Cinéphages n°342

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LE DIABLE, TOUT LE TEMPS
The Devil All the Time. USA. 2020. Réalisation Antonio Campos. Interprétation Tom Holland, Robert Pattinson, Riley Keough… Disponible en SVOD (Netflix).
Pendant la Seconde Guerre mondiale, sur une île du Pacifique, un Marine retrouve l’un de ses camarades écorché vif et crucifié par les soldats japonais. En 1950, quelque part dans l’Ohio, un évangéliste persuadé qu’il peut ressusciter les morts enfonce un tournevis dans le cou de sa femme et hurle sur son cadavre pour qu’il se relève. Un couple de serial killers sillonne les routes et prend des autostoppeurs que le mari assassine après les avoir photographiés en train de baiser avec sa femme. Un pasteur fait monter des adolescentes dans sa voiture et leur ordonne de lui « montrer leur corps tel que Dieu l’a fait » avant de les violer… Des images qui donnent une idée assez précise de ce film noir redneck peuplé de démons intérieurs et bien réels. La prose du roman de Donald Ray Pollock s’y métamorphose en conte pour adultes raconté sur plusieurs générations, où des hommes et des femmes se rencontrent avant de s’aimer, de mourir ou de tuer, voire les trois à la fois. Hanté par la mort, le sexe et le fanatisme religieux (on pense un peu à Emprise de Bill Paxton, beaucoup à Jim Thompson), Le Diable, tout le temps trahit à l’occasion le passé télévisuel de son réalisateur Antonio Campos (on lui doit plusieurs épisodes de The Sinner) et adopte parfois une narration un peu trop littéraire. Les chapitres, même narrés par l’auteur du livre lui-même, ça fonctionne mieux sur le papier qu’à l’écran, et le montage se montre un peu confus dans un premier temps, notamment quand il joue sur les sauts dans le temps et les parallèles entre les différentes intrigues. Reste qu’une fois trouvée sa vitesse de croisière, le film déploie une vision crépusculaire d’un monde où la vie se résume à deux choses : souffrir et faire souffrir. Le Mal est partout, même chez ceux qui pensent faire le Bien, et il finit toujours par triompher. Très à l’aise dès lors qu’il s’agit d’orchestrer des montées de tension suffocantes jusqu’à ce que la violence implose avec une sécheresse glaciale (Zodiac n’est pas loin), Campos s’appuie sur une formidable troupe d’acteurs : Robert Pattinson continue de flinguer son image de beau gosse dans un rôle (un peu trop) inspiré de celui de Robert Mitchum dans La Nuit du chasseur et Jason Clarke en impose méchamment en voyeur sadique. Mais on retiendra surtout les prestations de la décidément troublante Riley Keough (Under the Silver Lake, The House That Jack Built) en appât plus ou moins consentant, et de Tom Holland, impressionnant en grand frère borderline adepte de la loi du talion. Après Au coeur de l’océan et The Lost City of Z, il prouve une fois encore qu’il n’est pas seulement Peter Parker : il possède l’étoffe des grands. De mémoire, Netflix n’avait encore jamais produit d’oeuvre aussi mémorable.

C.D.




JE VEUX JUSTE EN FINIR
I’m Thinking of Ending Things. 2020. USA. Réalisation Charlie Kaufman. Interprétation Jesse Plemons, Jessie Buckley, Toni Collette… Disponible en SVOD (Netflix).
Avec le recul, les 20 ans de carrière de Charlie Kaufman ressemblent à un parcours de montagnes russes à la logique inversée, où les montées s’effectueraient à toute allure et les descentes à vitesse réduite. Le bonhomme se voit propulsé au zénith de la coolitude avec le script de Dans la peau de John Malkovich, tour de force conceptuel et métatextuel d’une richesse affolante. A contrario, ses scénarios de Human Nature et Confessions d’un homme dangereux multiplient les pirouettes dans le vide, et participent de l’oubli dans lequel ces films de Gondry et Clooney sont plongés aujourd’hui, en dépit de la personnalité de leur réalisateur respectif. Ses retrouvailles avec Spike Jonze sur Adaptation. déconcertent une moitié du public, séduisent de justesse l’autre moitié, en grande partie grâce à la capacité de Nicolas Cage d’émuler l’auteur en déroute. Eternal Sunshine of the Spotless Mind et sa première réalisation, Synecdoche, New York, jouent de nouveau sur un bouillonnement narratif impossible à canaliser, sur une haute idée de la fiction que le créateur omniscient ne cesserait de raboter pour parvenir à un idéal inatteignable. Charlie Kaufman doit lutter pour mener son oeuvre à bien, confronté à un paradoxe irréconciliable : un manque d’assurance confinant à la pathologie le dispute à un ego artistique absolu, démiurgique. L’homme sclérosé et le créateur tout puissant n’ont de cesse de s’entretuer, pour l’amour de l’art et le regard des femmes, témoins impuissantes de ce carnage pathétique.
Le film d’animation Anomalisa déboule au terme de sept années d’absence, et force son auteur à emprunter une nouvelle voie. L’arrogance du personnage principal y est déconstruite par son pendant féminin, un temps observé de haut, finalement transcendé dans la maladresse de la plus incroyable scène de sexe jamais filmée entre des marionnettes. Je veux juste en finir s’inscrit en creux dans cette lignée par l’importance accordée au personnage de Jessie Buckley, pion d’une architecture mentale en marabout de ficelle qui prend peu à peu conscience de sa place dans le récit. Pour la seconde fois, Kaufman déplace le curseur du créateur vers sa création, et semble de fait vaincre une grande partie de ses démons artistiques. Je veux juste en finir, qui raconte comment une visite chez les parents de son petit copain devient pour une jeune femme pleine de doutes une étrange odyssée mentale, témoigne d’une maîtrise formelle insolente et inédite, de tentatives passionnantes et intrigantes. La structure gigogne gagne en fluidité et en évidence au fil des visions, de même que les choix artistiques les moins faciles à digérer (Toni Collette et son jeu over the top qui semble parodier sa performance dans Hérédité). Le roman de Iain Reid se révèle le terreau idéal pour canaliser les obsessions dramaturgiques de Kaufman, lequel peut enfin se regarder en face et se dire qu’il est venu à bout d’un processus créatif, de ce sentiment d’inachevé qui le ronge depuis ses débuts.

