Cinéphages n°344

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MENENDEZ : LE JOUR DU SEIGNEUR 
Menendez Parte 1: El día del Señor. 2020. Mexique/Espagne. Réalisation Santiago Alvarado Ilarri. Interprétation Juli Fàbregas, Hector Illanes, Dolores Heredia… Disponible en SVOD (Netflix).
Marrant de constater que plusieurs films récents (comme le pas terrible The Demon Inside) se rejoignent dans la figure du prêtre exorciste à la dérive, condamné par la justice des hommes et lâché par la hiérarchie religieuse. Ce Menendez grossit le trait à fond, puisqu’en plus d’être complètement alcoolo, le curé revendique ici des méthodes extrêmes. En gros, ce n’est pas trop grave si le possédé finit mutilé ou tué, du moment que le Malin a été chassé de son corps. À un moment, le spectateur se retrouve ainsi dans une situation très inconfortable. Soit l’exorciste a perdu les pédales et est en train de torturer gratuitement une ado rebelle, soit celle-ci est vraiment habitée par Satan. Problème : une fois que l’alternative est tranchée, le film perd la majeure part de son intérêt, de sorte qu’on a moyennement envie de connaître la suite. En effet, ce Menendez a été conçu comme l’opus I d’une série de longs-métrages dont nous attendons les épisodes suivants sans grand enthousiasme.

G.E. 




EXIT 
Eksiteu. 2019. Corée du Sud. Réalisation Lee Sang-geun. Interprétation Jo Jung-suk, Im Yoon-ah, Ko Du-shim… Disponible en VOD.
Le cinéma coréen a beau avoir la cote, les grosses productions commerciales et leur manière de ratisser large laissent toujours un peu perplexe de ce côté-ci du globe. Témoin cet Exit qui commence comme une comédie satirique sur la famille, bifurque vers un film catastrophe à base de nappe de gaz toxique, puis embraye sur une aventure en mode Yamakasi avec des héros alpinistes qui fuient en sautant de toit en toit. Pour un observateur lointain, la comédie de moeurs tourne un peu court, et malgré des images étonnantes (ces sommets de gratte-ciel émergeant à peine du brouillard empoisonné), l’action est trop dédramatisée pour qu’on tremble vraiment. Mais peut-être que le cocktail est simplement une spécialité locale, résistant à l’uniformisation du marché mondial de la VOD : Exit a été un gros hit au box-office coréen. Dommage car, par ailleurs, l’ensemble constitue un film agréable, au ton alerte et enlevé.

G.E. 




MULAN 
2020. USA/Canada/Hong Kong. Réalisation Niki Caro. Interprétation Liu Yifei, Donnie Yen, Gong Li… Disponible en SVOD (Disney+).
La route aura été longue et sinueuse avant que Disney ne puisse mener à son terme le remake live de Mulan. Annoncé dès 2010 avec Zhang Ziyi dans le rôle éponyme, le long-métrage passe entre les mains de plusieurs réalisateurs, dont Chuck Russell (Le Blob, The Mask), Jiang Wen (Let the Bullets Fly avec Chow Yun-Fat) et surtout Ang Lee, connu pour avoir « mondialisé » le wu xia pian avec Tigre et dragon. Suite au succès de Wonder Woman, seul blockbuster hollywoodien des années 2010 réalisé par une femme, le studio décide de soutenir la cause #metoo en confiant Mulan à Niki Caro. Le choix n’est pas innocent : la cinéaste néozélandaise a signé en 2012 le drame Paï : l’élue d’un peuple nouveau, où une adolescente essaie de s’imposer au sein d’un village engoncé dans des traditions très masculines. Propulsée à la tête d’une entreprise de 200 millions de dollars, pensée à la fois pour servir le progressisme affiché par Disney et pour siphonner les recettes du très dynamique marché cinématographique chinois, Caro n’est sans doute pas en position de faire des vagues, ou d’expérimenter au-delà de ce que ses employeurs attendent du long-métrage. De fait, le résultat est totalement prévisible. L’émancipation de la figure féminine centrale constitue le seul et unique axe thématique du récit, et tout ce qui ne s’y rapporte pas de près ou de loin est expurgé ou simplifié jusqu’à la caricature. Même la « méchante » interprétée par Gong Li aura droit à une rédemption dans les règles, laissant à Jason Scott Lee le monopole de l’aigreur. Si on peut tout à fait soutenir le féminisme du projet (après tout, on adore Showgirls de Paul Verhoeven, où les personnages masculins dans leur globalité sont de profonds connards), la pauvreté du produit fini ne suscitera que quelques bâillements. Remplissant leur mission avec professionnalisme (les couleurs sont aussi saturées que dans une superproduction chinoise moderne, les paysages sont spectaculaires et les cascades sont périlleuses), Caro et son équipe ne parviennent toutefois jamais à se distinguer de la masse, ni à proposer la moindre idée originale. On pourrait enfin s’étendre sur le surdécoupage systématique (jusque dans les plans de réaction, souvent doublés voire triplés au montage), les raccords étranges (par exemple ce plan d’exposition qui s’approche longuement de l’enceinte d’un village avant de passer de façon abrupte à un travelling serré à l’intérieur) et les cadrages trop occidentaux (un combat acrobatique est entièrement filmé en plan américain, laissant les jambes hors-champ). Nos réserves pèseront finalement peu dans la balance : Mulan a déjà prouvé à Disney que son approche ultra vulgarisatrice était 100 % valable. Déprogrammé peu avant sa sortie en salles et finalement proposé à la location outre-Atlantique aux abonnés de Disney+, le film a rapporté en deux semaines près de 300 millions de dollars, dont aucun centime n’aura besoin d’être partagé avec les exploitants. Un nouveau monde est en marche ; reste à savoir qui en ressortira gagnant…

A.P. 




