’il allait rejoindre la horde de fonctionnaires anonymes qui hantent les sous-rubriques des services de VOD. À cette question, Don’t Breathe – la maison des ténèbres apporte la meilleure des réponses.
LE GENRE HUMAIN
Rocky (Jane Levy, l’héroïne d’Evil Dead), Alex (Dylan Minnette) et Money (Daniel Zovatto), trois jeunes des quartiers défavorisés de Detroit, cambriolent des baraques en vue d’amasser assez d’argent pour refaire leur vie en Californie. Leur prochaine cible : la maison isolée d’un vétéran aveugle (monstrueux Stephen Avatar Lang) ayant touché une somme importante après la mort de sa fille renversée par une voiture. Mais l’occupant des lieux est-il aussi inoffensif qu’il en a l’air ?
Après avoir refusé un Fast and Furious et quelques Marvel, l’intègre Fede Alvarez préfère bosser avec un budget moins élevé que celui de son premier effort (10 millions de dollars ici, contre 17 millions pour Evil Dead) mais avec les coudées franches pour faire le film qu’il a en tête. Et le cahier des charges qui a donné naissance à Don’t Breathe semble tenir en une phrase : éviter comme la peste les poncifs dont est percluse l’horreur moderne. En premier lieu, il s’agit de réinvestir un genre usé jusqu’à la corde – le home invasion – en inversant sa dynamique, comme l’avaient fait Bustillo et Maury avec Livide : ici, nous accompagnons les envahisseurs qui, loin du psychopathe d’usage, cherchent à atteindre leur idéal dans une ville (déjà théâtre de It Follows) où le rêve américain est mort plus vite qu’ailleurs (on n’est pas loin du Sous-sol de la peur de Craven). Leur caractérisation est rapide et précise, avec en plus des motivations économiques un triangle amoureux finement esquissé. Puis, après avoir été brièvement présentée comme désemparée, la victime se révèle bien plus dangereuse que ses assaillants, et revêt rapidement les atours d’un authentique boogeyman. Mais la construction en miroir d’Alvarez et de son coscénariste Rodo Sayagues va dès lors s’échiner à humaniser le « monstre » (en le rendant, paradoxalement, de plus en plus monstrueux dans ses actes), créant ainsi un no man’s land moral où aucun des protagonistes n’a moins de raisons que les autres de l’emporter. Loin d’annihiler l’identification nécessaire à l’implication du public, cette construction complexifie et donc décuple les enjeux du film et leur impact. Ce qu’ils avaient timidement (et intelligemment) tenté avec Evil Dead, où la trame surnaturelle se superposait à une thématique ancrée dans le réel (l’addiction), les compères uruguayens le réussissent parfaitement ici : les motivations des personnages (obtenir coûte que coûte ce que la vie leur a refusé ou enlevé) propulsent le récit, ce qui ôte à ce dernier toute artificialité. Cerise sur le gâteau, le film sait franchir la ligne blanche (les agissements secrets de l’aveugle) afin de faire exploser la zone de confort du spectateur et lui offrir un climax réellement transgressif, ce qu’échouait récemment à faire le trop sage Conjuring 2 : le cas Enfield (et la plupart des productions horrifiques actuelles), malgré le savoir-faire visuel de James Wan.
JOUONS À UN JEU
D’ailleurs, dès le premier magnifique plan aérien de Detroit qui finit sur une silhouette inquiétante tirant un corps en pleine rue, celui d’Alvarez, de savoir-faire, éclabousse l’écran. Le cinéaste n’aura de cesse d’élaborer minutieusement une mécanique ultra efficace et inventive soulignant les qualités d’un script déjà sacrément bétonné. Quelque part entre la maestria du Fincher de Panic Room et l’implacabilité brute du Saulnier de Green Room, Alvarez introduit un autre élément trop souvent absent des thrillers horrifiques modernes : le ludisme. Gérant l’espace avec autant d’assurance que son aveugle au fait des moindres recoins de sa demeure, Alvarez instaure une topographie verticale qui permet d’introduire des situations sacrément stressantes (la chute très spielbergienne d’un des personnages sur un vasistas) et impose une logique de non-retour à mesure que les protagonistes s’enfoncent dans les strates de la bâtisse, au fond de laquelle git un effroyable et déchirant secret. Cette gestion de l’espace éclate dans toute son évidence dès l’arrivée des jeunes dans la maison, avec un plan-séquence élégant (et quasiment dénué de CGI, si ce n’est une simple transition) au triple effet Kiss Cool : dévoiler les lieux, instaurer le suspens, mais aussi annoncer le programme des festivités avec quelques pauses sur des éléments visuels qui joueront un rôle-clé dans l’intrigue. Et à l’image de la fluidité de cette scène, les péripéties entraîneront avec une impitoyable inexorabilité les personnages vers leur destin (qui inclura un impressionnant mini-remake de Cujo – de l’aveu même d’Alvarez – écrit au dernier moment pour remplacer une séquence plus grandiloquente mais aussi bien plus cliché). Fuyant comme la peste toute artificialité (les quelques jump scare n’utilisent pas d’effets sonores extradiégétiques), Alvarez ne se fourvoie jamais, si l’on excepte quelques inserts un peu brouillons et une scène de poursuite dans le noir total dont le procédé filmique, bien que pertinent dans les faits, semble un peu trop ostentatoire. Et livre en définitive une série B quasi idéale, méchante sans être cynique, vio [...]
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