Cinéphages n°338

Array

THEE WRECKERS TETRALOGY 
2019. Pays-Bas/France/Belgique. Réalisation Rosto. Interprétation W. Folley, Rosto, Barnaby Savage… Sorti le 4 mars 2019 (Autour de minuit).
Nous en avions déjà parlé dans les pages de Mad Movies, mais la ressortie en salles de la « tétralogie » de Thee Wreckers nous permet d’en remettre une couche, et de rendre hommage au réalisateur néerlandais Rosto, qui nous quittait il y a très exactement un an. Pour essayer de faire simple, Thee Wreckers est un projet méta entre le clip rock et l’animation semi-narrative, basé sur le parcours du groupe de punk néerlandais The Wreckers. Cofondateur de ce quintet un peu barré, devenu quartet suite au désistement de sa seule musicienne, Rosto décide en 2007 de se lancer dans un projet artistique au long cours, qui prendra finalement la forme de quatre courts-métrages conçus en vases communicants : No Place Like Home (2009), Lonely Bones (2013), Splintertime (2015) et Reruns (2018). Les différents chapitres sont désormais réunis dans un seul et même programme de trois quarts d’heure environ, entrecoupés de citations de Kurt Cobain ou David Bowie, et complétés par un making of d’une vingtaine de minutes où Rosto retrace la genèse et l’évolution du groupe au fil des décennies.
Si ce préambule vous laisse de marbre, ne serait-ce qu’en raison du caractère très underground de la démarche, on vous conseille vivement de forcer le pas et de vous rendre dans n’importe quelle salle ayant le bon goût de programmer l’objet. Au-delà d’une technique impressionnante, mêlant les prises de vues réelles aux miniatures, aux maquillages old school, à l’animation 2D et à l’image de synthèse pour un résultat toujours excitant et désarçonnant, Rosto maîtrise l’art du surréalisme autant que Phil Tippett sur Mad God, David Lynch sur Eraserhead ou Johan Renck sur les clips de l’album Blackstar (on reconnaît au passage l’influence de Bowie sur les chansons de Thee Wreckers). En d’autres termes, rien ne fait sens mais tout se comprend instinctivement, les tableaux hallucinatoires s’enchaînant avec une fluidité étrange tandis que les idées visuelles les plus expérimentales s’entrechoquent. Totalement libre, Rosto joue avec la temporalité de façon agressive (No Place Like Home est entièrement basé sur des mouvements paradoxaux dans l’espace et le temps), torture constamment ses personnages principaux tout en leur dédiant une certaine tendresse, et se dirige lentement vers une apothéose sous-marine assez splendide, où un oeil flottant dans les ruines d’une civilisation perdue ira profiter d’un ultime concert spectral. Délicieusement grotesque, Thee Wreckers Tetralogy est un trip sensoriel ponctué de visions dantesques (ces squelettes géants marchant au fond des océans, cette envolée de fantômes au-dessus d’une autoroute qui ne mène nulle part), une proposition singulière et impertinente donc, imprégnée de la première à la dernière image de la folie de son créateur.

A.P.




BIRDS OF PREY ET LA FANTABULEUSE HISTOIRE DE HARLEY QUINN
Harley Quinn: Birds of Prey. 2020. USA. Réalisation Cathy Yan. Interprétation Margot Robbie, Rosie Perez, Mary Elizabeth Winstead… Sorti le 5 février 2020 (Warner Bros. France).
Puisqu’on nous force à rentrer dans le débat « femmes et codes du genre », allons-y franco, quitte à y laisser quelques plumes. En effet, l’histoire impose d’emblée une grille de lecture mastoc. Larguée par le Joker, Harley Quinn (Margot Robbie) s’efforce de voler de ses propres ailes et se retrouve ainsi en bisbille avec des mâles très méchants. Cela la pousse à s’allier bon gré mal gré avec d’autres meufs, qui sont autant de figures d’ordinaire reléguées au second plan : femme flic opiniâtre qui a été dépossédée de ses faits d’armes par ses chefs, pépée à gangster travaillant comme chanteuse de cabaret, fille de mafieux devenue ange exterminateur pour venger sa famille massacrée… On voudrait sans doute nous faire croire que les conventions super-héroïques sont ici retournées comme un gant, pour favoriser l’avènement de la femme. Vaste blague : il s’agit juste d’un ravalement de façade, aussi anecdotique que possible. La violence, dédramatisée à l’extrême, est traitée sur un mode caricaturalement « girly », avec des coups de batte de base-ball accompagnés d’une pluie de paillettes multicolores. Plus largement, la réalisation de Cathy Yan trahit une complète impuissance, la narration n’étant relancée que par une B.O. saturée de chansons (le film est un véritable juke-box) et une voix off sans laquelle l’intrigue aurait tôt fait de s’effondrer. Même le regard sur le sex-appeal des héroïnes n’a rien de foncièrement différent par rapport aux usages habituels, et les geeks obsédés trouveront ainsi leur compte d’anatomies à reluquer. À ce titre, celle qui tire l’épingle du jeu est la belle Jurnee Smollett-Bell, qui botte des culs en levant bien haut la jambe malgré un futal en cuir agréablement moulant…
Bref, le bilan est assez lourd. La virilité en crise de Joker, quoi qu’on en pense (le film a été loin de faire l’unanimité chez Mad Movies, comme vous avez pu le lire dans la table ronde sur l’année 2019 de notre numéro de janvier), a du moins marqué les esprits. Birds of Prey…, pour sa part, sombre dans l’insignifiance, comme d’ailleurs pas mal de productions repeintes hâtivement aux couleurs du mouvement Time’s Up pour avoir l’air au courant. Les exceptions sont rares : voir le début de X-Men: Dark Phoenix, avant qu’un dernier acte catastrophique massacre le mythe du Phénix Noir au point de faire passer la version Brett Ratner pour un chef-d’oeuvre. Mais le plus étrange est que personne ne semble avoir l’idée de créer de nouveaux personnages et de nouvelles histoires où les nanas trouveraient naturellement leur place. Au lieu de cela, on a une curieuse alliance entre la stratégie des majors et les approches « féministes ». Les premiers veulent continuer à faire fructifier leurs franchises, les secondes veulent soumettre à toute force les archétypes à des relectures, mais sans les questionner vraiment. On se retrouve ainsi avec des machins qui, tels Birds of Prey…, prétendent tout déconstruire et, au final, ne déconstruisent rien du tout.

