Collection Make My Day !

Auteur du génial ouvrage Le Cinéma américain des années 70, spécialiste du cinéma italien sous ses formes les plus transgressives et réalisateur du magnifique documentaire cinéphile We Blew It, Jean-Baptiste Thoret se retrouve à la tête d’une collection vidéo qui va faire souffler un vent de liberté sur un marché de l’édition française qui en avait sacrément besoin. Rencontre avec un passionné qui n’a pas peur de dire les choses.

INTERVIEW JEAN-BAPTISTE THORET
DIRECTEUR DE COLLECTION


Comment la collection « Make My Day ! » s’est-elle montée ?

Un jour, les gens de StudioCanal sont venus me voir pour que je jette un coup d’oeil à leur catalogue, parce qu’ils avaient conscience qu’une très grande partie n’était pas exploitée. Je crois d’ailleurs que cette demande d’exploitation plus vaste du catalogue est venue de la direction. Je me suis donc penché sur la question et je leur ai dit qu’il y avait beaucoup de films qu’on pouvait exploiter. Je leur ai dressé une première liste de 300 ou 400 titres qui me semblaient passionnants et étaient, pour la plupart, inédits. Ils m’ont alors proposé de m’occuper de la collection, ce que j’ai accepté avec grand plaisir, d’autant que j’avais carte blanche sur le choix des titres à sortir ou à restaurer, sur l’ordre dans lequel les sortir, sur les bonus… En fait, du film jusqu’à la jaquette, j’ai le contrôle total. De toute façon, le projet ne m’intéressait que dans ces conditions-là. Je fais donc absolument ce que je veux, dans les limites d’un certain budget, bien entendu. Après cette première salve, nous sortirons un titre par mois et, je l’espère, une grosse surprise l’année prochaine avec un lot un peu plus important. Après, on verra ce que donne la collection : normalement, on est parti pour au moins cinq ans. Maintenant, il faut que ça marche un minimum, on est forcément suspendu aux résultats. 



Parlons des suppléments. Six femmes pour l’assassin, par exemple, a récemment été édité chez Arrow en Angleterre avec une tonne de bonus. Mais sur le disque de StudioCanal, il ne reste qu’une interview de Christophe Gans… C’est un choix délibéré ou une question de budget ? 

Non, rien à voir avec le budget. C’est une question intéressante, les suppléments. Il se trouve qu’en tant qu’intervenant chez plusieurs éditeurs, j’ai souvent eu un problème avec les bonus de DVD. Par exemple, quelque chose que je n’aime pas du tout, c’est le côté « bonus obèses ». Je n’aime pas quand il y a 25 bonus de trois ou dix minutes. J’aime quand il y a un travail éditorial, quand quelqu’un s’est dit : « OK, on a des rushes, on a des archives, mais qu’est-ce qu’on en fait ? Comment en faire un seul bonus, comment raconter tout ça ? ». Je ne voulais pas arriver avec des Blu-ray bourrés de bonus redondants qui parlent tous de la même chose, surtout qu’il ne faut pas se mentir : très peu de gens les regardent. Du coup, je suis parti de quelques principes : pas d’avalanche de bonus mais quelques-uns vraiment bien choisis. Il y a toujours une préface, et pour le reste ça peut être des archives ou autre, éventuellement des bonus rachetés à d’autres si je les trouve vraiment intéressants ou indispensables. C’est le cas par exemple pour Near Dark (Aux frontières de l’aube), qui reprend le documentaire du Blu-ray américain. Même chose pour La Mort a pondu un oeuf, où j’ai racheté un entretien avec Giulio Questi qui était présent sur le Blu-ray anglais. Ça vaut le coup de racheter certains bonus au compte-gouttes, mais pas n’importe quoi. En fait, je voulais faire le pari que les gens qui achètent le film auront vraiment envie de tout regarder. C’est pour ça que par exemple, sur Max mon amour, j’ai fait un « revu par » Jean-Claude Carrière, Charles Tesson et Michel Portal : j’aurais pu en tirer trois bonus, mais je trouve que ce n’est pas du travail. Je préfère monter tout ça en un seul bonus plutôt que de me dire que le spectateur va en regarder trois, car il ne les regardera pas. 



D’ailleurs, le « revu par Philippe Labro » qui accompagne Sans mobile apparent est formidable, parce qu’il n’y a pas qu’une interview du réalisateur, il y a aussi des images d’archives et du tournage…

