Cinéphages n°340

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DA 5 BLOODS : FRÈRES DE SANG
2020. USA. Réalisation Spike Lee. Interprétation Delroy Lindo, Jonathan Majors, Clarke Peters… Disponible en SVOD (Netflix).
Hasard du calendrier, Da 5 Bloods : frères de sang sort au moment où le meurtre de George Floyd a déclenché une vague de protestation mondiale et l’émergence du mouvement Black Lives Matter. Le film acquiert ainsi une résonance toute particulière, même si on aurait tort de le limiter à ce seul caractère emblématique. Écrite en 2013 par les scénaristes de Rocketeer et de la série Flash, puis retravaillé par le réalisateur avec son scénariste de BlacKkKlansman, l’histoire brasse quantité de thématiques mais reste avant toute chose un vrai film d’aventure et d’action tel qu’aurait pu le concevoir Samuel Fuller en son temps, même si c’est au Trésor de la Sierra Madre et à la trilogie vietnamienne d’Oliver Stone qu’on pense en premier lieu. De nos jours, quatre vétérans afro-américains de la guerre du Vietnam retournent sur place afin de déterrer des lingots d’or qu’ils avaient enterrés à l’époque. Ils comptent en profiter pour rapatrier le corps de leur chef de section (Chadwick Boseman), laissé au même endroit après avoir été tué au combat. Rien de cupide dans la mission qu’ils se sont fixée, puisqu’ils entendent mettre ce trésor au service de la cause noire tout en offrant une digne sépulture à leur frère d’armes. Après s’être retrouvés à Hô-Chi-Minh-Ville (ex-Saigon), ils passent un accord avec un homme d’affaires français (Jean Reno) pour faire sortir l’or du pays, puis partent dans la jungle, escortés par un guide local. Forcément, ce voyage va réveiller les fantômes du passé : comme dirait John Rambo, « Ce n’était pas ma guerre, mais elle n’est jamais finie. ». Ponctué de flashes-back guerriers musclés par un formidable score héroïque à la John Williams de Terence Blanchard, le récit fait preuve d’une telle densité dramatique qu’il lui est impossible de tout aborder de front. En résulte un certain déséquilibre dans le traitement des thèmes et des personnages. Difficile en effet de faire un film choral en abordant de concert des sujets aussi complexes que le traumatisme de la guerre, le racisme, la paternité, la solitude, l’amitié, la culpabilité, la politique américaine… Spike Lee tente du mieux qu’il peut de concentrer ces thèmes à travers trois protagonistes : Paul (Delroy Lindo, magnifique), un électeur de Trump souffrant de stress post-traumatique, son fils David (Jonathan Majors), un libéral qui l’accompagne dans sa mission en dépit de leurs désaccords, et Otis (Clarke Peters), qui retrouve la Vietnamienne avec qui il avait eu une liaison pendant la guerre et se découvre papa. Un mélange bourré d’émotion mais aussi foutrement explosif, qui donne lieu à des scènes de tension et de violence où Spike Lee fait montre d’une ébouriffante maîtrise du suspense et de l’action, et où la jungle redevient une zone de guerre à grand renfort de gunfights furieux, de corps déchiquetés par les mines et de serpents vindicatifs. Au final, si on oublie les imperfections du script, on tient là l’une des plus belles réussites du réalisateur et un sacré morceau de cinéma, fut-il cantonné à une plate-forme de vidéo à la demande.

C.D. 




