DANS LA FORÊT de Gilles Marchand

Dans la Forêt

Après Qui a tué Bambi ? et L’Autre monde, Gilles Marchand passe à la vitesse supérieure et confirme son intérêt pour un cinéma de genre subtil qui sait se nourrir des meilleures influences pour aboutir à une expérience délicatement viscérale.
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Le jeune Tom (Timothé Vom Dorp) et son grand frère Ben (Théo Van de Voorde) partent seuls en vacances en Suède pour rejoindre leur père (Jérémie Elkaïm), un homme renfermé qui nourrit visiblement une rancune tenace envers son ex-compagne. Mais ce qui fascine surtout le petit Tom, c’est que son papa ne dort jamais… Après une altercation avec un de ses collègues pour avoir emmené ses enfants sur son lieu de travail, l’homme décide de partir loin dans le nord, dans la forêt, pour faire découvrir à ses fils une vieille maison perdue qu’il aimerait retaper. Là, au coeur d’une nature indifférente, la tension va peu à peu monter, alimentée par la défiance de Ben et la fascination du père envers les prétendus pouvoirs surnaturels de Tom, qui est assailli par des visions où un homme défiguré tente de l’attraper…

Il s’est opéré une singulière transformation dans la filmographie de Gilles Marchand, dont l’univers a mué en trois longs-métrages d’un environnement doublement clinique (le thriller hospitalier Qui a tué Bambi ?) aux décors naturels de Dans la forêt, en passant par un entre-deux faisant cohabiter le sud de la France et la rigueur ascétique d’un univers digital (L’Autre monde). Un « appel de la forêt », donc, qui accompagne un glissement vers un sujet bien plus intime, mystérieux et troublant que la plaisante mais classique enquête de son premier film, ou les interrogations existentialo-virtuelles un peu creuses de son deuxième. On retire des dires du cinéaste que Dans la forêt semble se situer à un carrefour idéal entre souvenirs personnels (lui et son frère partaient visiter leur père à l’étranger) et influences artistiques (Shining, le tétanisant roman Sukkwan Island de David Vann, dont les prémices sont très proches). Le film joue de fait de cette double filiation pour nous amener vers des territoires à la fois familiers et inconnus, parvenant ainsi à instiller une angoisse indicible et rampante dans les replis de son histoire. Le scénario de Marchand et Dominik Moll (metteur en scène de Harry, un ami qui vous veut du bien et complice de longue date du réalisateur) réussit à nous convaincre et, dans le même temps, à nous faire douter de l’amour de ce père pour ses fils, de son envie de se rapprocher d’eux pour se sauver lui-même, et de sa tentation de les emmener avec lui au bout de sa possible folie, autant par égoïsme que par peur de la solitude. Cette simple dynamique pourrait à elle seule nourrir le film, vectrice d’une interrogation sur la difficulté de la fonction paternelle (comment être un modèle pour sa progéniture quand on ne sait pas soi-même qui l’on est ?) et d’un suspense purement cinématographique sur l’issue potentiellement cauchemardesque de l’histoire, qui joue sur l’expectative d’une possible transgression (un père peut-il tuer ses enfants ?). Et ceux qui ont lu Sukkwan Island et connaissent son éprouvant dénouement savent que le pire est à redouter. Il est d’ailleurs tout à l’honneur de Marchand et son coauteur d’avoir su éviter l’écueil de l’adaptation non officielle, en s’inspirant indéniablement du chef-d’oeuvre de Vann tout en y greffant une exploration thématique finalement plus profonde, et surtout plus sensible. Et, miracle pour un film français, cette dimension supplémentaire doit tout aux éléments fantastiques du récit, un tour de force tellement rare dans nos contrées qu’il mérite d’être bien plus que souligné. 

PEUR PRIM(ORDI)ALE

Si les « pouvoirs » de Tom et les liens qu’ils tissent avec les angoisses de son papa rappellent bien sûr le « shining » du roman de Stephen King et du film de Kubrick, leur présence n’a rien d’une simple fonction référentielle ou décorative. Non seulement ils infusent Dans la forêt d’une irréalité qui lui permet de flirter avec une horreur déstabilisante (dommage, d’ailleurs, que la mise en scène de Marchand ne soit pas un poil plus démonstrative lors de ces séquences), mais ils apportent à l’histoire un second niveau de lecture essentiel à l’impact du long-métrage, qui sait rester sobre (M [...]

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