F.C.



ANTEBELLUM
2020. USA. Réalisation Gerard Bush & Christopher Renz.Interprétation Arabella Landrum, Jena Malone, Eric Lange… Sorti le 9 septembre 2020 (Metropolitan FilmExport).
Après la banderole, le film ! Comme l’entérine le nouveau règlement des Oscars, les productions hollywoodiennes ne sont dorénavant plus tenues de porter un regard sur un sujet, mais de déclarer a priori des idées-hashtags et de bâtir tant bien que mal une fiction dessus. Ici, la nécessité d’avoir l’air au courant du mouvement Black Lives Matter (avec un soupçon de Time’s Up pour faire bonne mesure) amène les auteurs à faire honteusement les malins avec les crimes contre l’Humanité. OK, le rapport entre les deux séries d’images (Janelle Monáe esclave dans une plantation au régime très dur, la même Janelle Monáe prof de fac de nos jours) n’est pas celui qu’on avait cru deviner. Mais on est loin de Get Out et Us, cités sur l’affiche. Les films de Jordan Peele épinglaient avec subtilité la persistance des discriminations, sous le vernis de tolérance de la société américaine. À l’inverse, cet Antebellum s’avère somme toute très inoffensif, sa vision du racisme était si conventionnelle que presque personne ne s’y reconnaîtra, même chez les électeurs sudistes de Trump.

G.E.



ORIGINES SECRèTES
Orígenes secretos.
2020. Espagne/Argentine. Réalisation David Galán Galindo. Interprétation Javier Rey, Verónica Echegui, Brays Efe… Disponible en SVOD (Netflix).
Histoire de relever quelques points positifs, ce premier long-métrage témoigne d’une certaine maîtrise technique, d’une belle photo et d’un montage ad hoc. Il est d’autant plus regrettable que ce savoir-faire soit déployé au service d’une insulte permanente à la communauté geek, comme le 7e Art n’en avait guère connu depuis le redoutable Cyprien de David Charhon. L’histoire, invraisemblable à s’en cogner la tête contre les murs jusqu’à l’hémorragie cérébrale (il est question d’un tueur en série obsédé par les super-héros), n’est qu’un prétexte à enfiler les clichés douteux. Quelques dialogues tentent de faire croire à un traitement équilibré de la question, mais ces tentatives grossières rendent le tout encore plus énervant.

F.C.



LUPIN III: THE FIRST
2019. Japon. Réalisation Takashi Yamazaki. Interprétation (voix VO) Kan’ichi Kurita, Suzu Hirose, Tatsuya Fujiwara… Sorti le 7 octobre 2020 (Eurozoom).
Invention du mangaka récemment disparu Monkey Punch, le maître cambrioleur Lupin, petit-fils d’Arsène, a déjà eu les honneurs de pas moins de six séries, d’un long-métrage d’animation signé Hayao Miyazaki (Le Château de Cagliostro), d’un autre coréalisé par Seijun Suzuki (L’Or de Babylone) et d’un live action beaucoup trop coloré de Ryûhei Kitamura. Edgar de la Cambriole, de son mirifique patronyme français, peut désormais ajouter à son palmarès un film d’animation en images de synthèse. Dans toutes ses autres itérations animées, le personnage brillait d’un charme roublard que la présente froideur des traits fait malheureusement disparaître. Au fil d’une aventure beaucoup trop riche en rebondissements assez absurdes dans leur démesure spectaculaire, l’esprit de Lupin s’égare, se retrouve parfois dans quelques échanges affûtés, se dilue au final dans un esprit blockbuster qui ne semble pas lui correspondre. Les ingrédients d’un divertissement familial idéal sont réunis, le goût demeure tristement fade.

F.C.



VORTEX
2020. France. Réalisation Christophe Karabache. Interprétation Julien Romano, Claudia Fortunato, Joelle Hélary… Sortie le 28 octobre 2020 (VisioSfeir).
Auteur de huit films depuis 2012, Christophe Karabache fait partie de ces indépendants farouches dont les aspirations visuelles et les obsessions thématiques ne risquent pas de trouver un écho auprès des [...]

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