WENDY 
2020. USA. Réalisation Benh Zeitlin. Interprétation Devin France, Yashua Mack, Gage & Gavin Naquin… Sortie le 23 décembre 2020 (Condor Distribution).
2012. En fait de fin du monde, déboule un drôle de film post-apocalyptique, bouillonnant et foisonnant, Les Bêtes du Sud sauvage. Au menu, une caméra qui reste obstinément au niveau de regard des enfants, une catastrophe naturelle se métamorphosant en ambiance de jugement dernier, une bande-son de néo-folk cajun qui exalte les irréductibles rednecks de la Louisiane, des plans métaphoriques de bestiaux géants qui catapultent l’ensemble dans un fantastique visionnaire. Après ce coup d’essai fulgurant, tout le monde se demandait à quoi allait ressembler la carrière du réalisateur Benh Zeitlin. Son second long-métrage Wendy apporte une réponse… à la fois logique et inattendue. Ben, en gros, il a refait la même chose. Comme son titre l’indique, le film revisite l’histoire de Peter Pan en adoptant le point de vue du personnage de Wendy, et en lui appliquant le style Zeitlin, à base d’enfants hirsutes et de décors naturels pouilleux. Loin du chromo numérique, le conte est ainsi censé retrouver sa force originelle. Le résultat est ambitieux et pas inintéressant, mais d’un autre côté, nous devons avouer qu’il nous a laissés un peu froids. D’abord, il y a peut-être un facteur culturel. En France, on connaît Peter Pan comme le petit garçon qui ne voulait pas grandir. OK, mais le récit est sans doute plus profondément inscrit dans l’inconscient collectif du monde anglo-saxon, où les détails de l’histoire sont beaucoup mieux connus. Par exemple, Peter est un savant mélange d’innocence et d’égocentrisme, ses bêtises ont causé la création du Capitaine Crochet, l’île de Neverland est aussi peuplée d’enfants devenus vieillards après avoir loupé le coche de l’immortalité, etc. Possible, donc, qu’il faille être familier avec l’oeuvre originale de J.M. Barrie pour apprécier pleinement les variations orchestrées par Zeitlin. Bon, l’explication vaut ce qu’elle vaut, Wendy n’ayant guère connu le succès aux US. Tourné dès 2017, le film est longtemps resté dans les tiroirs avant de connaître une exploitation fugace, il est vrai stoppée net par la pandémie. En fait, les raisons de ce relatif échec pourraient résider dans le style même de Zeitlin, qui a bien du mal à passer la barre de l’augmentation des moyens – tourné aux Caraïbes, le long-métrage semble avoir coûté bonbon. Certes, le découpage du cinéaste est intact, mais il apparaît ici comme lissé, loin de son âpreté initiale. De même pour les irruptions du fantastique poétique, jolies mais un peu figées dans une imagerie compassée. Quant à la musique des violoneux sudistes, quasiment ininterrompue, elle devient vite soûlante. D’où une sacrée contradiction. Alors qu’il était censé être une contre-proposition originale, le film ne semble pas fondamentalement différent de la « spielberguerie » Hook, avec tout ce que cela comporte de mièvrerie. De quoi méditer sur les enthousiasmes hâtifs. Tout bien réfléchi, c’était si bien que ça, Les Bêtes du Sud sauvage ?

G.E. 




LIFE LIKE 
2019. USA. Réalisation Josh Janowicz. Interprétation Steven Strait, James D’Arcy, Addison Timlin… Disponible en VOD.
Les relations troubles entre humains et machines pensantes ne constituent pas un thème nouveau, mais ce film les dépeint avec habileté. Il y a d’abord une grande précision dans l’étude de milieu : ici celui de bobos new-yorkais aussi branchés par le vintage que par la justice sociale et l’écologie. Issue de cette catégorie, l’héroïne délire mal quand elle est forcée de déménager dans une demeure patricienne après que son mec a hérité de l’entreprise familiale. Elle envoie donc en vacances une armée de domestiques latinos, qu’elle remplace par un robot androïde à l’intelligence artificielle évolutive. Comme le valet 2.0 est programmé pour satisfaire ses maîtres, aussi bien au niveau pratique que psychologique, la situation dérive vers un curieux ménage à trois, au terme duquel la nature de chacun sera révélée… Aimer, ce n’est pas donner à l’être aimé ce qu’il veut, mais lui donner ce dont il a besoin : telle pourrait être la morale de ce Life Like qui témoigne de solides qualités d’écriture et d’interprétation, jusqu’à un rebondissement final ahurissant et pourtant diaboliquement logique. Bon, le film n’est pas non plus indispensable, puisque sa mise en scène, sans être elle-même robotique, reste purement fonctionnelle. Mais voilà quand même une vraie petite découverte, au sein d’une actualité VOD pas très folichonne ce mois-ci.

G.E. 


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