Alors qu’encore une fois, j’aurais pu faire un bonus avec Labro qui parle de Sans mobile apparent, un autre avec Labro qui parle de sa carrière et un autre avec les archives. Au lieu de quoi, j’ai essayé de fournir un vrai travail éditorial. À mon avis, on entre plus facilement dans un bonus un peu travaillé d’une cinquantaine de minutes que dans trois ou quatre bonus différents. Pour Sans mobile apparent, l’intérêt, c’était que le film n’était jamais sorti en DVD ou en Blu-ray et que Labro était extrêmement content que ça sorte. Du coup, je lui ai dit que ce serait bien qu’il parle de la genèse du film, mais que ça ouvre aussi sur autre chose : sa carrière, l’Histoire du cinéma… Ça ne me dérange pas quand les bonus ne parlent pas directement du film, j’aime bien ça au contraire, parce que par moment, ils ont tendance à être un peu autistes. Par exemple, quand j’ai demandé à Christophe Gans de parler de Mario Bava, je lui ai dit de partir de Six femmes pour l’assassin mais de s’étendre sur le reste de la carrière du réalisateur. Pareil pour Labro : je lui ai dit que comme Sans mobile apparent était le seul film que je sortirais de lui – car les autres qui auraient pu m’intéresser sont déjà disponibles –, c’était la seule occasion qu’on aurait de faire un entretien carrière. Et il était ravi, il a joué le jeu à fond. Cela dit, il pourra m’arriver, pour d’autres cinéastes, de faire des entretiens plus concentrés sur le film. À part la préface, qui sera toujours là, le reste des bonus devrait donc varier suivant les films et leur réalisateur. 



Apparemment, la copie de Near Dark n’a pas été restaurée…

Non, on a récupéré ce qui existait déjà sur le Blu-ray US. Mais à mon niveau, je fais surtout attention à ce qu’on sorte une version intégrale de la meilleure qualité possible. Par exemple, en décembre, on va sortir Mandingo de Richard Fleischer, qui est l’un de mes films cultes et qui sera le gros titre d’avant Noël. Il existe un montage UK où certaines scènes ont été coupées, mais StudioCanal avait aussi la version intégrale dans son catalogue. J’ai donc dit : « Attention, il faut sortir le montage US et pas l’autre. ». Je suis très vigilant là-dessus. Pareil pour Nickelodeon de Peter Bogdanovich qui sort en novembre, j’ai fait attention à ce que ce soit la version intégrale en noir et blanc souhaitée par le réalisateur, et pas la version en couleur, qu’on mettra quand même en bonus mais qui ne sera pas l’édition principale. Mandingo, c’est un chef-d’oeuvre total, et là c’est l’occasion de le remettre en selle. Fleischer, c’est un réalisateur qu’on commence un peu à redécouvrir. Pour moi, son âge d’or, c’est de 1968 à 1975, de L’Étrangleur de Boston à Mandingo, qui est une pierre très importante dans l’Histoire du cinéma américain par la représentation qu’il donne de l’esclavage. C’est une espèce d’Autant en emporte le vent trivial, ultra violent, frontal. C’est un film incroyable. Je suis en train de travailler sur les bonus, et si tout va bien il y aura un entretien avec Susan George, à qui je ferai sans doute aussi parler des Chiens de paille. J’ai aussi une archive très intéressante avec James Mason, un « revu par »… Il y aura plein de choses sur Mandingo, c’est une édition que j’avais vraiment envie de soigner, parce que je me suis rendu compte que le film n’est pas très connu des cinéphiles et encore moins de la critique : ça m’a frappé à l’époque de la sortie de Django Unchained et 12 Years a Slave : il n’était cité nulle part ! Il y a un vrai problème d’inculture dans la critique de cinéma actuelle en France, alors que Mandingo a été tellement attaqué en son temps qu’il a bien failli mettre un terme à la carrière de Richard Fleischer. Le critique américain Robin Wood disait en 1998 que c’était le plus grand film jamais tourné par Hollywood sur l’esclavage, et c’est sans doute vrai. On ne pourrait pas en tourner une seule séquence aujourd’hui. Quand j’ai vu que le film était au catalogue, je me suis dit : « Mais comment se fait-il qu’il ne soit jamais sorti alors qu’on sort par ailleurs tellement de navets ? ». En fait, la télévision est un facteur très important dans la politique de ressortie des films en Blu-ray, parfois plus important que les ventes en magasin : un film a plus de chances de ressortir en Blu-ray s’il est acheté par la télé pour être diffusé après. Parce qu’il ne faut pas se leurrer : le Blu-ray un peu cinéphile, c’est un tout petit marché qui n’intéresse plus grand monde, les ventes d’un titre oscillent entre 800 et 3000 exemplaires grand max. 


Comptes-tu dégager une ligne éditoriale de la collection, notamment en termes de films de genre ?

Écoute, c’est bien simple : la ligne éditoriale, il n’y en a pas. Je sors les films que j’aime et puis voilà. D’abord, je n’ai jamais réfléchi au cinéma en ces termes. Je peux aussi bien sortir du Fleischer, du Bogdanovich et du Questi que du Francesco Rosi ou des films avec Maurizio Merli, du bis ou du pas bis, de l’auteur ou du pas auteur… Je crois beaucoup aux mélanges, j’aime autant Argento qu’Antonioni, alors je ne vais pas commencer à dire : « On va faire une collection bis, ou une collection de nanars », terme que, par ailleurs, je déteste. Il n’y a donc pas de lien entre les titres, pas de logique, à part que ce sera à 80 % des films inédits en Blu-ray ou en DVD et que je les aime beaucoup. Pour moi, ils ont leur place dans l’Histoire du cinéma. Que ce ne soit pas forcément des chefs-d’oeuvre, je m’en fous, il n’y a pas de hiérarchie. On aura aussi Déviation mortelle de Richard Franklin, des poliziotteschi comme Rome violente ou Opération casseur, du Riccardo Freda… En gros, il devrait y avoir 40 % de films américains, 40 % de films italiens, et 20 % pour le reste, avec de l’asiatique, du français… 


Pourquoi ne pas avoir mis de version française sur Six femmes pour l’assassin ?