G.E.




JUMBO
2020. France/Belgique/Lxembourg. Réalisation Zoé Wittock. Interprétation Noémie Merlant, Emmanuelle Bercot, Bastien Bouillon… Sortie le 18 mars 2020 (Rezo Films).
Il y a presque un an et demi (dans le Mad Movies 322 pour être exact), nous avions visité le plateau de Jumbo, rencontré son équipe… Mais en dépit de ce premier contact, nous continuions à nous demander à quoi allait bien pouvoir ressembler ce risqué premier film de la réalisatrice Zoé Wittock. Inspiré d’un authentique cas d’objectum sexualité (lorsqu’un humain tombe amoureux d’un objet), Jumbo raconte l’histoire de Jeanne (Noémie Merlant), jeune femme timide et réservée vivant avec son exubérante maman, Margarette (Emmanuelle Bercot), qui aimerait bien voir sa fille s’ouvrir au monde… et aux hommes. Jeanne, qui travaille de nuit dans un petit parc d’attractions, rencontre alors Marc (Bastien Bouillon), le nouveau gérant des lieux, mais surtout Jumbo, un imposant manège… qui ne semble pas être insensible aux sentiments de la jeune fille.
Il y avait mille façons d’aborder une telle histoire. L’étude de cas clinique. Le drame intime. La comédie. Observer à distance et risquer de juger son héroïne. Ne pas la prendre au sérieux et la transformer en freak. Zoé Wittock opte pour la plus belle option : le réalisme magique. Jumbo refuse d’être l’exploration d’un esprit que la science désigne comme « malade ». Le film joint le geste artistique à la parole scénaristique pour clamer, comme le fit par exemple La Secrétaire de Steven Shainberg en 2002, que les sentiments n’ont pas besoin de l’approbation du monde extérieur pour être « valides », et ce quelle que soit leur singularité. Au lieu d’isoler l’aventure intime de Jeanne et Jumbo de leur environnement quotidien, d’en faire une anomalie, la cinéaste les fusionne par l’image, par la grâce d’une photo qui n’empêche jamais les couleurs primaires de contaminer le cadre, conditionnant discrètement le spectateur à adhérer à la vision de Jeanne. Les manifestations du manège, lorsqu’il se retrouve seul avec celle-ci, sont l’occasion de séquences à la fois spectaculaires et sensibles (quelque part entre Rencontres du troisième type et Under the Skin), où le rapport d’échelle entre l’héroïne de chair et son amour de métal est aboli par une grammaire visuelle aussi étudiée qu’instinctive, chargée de stimuli organiques… C’est là, débarrassé des interférences du monde extérieur, que Jumbo – le film comme la machine –, trouve son coeur, sa pulsation, parvenant sans réserve à nous faire ressentir les sensations de Jeanne. Malheureusement, les choses se compliquent lorsqu’il s’agit d’illustrer les interactions de cette dernière avec son entourage. Des moments où Zoé Wittock ne parvient pas toujours à maîtriser la tonalité de son écriture et sa direction d’acteurs. Et si elle parvient à éviter le piège du misérabilisme, sa description d’un milieu prolétaire et la façon dont ses comédiens incarnent ce dernier n’évitent pas toujours certains clichés qui fragilisent régulièrement le long-métrage. Heureusement, Wittock garde la foi et ne dévie jamais de sa trajectoire : elle adhère sans réserve aux sentiments de Jeanne et, comme cette dernière, se fout finalement du regard des autres. En questionnant le nôtre par la même occasion.

