DERNIER TRAIN POUR BUSAN de Yeon Sang-Ho
Dernier train pour Busan
Séoul, 2016. Au terme d’une énième journée passée à dépouiller des boursicoteurs indépendants, Seok Woo doit reconduire sa fille auprès de son ex-femme, qui vit à deux heures de là, à Busan. Un voyage en train fera l’affaire. Juste avant que les portes de la rame ne se referment, une jeune femme lourdement écorchée monte à bord, pour aussitôt succomber à ses blessures. Quelques minutes plus tard, l’anonyme se relève zombifiée et fond sur une malheureuse hôtesse. Alors que le TGV a déjà atteint sa vitesse de croisière, l’épidémie commence.
Beaucoup s’attarderont sans doute sur le discours sociopolitique de Dernier train pour Busan, et son obsession typiquement coréenne pour les cocons familiaux en péril. Nul doute que la charge anticapitaliste et la consternation du scénariste-réalisateur Yeon Sang-ho vis-à-vis de l’individualisme de la société moderne répondent à des questionnements sincères ; le cinéaste n’en est après tout pas à son premier pamphlet, comme en témoignent ses impitoyables longs-métrages animés The King of Pigs et The Fake. Pour autant, et en dépit d’un twist désignant la cupidité comme élément déclencheur de l’apocalypse, l’ancrage émotionnel du film réside ailleurs. La relation entre le héros, jeune carriériste aux dents longues, et sa fille de huit ans constitue le coeur du récit, selon une démarche scénaristique évoquant l’inoubliable Guerre des mondes de Steven Spielberg. C’est ainsi à travers les yeux de cette famille en ruines que le désastre trouve une véritable résonnance. Comme Spielberg avant lui, Yeon en profite pour dédoubler son enjeu central : certes, la survie des deux personnages est constamment sur la balance, mais elle n’aura aucune valeur sans une possible réconciliation. Flirtant avec le mélodrame sans jamais s’y noyer, et embrassant une chronique de rédemption aussi classique que touchante, Yeon Sang-ho prend soin de bâtir des fondations solides. Elles ont intérêt à l’être, pour soutenir le road movie chaotique qu’il a en tête.
STÉRÉOTYPES BIENVEILLANTS
Méthodique et concis, le premier acte permet à Yeon Sang-ho de poser son décor à la manière du cinéma catastrophe américain des seventies, auquel il emprunte également son hyper-caractérisation. Le cinéaste assume volontiers les stéréotypes d’antan, introduisant des victimes potentielles d’âge et de rang variés, à la personnalité immédiatement identifiable. Deux vieilles dames enjouées, un cadre quinquagénaire irascible, une équipe sportive et ses délicieuses groupies, un contrôleur zélé, une hôtesse naïve, un gros dur mené à la baguette par sa femme enceinte… Présentés dans le feu de l’action, alors que la pandémie gagne du terrain, tous contribuent à un ensemble plausible, dont les interactions parfois violentes, lâches et radicales semblent tout droit sortir d’un roman de Stephen King. Acide sans perdre de vue ses personnages, mordant sans verser dans l’auto-parodie, Yeon gère sa galerie de portraits sur un ton fragile mais gratifiant, et l’utilise pour multiplier les points de repère lors de ses nombreuses attaques d’infectés.
Lorsqu’il déverse des vagues de créatures cannibales sur ses pauvres voyageurs, à raison d’une attaque toutes les cinq minutes environ, Yeon Sang-ho opte pour une sauvagerie elliptique, captée sans trop de complaisance. Les zombies convulsent, détalent, mordent leurs victimes à pleines dents, mais le gore ne prend jamais le pas sur l’intensité de l’action. Le choix peut paraître surprenant de la part du réalisateur de l’ultra-violent Seoul Station, mais il contribue à mettre le spectateur en alerte permanente. Étirant ses plans autant que possible, non seulement pour quadriller son espace clos, mais aussi pour souligner l’implacable percée de la horde, Yeon est d’ailleurs loin de manquer de créativité pour déplacer ses groupes de survivants à travers la géographie rectiligne du train. Chaque surface est exploitée, des toilettes aux compartiments à bagages, et la mise en scène redéfinit sans cesse le périmètre d’action des protagonistes (réduit lorsqu’ils se cachent derrière un siège, ample lorsqu’ils chargent dans une allée, etc.) ; une véritable démonstration de virtuosité, qui doit beaucoup à l’expérience du réalisateur dans le domaine de l’animation.
ANIMATION ET MOUVEMENT
En 2011, Brad Bird profitait de Mission : impossible – protocole fantôme pour méditer sur les différences fondamentales entre l’animation, par essence planifiée dans ses moindres détails, et le cinéma live, propice au chaos et à l’improvisation de dernière minute. Lui aussi issu du celluloïd, Yeon Sang-ho disserte à son tour sur son passage aux prises de vue réelles, en associant une direction d’acteurs très libre à une manipulation quasi chorégraphique du décor, calculée au millimètre près. À ce titre, il faut voir avec quel brio le cinéaste parvient à garder son intrigue en perpétuel mouvement. On pourrait citer l’alternance rythmique entre la lumière du jour et l’obscurité des tunnels, affectant les zombies eux-mêmes. Mais la méthode est encore plus notable durant les haltes forcées en gares : lorsque les personnages sont contraints à l’immobilisme, c’est l’environnement qui devient mo [...]
Il vous reste 70 % de l'article à lire
Ce contenu éditorial est réservé aux abonnés MADMOVIES. Si vous n'êtes pas connecté, merci de cliquer sur le bouton ci-dessous et accéder à votre espace dédié.
Découvrir nos offres d'abonnement