Il y a plusieurs raisons à cela. D’abord, parce que cette première livraison de quatre titres a demandé énormément de boulot en peu de temps et qu’il y a des choses qui ont pu m’échapper, dont celle-là. La VF, ce n’est pas une chose à laquelle je pense naturellement, mais à partir de maintenant, on va y faire attention, même si en ce qui me concerne, je préfère garder de la place en termes de compression pour une meilleure image ou un bonus plutôt que pour une VF. Enfin, mais c’est à vérifier, il me semble que StudioCanal avait une VF qui ne correspondait pas au master que nous avions du film. 



Je pose la question parce que les versions françaises étaient très bien faites à une certaine époque, et qu’elles restent importantes pour pas mal de gens… 

J’ai en effet découvert qu’il y avait une demande. Maintenant, reste la question de savoir si les VF sont demandées par 50 personnes ou par 3000. De toute façon, la collection va évoluer avec le temps selon la réception du public. Après, j’espère ne pas avoir affaire à ces gens qui se braquent sur un détail comme le singe qui s’excite sur le doigt sans voir la lune qu’il pointe. Par exemple, tu sors un film hyper rare comme Mandingo et un type te tombe dessus parce que la colorimétrie est moins bonne sur le douzième plan. Je trouve ça ridicule. Ce n’est pas de la cinéphilie, ni de la rigueur, c’est de la cinéphagie, de la bêtise pure qui conduit à recouvrir l’essence du cinéma et de l’esthétique par un discours sur la technique. À partir du moment où un film existe dans sa version intégrale et dans une copie correcte, cela me suffit.

Crédit photo Jean-Baptiste Thoret : Radio France/Chistophe Abramowitz. 




NEAR DARK (AUX FRONTIÈRES DE L’AUBE)
SIX FEMMES POUR L’ASSASSIN
MAX MON AMOUR
SANS MOBILE APPARENT
Zone B. StudioCanal.
La première salve de la collection Make My Day ! a de la gueule, c’est le moins qu’on puisse dire. Attendu depuis des lustres par les fans de Kathryn Bigelow, Aux frontières de l’aube retrouve son titre original, Near Dark, et propose une galette au rendu correct qui permet de redécouvrir le pendant vampirique de Comme un chien enragé (il est frappant de constater à quel point la scène d’ouverture renvoie au chef-d’oeuvre noir de James Foley). Si le film est un peu daté dans certains de ses choix musicaux, dans l’interprétation en roue un peu trop libre de Bill Paxton et à cause d’un script manquant d’étoffe, il reste fascinant de bout en bout, et le documentaire Living in Darkness constitue un complément idéal. Autre grand classique, Six femmes pour l’assassin est magnifié par une copie fabuleuse où explose la richesse des couleurs peintes par l’esthète Mario Bava. Ancêtre du giallo, le film présente cependantles mêmes défauts que tous les films du réalisateur (les images ont beau être sublimes et le découpage bluffant, on s’emmerde un peu) mais n’en reste pas moins essentiel. C’est loin d’être le cas de Max mon amour, où un diplomate découvre que sa femme le trompe avec un singe et décide de l’installer chez lui pour essayer de les mater en train de s’accoupler. Le résultat, parfaitement ridicule, ressemble à une version zoophile et vaudevillesque de Possession filmée comme Au théâtre ce soir, les maquillages simiesques peu crédibles de Rick Baker n’arrangeant rien à l’affaire. L’analyse de Thoret placée en bonus s’avère in fine beaucoup plus intéressante que le film lui-même. On a d’ailleurs peine à croire qu’il a été mis en scène par Nagisa Ôshima, l’homme de Furyo et L’Empire des sens. Le morceau de choix de ce quatuor reste cependant Sans mobile apparent. Philippe Labro a beau se réclamer du film noir américain dans un entretien passionnant, ce polar seventies ressemble bien plus à un Inspecteur Harry mâtiné de giallo dans la droite lignée de Peur sur la ville (score de Morricone inclus). Jean-Louis Trintignant y excelle en flic obsessionnel dans un décor niçois formidablement mis en valeur par un sens du cadre digne de Ténèbres. Une redécouverte d’autant plus précieuse que la carrière de Labro, après avoir pris son envol avec L’Alpagueur, L’Héritier et Le Hasard et la violence, a sombré dans un cinéma bourgeois dépourvu de substance avec La Crime et Rive droite, rive gauche

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