THE VIGIL
2019. USA. Réalisation Keith Thomas. Interprétation Dave Davis, Menashe Lustig, Malky Goldman… Sortie le 5 août 2020 (Wild Bunch Distribution).
Sous le feu de l’actualité télévisuelle via la série Netflix Unorthodox, la communauté juive orthodoxe a fasciné bon nombre de cinéastes qui en ont dépeint les codes de conduite souvent contraignants. Après Sidney Lumet (Une étrangère parmi nous), Darren Aronofsky (Pi) ou encore Joshua Z Weinstein (Brooklyn Yiddish), c’est au tour du novice Keith Thomas de se frotter au sujet, que cet ancien romancier incorpore de manière assez naturelle au film de fantôme. Et ce, non pas pour se livrer à une critique virulente de la religion juive (quoique…), mais pour en exploiter de façon purement horrifique les dogmes et la mythologie. Un peu à la manière de ce que William Friedkin avait accompli avec le catholicisme pour les besoins de L’Exorciste. Dans The Vigil, Thomas s’intéresse au cas de Yakov (Dave Davis), un type s’étant détourné de sa foi après que lui et son jeune frère ont été victimes d’une agression antisémite. Un soir, ce Newyorkais est contacté par un membre de la communauté hassidique pour jouer les « Shomers » en échange d’une confortable somme d’argent. Sa mission : veiller sur le cadavre d’un retraité jusqu’au petit matin afin que l’âme du défunt puisse reposer en paix. D’apparence simple, la tâche va se révéler plus dangereuse que prévu lorsque Yakov devient persuadé, suite à d’éprouvantes hallucinations, qu’une entité surnaturelle cherche à lui faire du mal… Adoubé sur le tard par Jason Blum (qui se contente ici d’un poste de producteur exécutif), The Vigil joue ouvertement la carte du huis clos (unité de temps, de lieu et d’action) pour dépeindre la crise existentielle d’un homme tiraillé entre sa foi atavique et son rationalisme naissant. Sans prendre parti, Keith Thomas confère une approche intimiste à son premier effort, dont certains aspects évoquent deux célèbres metteurs en scène juifs tourmentés : Woody Allen et Roman Polanski. Du premier, Thomas conserve l’esprit new-yorkais, la vivacité des dialogues et l’authenticité urbaine. Du second, le futur réalisateur de Firestarter pique quelques trucs visuels (grand-angle, contre-plongée) afinde restituer son goût prononcé pour la terreur mâtinée d’humour noir (la conversation téléphonique malaisante avec le psy). Bien que discrète, la caméra de Thomas s’avère particulièrement maîtrisée et exploite à bon escient le potentiel d’un script certes inégal (trop de jumps scare, l’obligatoire sous-sol rempli d’indices destinés à tout expliquer au spectateur), mais suffisamment bien charpenté pour tenir la distance. Et quel plaisir de voir un cinéaste jouer pleinement la carte des effets spéciaux à l’ancienne lors d’un climax aux trucages aussi simples que redoutablement efficaces. Pas de doute, les nostalgiques du grand Mario Bava apprécieront la démarche…

J-B.H.



INTERVIEW KEITH THOMAS
RÉALISATEUR & SCÉNARISTE

Après avoir signé plusieurs romans, l’Américain Keith Thomas s’est lancé, à 40 ans passés, dans l’aventure du premier long-métrage avec The Vigil. Avec succès, puisque ce huis clos horrifique et intimiste lui a permis de décrocher les rênes de Firestarter, la seconde adaptation cinématographique du roman Charlie de Stephen King produite par Jason Blum.

Avant de réaliser The Vigil, vous avez signé un court-métrage intitulé Arkane. Il était inspiré de l’un de vos romans, n’est-ce pas ?

