CRIMSON PEAK de Guillermo Del Toro

Crimson Peak

Avec CRIMSON PEAK, véritable festin gothique mis en scène avec une folle élégance, Guillermo del Toro livre une pure déclaration d’amour à tout un pan du cinéma d’épouvante. Pouvoir admirer un tel spectacle en salles est une aubaine qui ne se refuse pas.

D’entrée de jeu et comme pour répondre à la question qui ouvrait L’Échine du diable (« Qu’est-ce qu’un fantôme ? »), Crimson Peak annonce la couleur : « Les fantômes existent. Je le sais, j’en ai vu un » déclare Edith Cushing (Mia Wasikowska), fille d’un riche veuf de la haute société de Buffalo. Ce fantôme, ce n’est autre que celui de sa mère, qui, au lendemain de ses funérailles, lui lance ce mystérieux avertissement : « Prends garde à Crimson Peak. ». Guillermo del Toro enfonce le clou dans la scène suivante lorsqu’il nous montre Edith, qui aspire à devenir romancière, être comparée par moquerie à Jane Austen et rétorquer qu’elle préfère Mary Shelley. Mais si le réalisateur plante d’emblée son récit dans le fantastique, il va pourtant s’employer durant tout le premier acte du film à s’en éloigner, articulant un mélodrame en costumes digne du Temps de l’innocence. Une référence qui saute aux yeux, la suprême élégance de la mise en scène et son souci maniaque du détail dépassant même l’art scorsesien. Courtisée par Alan (Charlie Hunnam), un jeune médecin qu’elle fréquente depuis l’enfance, Edith fait la connaissance de Sir Thomas Sharpe (Tom Hiddleston), un aristocrate britannique venu aux États-Unis pour trouver les fonds nécessaires à la survie de l’entreprise familiale dont il a hérité. Il échoue à convaincre le père d’Edith du bien-fondé de sa demande mais la jeune fille s’éprend de cet homme passionné qui, suite à un tragique concours de circonstances, l’épouse et l’emmène vivre dans le manoir du nord de l’Angleterre, qu’il habite avec sa soeur Lucille (Jessica Chastain). Très vite, Edith doit faire face à l’hostilité de cette dernière et se met à haïr cette demeure lugubre visitée par de terrifiantes apparitions que personne d’autre qu’elle ne semble voir. Elle comprend trop tard qu’elle est prisonnière des lieux, tandis que de l’autre côté de l’océan, Alan découvre des faits troublants sur celui qui lui a ravi l’élue de son coeur…

Rebecca, Les Hauts de Hurlevent, Jane Eyre, La Maison du Diable, Les Enchaînés, Opération peur, Suspiria, Hantise (de George Cukor, pas de Jan de Bont !)… Crimson Peak ne cesse de brasser les influences au sein d’un script confortable et trop prévisible, mais qui sait pourtant rester inventif, comme avec cette idée de la maison s’enfonçant peu à peu dans un sol rougi par les carrières d’argile, telle l’épave d’un vaisseau fantôme englouti par des flots de sang. On navigue donc en terrain connu, celui d’un amoureux du gothique qui, bien qu’il le fasse avec une classe folle, ne peut pas s’empêcher de citer ses aînés, à tel point qu’on a parfois l’impression de voir un film réalisé par Christophe Gans. Cela va de pair avec une beauté plastique renversante qui fait de Crimson Peak l’un des festins visuels les plus généreux de ces dernières années. Presque trop généreux, pourrait-on dire : les décors, somptueux, et la lumière, extrêmement travaillée, font du moindre plan un tableau de maître qui pourrait être figé dans une éternité spectrale si del Toro ne s’employait à multiplier les mouvements d’appareil pour y insuffler de la vie. Et cela sans trahir le classicisme à l’ancienne qui caractérise sa mise en scène et fait plaisir à voir dans un genre aujourd’hui dominé par les effets de style des productions Jason Blum, dont Crimson Peak permet de mesurer la laideur et la bêtise. Le spectacle est donc plus ogresque qu’orgiaque, dans le sens où son trop-plein visuel ne trouve pas toujours d’écho dans ce qu’il raconte. Del Toro a beau s’autoriser quelques déviances et confronter deux triangles amoureux, il esquive leurs angles les plus aigus et le vice, s’il est bel et bien présent (dans l’un de ses aspects les plus destructeurs), reste trop en surface, avant de laisser à nouveau place à la romance. Étrangement, c’est aussi ce qui fait la force du récit : l’histoire d’amour n’est pas forcément celle qu’on a sous les yeux et les personnages, bons ou mauvais, ont tous vécu leur part de tragédie et restent humains, même si leur instinct ou leur folie les pousse à accomplir des actes monstrueux. Les fantômes, qui ne se manifestent que de façon sporadique, n’ont finalement pas grande importance et ne sont, comme le précise Edith, qu’une métaphore du passé. Del Toro les filme cependant de manière frontale, traversant les portes ou rampant dans les couloirs, et ne se prive pas de faire jaillir le sang quand l’action l’exige, notamment lors d’une scène de meurtre que n’aurait pas désavouée le Dario Argento des Frissons de l’angoisse. L’impact visuel viscéral de la séquence s’avère bien plus puissant que celui du duel final, qui évite d’extrême justesse le grand guignol et fait preuve d’une brutalité où explosent les frustrations de ses belligérants, mais aussi, peut-être, celles d’un réalisateur peu rompu à une forme de cinéma purement romantique. On aurait parfois aimé que la tonalité du film bifurque lentement vers une approche plus radicale au lieu de lâcher la bride en fin de parcours avec une précipitation quelque peu abrupte. À ces quelques réserves nées des limites d’un film peut-être un peu trop noyauté par les obsessions désormais bien connues de son auteur (on a parfois l’impression d’assister à un best of) , on opposera sans hésitation l’incomparable plaisir de spectateur qu’il procure. Car l’air de rien et malgré tout ce qu’il doit aux oeuvres les plus emblématiques du genre, Crimson Peak reste l’une des plus belles réussites de l’épouvante gothique, portée par l’alchimie totale du duo formé par Tom Hiddleston et Jessica Chastain, tous deux formidable [...]

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