CREEPY de Kiyoshi Kurosawa

Creepy

Délaissant un temps les fantômes, l’auteur de Cure signe un thriller ensorcelant où la notion de « crimes en série » n’est plus qu’un rempart fragile s’effondrant devant une folie on ne peut plus contagieuse.

Ce n’est plus une carrière, c’est un embouteillage. Alors qu’Avant que nous disparaissions vient d’être présenté à Cannes, les salles hexagonales accueillent le film précédent de Kiyoshi Kurosawa, tourné juste après Le Secret de la chambre noire, essai en langue française sorti il n’y a pas six mois. Pour autant, le cinéaste japonais est loin de s’enfermer dans des redites : au contraire, il creuse avec obstination et méthode un sillon très personnel. Même si l’on murmure qu’il considère Creepy comme une simple commande adaptée d’un bouquin à succès, il est ainsi terrassant de le voir reprendre une nouvelle fois ses thèmes fétiches, en les recombinant d’une manière toujours plus passionnante et toujours plus complexe. Pour commencer, le très cinéphile Kurosawa paye ici son tribut à certains de ses films préférés, à savoir l’incroyable série de chefs-d’oeuvre signés par Richard Fleischer à la jointure des années 60 et 70. Les Flics ne dorment pas la nuit, qui explorait la difficile concordance de la vie privée des policiers et de leur métier, lui souffle le personnage d’un inspecteur, Takakura, grièvement blessé par un sociopathe pervers essayant de s’évader de sa garde à vue. Un an plus tard, on le retrouve ayant quitté les forces de l’ordre pour devenir prof de criminologie à la fac. Il emménage donc dans une nouvelle maison en compagnie de sa femme, qu’on devine soulagée de ne plus le voir risquer sa peau. Mais le couple se découvre des voisins au comportement hostile ou torve (« creepy » en un mot), inattendus dans cette tranquille zone pavillonnaire, tandis que Takakura est sollicité par un ex-collègue pour enquêter sur une affaire jamais résolue, celle de la disparition subite des membres d’une même famille… Notre héros met ainsi ses pas dans ceux du Henry Fonda à la fois empathique et opiniâtre qui traquait L’Étrangleur de Boston, sauf que le coupable est ici plus proche de l’espèce de cloporte lâche et manipulateur de L’Étrangleur de Rillington Place, l’autre plongée de Fleischer dans les affres de la psychopathologie homicide.



MAISONS TUEUSES

Le lien entre ces deux intrigues sans rapport apparent (les histoires de voisinage, l’affaire classée) est effleuré très tôt dans le film. À ses étudiants, Takakura explique que les serial killers américains se répartissent suivant deux types de mode opératoire, l’un « organisé » et l’autre « désorganisé », mais qu’il en existe aussi un autre, tellement opaque que l’arrestation du coupable est quasi impossible. C’est bien sûr de cette structure du troisième type que traite Creepy, et elle est en fait à chercher dans les oeuvres précédentes de Kurosawa. Avec Cure et Retribution, il avait en effet donné corps à l’idée totalement frappadingue de véritables meurtres en série où le tueur est néanmoins une personne différente à chaque fois. À cela, s’ajoute la contamination d’un mal caché dans les zones grises de l’urbanisme moderne, sujet qu’il avait fouillé dans ses films de fantômes : voir le nouveau quartier construit sur l’ancien front de mer dans le même Retribution, ou encore le complexe touristique en ruine sur l’île de Real. Ici, les deux thèmes fusionnent complètement, pour donner le sentiment que la disparition de familles entières est due aux maisons elles-mêmes – ou, plus précisément, à la position respective des espaces et aux angles de vue qui en résultent – autant qu’au machiavélisme d’une personne en particulier. « Cette baraque a l’air d’une scène de crime » dira en substance Takakura en apercevant le logement désert des premières victimes, dont la façade est montrée par des plans larges frontaux et anxiogènes.
En outre, culpabilité mouvante et immeubles maudits prennent dans Creepy un tour des plus intimes. Depuis plusieurs films, Kurosawa semble en effet se concentrer sur le caractère mystérieux du lien conjugal, montré à la fois comme quelque chose de totalement factice et comme une re [...]

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