Oui, c’est ça. À l’évidence, je suis plus âgé que la plupart des jeunes réalisateurs puisque j’ai la quarantaine. Quand j’étais étudiant en médecine, je prenais toujours le temps d’écrire, car je rêvais depuis l’enfance d’être cinéaste. Je n’avais aucune idée de la façon dont j’allais pouvoir m’y prendre : quoi faire ? Qui rencontrer ? Je n’avais aucun contact… À la fac, j’ai étudié l’anglais pendant une dizaine d’années et j’ai fait de la recherche médicale, sans oublier pour autant ma fibre créatrice. Je suis donc devenu romancier. L’un de mes livres est arrivé entre les mains de la compagnie de production de Guillermo del Toro et ses dirigeants m’ont contacté pour me demander de l’adapter en scénario. Mes scripts ont fini par se faire remarquer, et j’ai même pu gagner suffisamment d’argent – quand bien même ces scripts n’étaient pas portés à l’écran – pour quitter mon boulot de chercheur et me consacrer entièrement à l’écriture. J’ai ensuite convaincu ma femme d’utiliser nos économies pour tourner un court-métrage, non sans avoir suivi un véritable entraînement militaire de six mois où j’ai étudié chaque détail de la conception d’une oeuvre cinématographique. Arkane a été tourné en seulement deux jours et j’ai tout fait dessus : je l’ai écrit, réalisé et produit. J’ai même peint les décors… Tout ce que je pouvais accomplir moi-même, je l’ai fait. Une fois le court terminé, je l’ai envoyé à tous les gens que je connaissais à Hollywood en leur disant : « Voilà ce que je peux faire. »


Lors d’une interview précédente, vous exprimiez votre intention de tourner The Vigil seul dans votre coin. Finalement, vous avez trouvé de vrais producteurs. 

Quand j’ai écrit The Vigil, je pensais vraiment trouver l’argent moi-même et le tourner avec quelques amis pour un tout petit budget. On aurait tourné ça chez nous vu que je n’avais besoin que d’une maison et d’un acteur principal. Mais quand mon agent a lu le script, il m’a dit pouvoir trouver des personnes à LA qui seraient d’accord pour investir dans le projet. On a bien trouvé des producteurs, qui acceptaient de financer le film à hauteur de cinq ou huit millions de dollars, mais uniquement à la condition que je ne le réalise pas. J’ai donc répondu : « Merci, mais non merci. », car je tenais absolument à le réaliser. Finalement, j’ai eu la chance de rencontrer des gens qui ont lu et aimé le script sans pour autant vouloir se débarrasser de moi. Les murs de leurs locaux sont couverts d’affiches horrifiques, de couvertures de Fangoria, de photos de Lucio Fulci ou de Freddy Krueger. (rires) Les deux boss de cette compagnie sont des Juifs orthodoxes, alors forcément, ça paraissait logique qu’ils aiment le script de The Vigil. Pensez un peu : des Juifs orthodoxes qui aiment l’horreur ! 



Bien que votre film traite de foi et de religion, vous ne versez jamais dans le prosélytisme de rigueur à Hollywood. Ici, vous dépeignez un conflit science/croyance sans pour autant prendre clairement parti… 

Mes parents étaient des scientifiques, tout comme moi. Je suis donc très rationnel. Ma mère était juive et mon père athée, j’ai donc été confronté à deux mondes opposés, même si ma mère n’était pas quelqu’un de fondamentalement religieux. De fait, j’ai un peu une approche médiane et je tente de concilier ces deux aspects. Dans mon film, je montre une communauté dont les membres se reposent entièrement sur leur foi. Tout est vu chez eux via un prisme religieux : c’est leur façon d’être, de mener leur existence. Je voulais confronter cet univers très codifié à quelque chose de diamétralement opposé par le biais de mon héros, un homme qui s’est détourné de la religion pour une raison bien précise. Il essaie de réussir sa vie hors de la communauté, mais un évènement inattendu va l’y replonger. Je trouvais ce concept fascinant à explorer. (ATTENTION SPOILERS) À la fin, je voulais montrer le personnage utilisant des outils liés à sa culture. C’est plus une manière de survivre, de trouver la force d’y arriver. Quelque part, il rejette autant la religion qu’il l’accepte. Mon but n’était pas de montrer que la foi religieuse peut vous aider à vous en sortir, mais que la foi tout court le peut. Le héros aurait pu être un scientifique et sortir tout un arsenal médical, le résultat aurait été identique : ce qui compte, c’est qu’il trouve la force de s’en sortir, peu importent les moyens. (FIN DU SPOILER)



Lors de ce climax situé dans un couloir, vous mettez en scène des effets spéciaux particulièrement efficaces. qui semblent avoir été exécutés en direct sur le plateau. Vous n’avez pas eu recours au numérique ?