L.D.




LE VOYAGE DU DR DOLITTLE
Dolittle. 2020. USA/Chine/G-B. Réalisation Stephen Gaghan. Interprétation Robert Downey Jr., Antonio Banderas, Michael Sheen… Sorti le 5 février 2020 (Universal Pictures International France).
Au sortir de dix ans d’engagement auprès de l’univers cinématographique Marvel, Robert Downey Jr. est enfin libre, riche en plusieurs dizaines (centaines ?) de millions de dollars et doté, dans le paysage hollywoodien contemporain, d’une aura magnifiée par l’épilogue d’Avengers: Endgame. Notre homme peut faire absolument ce qu’il veut, monter ses rêves artistiques les plus fous. Et il choisit donc cet énième reboot ciné du personnage créé par Hugh Lofting, troussé par le réalisateur de Syriana, où il finit par fister un dragon au terme d’une intrigue passablement conduite. Robert Downey Jr. se drogue donc toujours.

F.C.




LE PRINCE OUBLIÉ
2020. France. Réalisation Michel Hazanavicius. Interprétation Omar Sy, Sarah Gaye, Bérénice Bejo… Sorti le 12 février 2020 (Pathé).
Wagon de queue des filmographies de Michel Hazanavicius, Omar Sy, François Damiens, Bérénice Bejo et des coscénaristes Bruno Merle et Noé Debré, Le Prince oublié arrive après toutes les batailles. Dans cette histoire sur la façon dont le lien entre un père et sa fille se délite et affecte le monde imaginaire qu’ils ont inventé, tout a un vague goût de plat réchauffé au micro-ondes, rien ne tient debout, rien ne fait sens, l’énergie s’y consume vainement, dans l’espoir qu’il en reste quelque chose. Mieux vaut revoir Princess Bride, Vice-versa, L’Histoire sans fin et ses deux séquelles, s’il le faut, et refouler le souvenir du Prince oublié dans les mêmes limbes que Bing Bong l’éléphant rose.

F.C.




VIVARIUM 
2019. USA/Irlande/Belgique/Danemark.
Réalisation Lorcan Finnegan. Interprétation Imogen Poots, Jesse Eisenberg, Jonathan Aris… Sortie le 11 mars 2020 (Les Bookmakers/The Jokers).
Repéré avec le film d’horreur écolo Without Name, Lorcan Finnegan quitte la forêt pour une banlieue déserte où Gemma (Imogen Poots) et Tom (Jesse Eisenberg) visitent une maison sur les conseils d’un étrange agent immobilier. C’est alors que celui-ci disparaît sans laisser de traces, les laissant plantés là. Personne d’autre ne semble habiter la zone pavillonnaire et c’est en vain qu&rsq [...]

Il vous reste 70 % de l'article à lire

Ce contenu éditorial est réservé aux abonnés MADMOVIES. Si vous n'êtes pas connecté, merci de cliquer sur le bouton ci-dessous et accéder à votre espace dédié.

Découvrir nos offres d'abonnement
Commentaire(s) (5)
H2OVSCO2
le 18/03/2020 à 21:10

Hello toute la Mad Team !

Merci pour ce petit geste . On critique quand on aime pas mais c'est bien de remercier , aussi , quand on apprécie ;)

Bon courage à tous (et bonne chance !) .

Bises !

danysparta
le 19/03/2020 à 03:16

Hey, cool d'ouvrir les premiums les gars, merci. Et je vous fais la bise en virtuel hein, j'habite en lorraine alors vaut mieux.

danysparta
le 19/03/2020 à 03:20

Et sinon j'aurai bien aimé voir VIVARIUM ou LES MONDES PARALLELE moi mais bon.
J'ai eu le temps de voir BIRDS OF PREY que j'ai trouvé bien, beaucoup mieux que SUICIDE SQUAD mais pas aimé le Netfilm HORSE GIRL alors que j'aime bien l'actrice de GLOW.

G.C.M
le 26/03/2020 à 18:24

Alors moi je vous conseille "The Hunt", belle surprise
Bloodshot, ben bon voilà quoi, si tu as besoin de ne pas réfléchir ça fait passer 2h (c'est mieux que 6 Underground)
Sinon, je fait la culture cinoche de ma fille (14 ans), on a commencé la saga Alien, suivra Terminator et on finira par Fight Club. Si vous pensez que c'est pas pédagogique dites le moi avant qu'il ne soit trop tard

G.C.M
le 19/04/2020 à 09:00

Merci à tous, depuis les visionnages, elle s'est rasée la tête et là elle est enfermée dans sa chambre avec de la graisse et la soude...je me demande ce qu'elle fabrique

Ajout d'un commentaire

Connexion à votre compte

Connexion à votre compte