Il doit y avoir cinq secondes de numériques en tout dans The Vigil, et ce sont des effets invisibles. Des petits trucs lors des flashes-back ou des transitions… Mais pour les séquences horrifiques, tout a été fait en live. Les murs de la séquence que vous mentionnez étaient déformés par des gens cachés derrière les parois, la créature est un simple type dans un costume, la tête qui tourne était un modèle géant… J’ai toujours voulu utiliser des effets mécaniques, car ils semblent tout simplement plus vrais, plus authentiques. Si des films comme The Thing transcendent les époques, c’est parce qu’ils reposent sur quelque chose de concret, alors que le numérique vous sort du film tout en lui donnant un aspect très daté. Tout est une question d’équilibre. 


Vous vous apprêtez à réaliser Firestarter, une nouvelle adaptation du roman Charlie de Stephen King. Peut-on espérer de vrais effets pyrotechniques ? Le feu numérique n’est guère convaincant en général… 

Il est très important pour moi de poursuivre la voie tracée par The Vigil : je veux au maximum matérialiser les effets pyrotechniques devant la caméra. Le feu est l’un des plus vieux effets spéciaux du cinéma, il faudra donc trouver une façon nouvelle de le mettre en scène. Les pouvoirs de Charlie sont très viscéraux et je réfléchis à la façon de les représenter à l’écran. Un défi d’autant plus excitant que le script de Scott Teems est excellent. Nous serons fidèles au livre tout en adoptant une approche qui reflètera ma propre vision de la paternité : qu’est-ce que ça fait d’être père quand on est en fuite pour sauver sa fille, tout en protégeant le monde des pouvoirs de cet enfant ? L’important, c’est que le film soit aussi authentique que le livre. N’espérez pas voir des gens en feu courir frénétiquement tout en hurlant. Non, je veux voir la peau des gens fondre sous nos yeux.

PROPOS RECUEILLIS PAR JEAN-BAPTISTE HERMENT. Merci à Michel Burstein.




LIGHT OF MY LIFE
2019. USA. Réalisation Casey Affleck. Interprétation Anna Pniowsky, Casey Affleck, Elisabeth Moss… Sortie le 12 août 2020 (Condor Distribution).
Un père et sa fille qu’il considère comme « la lumière de sa vie », c’est déjà beau, mais cela devient stupéfiant quand ils sont tous deux dans un monde post-apo à nul autre pareil. 
« C’est un monde d’hommes, mais il n’y aurait rien sans une femme ou une fille » chantait James Brown dans un slow d’enfer. La phrase pourrait être mise en exergue de Light of My Life et de son drôle de monde post-apocalyptique. Un homme campe en pleine forêt avec sa gamine de 11 ans, à qui il recommande de s’habiller en garçon et de se présenter comme telle aux inconnus. De fait, dès qu’ils rencontrent un promeneur trop curieux, père et fille plient bagage et recomm [...]

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Commentaire(s) (2)
G.C.M
le 17/07/2020 à 19:11

maigre actu, mais toujours bon de vous lire. "Balle perdue" c'est franchement pas mal, au moins c'est court et pas lourd (contrairement à Vin Diesel).... Bref déconfinez la culture bordel !

danysparta
le 13/10/2021 à 16:47

Vu DA 5 BLOOD et ça fait bizarre de voir ce film après la mort de Chadwin Boseman surtout vu son rôle de héros mort au combat que ses frères viennent honorer. Si le film est interessant et les quelques scènes d'action étonnement gore, l'humour est parfois mal venu je trouve et le film est aussi trop long mais ces défauts n'empêche pas de l'apprécier même si j'ai une préférence pour BLACKKKLANSMAN de Spike Lee.

Bien aimé aussi BALLE PERDUE, vendu comme un FAST AND FURIOUS français alors qu'en fait bah non pas du tout. Un bon petit polar bien nerveux qui passe comme une balle.

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