
Cinéphages n°337
THE GRUDGE
2020. USA/Canada. Réalisation Nicolas Pesce. Distribution Andrea Riseborough, John Cho, Lin Shaye… Sorti le 15 janvier 2020 (Sony Pictures Releasing France).
Après avoir fait sombrer la franchise The Grudge dans les tréfonds du DTV ni fait ni à faire, les pontes de Sony ont décidé d’offrir aux fantômes créés par le Japonais Takashi Shimizu un come-back digne de ce nom avec un reboot qui, il faut le reconnaître, s’annonçait plutôt bien sur le papier. D’abord parce que cette nouvelle relecture yankee a été confiée non pas à un yes man lambda, mais à Nicolas Pesce, cinéaste indépendant remarqué en festivals pour The Eyes of My Mother et Piercing. Ensuite parce que le producteur Sam Raimi promettait de s’éloigner de la formule exploitée par les opus précédents pour lorgner du côté de Se7en et de la série TV The Killing. Naïfs, nous pensions que l’accueil désastreux rencontré par le long-métrage aux USA (où le public l’a affublé d’un « F » infamant sur le site Cinemascore) était dû à la radicalité d’un metteur en scène prêt à toutes les outrances pour imposer sa marque. Vous savez quoi ? Nous avions tort. Non pas que The Grudge cuvée 2020 mérite la volée de bois vert qu’il a reçue outre-Atlantique, mais force est de constater que le résultat s’avère anodin, pour ne pas dire profondément ennuyeux. Difficile en effet de ne pas être agacé par les ressorts usés jusqu’à la corde d’une intrigue totalement dénuée d’enjeux dramatiques, puisqu’elle consiste à suivre une flic (Andrea Riseborough en plein numéro de somnambulisme) feuilletant une pile de dossiers qui n’apportent aucun élément nouveau à l’enquête. Un procédé narratif fainéant que l’auteur de Piercing tente de conjurer en multipliant les effets gore (réussis) et les jump scare (ratés) sans pour autant renouer avec la terreur diffuse qui faisait la force des Ju-On (titre original des versions japonaises). En dépit d’une photographie délicieusement poisseuse et d’un score assez séduisant, le troisième effort de Nicolas Pesce se suit sans passion et donnerait plutôt envie de revoir l’efficace remake américain réalisé par Takashi Shimizu il y a de ça 16 ans. Eh oui, déjà…
J-B.H.
INTERVIEW
LO KARMANN
RÉALISATEUR & COSCÉNARISTE
SABRINA B. KARINE
COSCÉNARISTE
Le tandem à la barre de La Dernière vie de Simon affiche sa détermination à livrer un conte fantastique pour tous publics, genre très peu prisé en France.
Propos recueillis par GILLES ESPOSITO. Merci à Claire Viroulaud et Mathilde Cellier.
Comment avez-vous construit le scénario ?
SABRINA B. KARINE Le point de départ a été un appel de Léo, sur l’histoire d’un garçon qui aurait le pouvoir de changer d’apparence. Il devait y avoir un énorme twist, que nous avons finalement enlevé du scénario : un jour, Simon tombait sur son sosie dans le métro, et comprenait alors que son apparence, qu’il pensait être l’originale, n’était en fait pas la sienne… J’ai trouvé l’idée géniale, et pendant sept ans, nous avons tourné autour de ce twist, en testant les multiples possibilités qu’il offrait. À un moment, il y a même eu des méchants, comme une scientifique qui courait après Simon pour comprendre son pouvoir et l’utiliser. Mais bien qu’ils aient été notre moteur, ces codes de genre extérieurs ont fini par laisser place à quelque chose de plus intime. Au début, nous écrivions avec la scénariste et réalisatrice Marie-Sophie Chambon, et elle a apporté l’idée de la maladie cardiaque de Madeleine. C’est ensuite que s’est construite l’histoire d’amour.
LÉO KARMANN Oui. Pendant longtemps, l’histoire a été celle de la quête identitaire d’un personnage qui, à l’adolescence, se demandait d’où il venait, qui il était, et partait donc à la recherche de ses origines. Puis nous sommes tranquillement allés vers une histoire d’amour, qui nous intéressait beaucoup plus. À vrai dire, je suis souvent déçu par les films « high concept », car je trouve que le scénario n’est pas à la hauteur du point de départ. Au fond, notre vrai travail a consisté à trouver la bonne métaphore pour notre concept fantastique. Et une fois ceci fait, c’était parti en termes d’émotion.
Le scénario s’est toujours déroulé en Bretagne ?
S.B.K. Eh bien, non ! Le scénario était assez intemporel et ne demandait rien de précis en termes de géographie. C’étaient les paysages qui étaient précis : nous savions qu’il nous fallait une falaise avec une forêt d’un côté et la mer de l’autre, avec quelque chose d’un peu magique. Or, il se trouve que je suis partie en vacances avec des amis sur la presqu’île de Crozon, et que j’y ai découvert un lieu ressemblant exactement à ce que j’avais décrit sur le papier. Du coup, Léo est venu effectuer des repérages, et il a aussi trouvé cette magnifique maison non loin. Mais nous cherchions plus une atmosphère qu’un endroit précis. Nous avions surtout besoin d’une grande crevasse, quoi !
L’aspect visuel du film est à la fois réaliste et « un peu magique »…
L.K. Oui, notre but était de déréaliser ce qui aurait pu être traité de manière très naturaliste. Autant les relations à l’intérieur de la famille devaient être crédibles, autant un côté conte et merveilleux devait passer par la mise en scène. Cela s’est fait par plusieurs biais. Déjà, nous avons travaillé sur la direction artistique bien en amont, en nous réunissant avec le directeur photo, la chef décoratrice, la chef costumière. Même l’étalonneur était présent, si bien que la colorimétrie du film était déjà fixée avant le tournage – il ne nous restait plus qu’à l’affiner. L’idée était que les décors et costumes devaient rester crédibles tout en semblant un peu irréels, un peu fantasmés, par exemple grâce à la suppression de certaines couleurs. Et pour ce qui est de la lumière, nous avons clairement privilégié son sens émotionnel, sans nous embêter à la justifier par les sources d’éclairage présentes dans le décor. Nous avons aussi utilisé des objectifs anamorphiques, dont le rendu déforme l’image et ses proportions de façon presque imperceptible. Tous ces choix esthétiques ont été pris pour conserver toujours le filtre du merveilleux, car on n’est jamais entièrement dans la vraie vie.
Le comportement de Simon n’est pas toujours très reluisant. Cela a posé problème auprès des producteurs ?
L.K. Non, ce n’est pas cela qui a été un frein, car même si Simon fait des choix parfois discutables, on les comprend émotionnellement. Si on avait été lui, on aurait sûrement fait la même chose – on comprend son désarroi et son malheur. D’ailleurs, parmi nos références, il y a eu Edward aux mains d’argent, dont le personnage est aussi un ado un peu candide ayant un pouvoir qui est davantage un handicap. Pour revenir à votre question, le blocage concernait vraiment le genre. Si on veut faire du fantastique en France, il faut que ce soit violent, gore, que ce soit pour une niche de spectateurs. Mais si vous voulez toucher un large public, c’est quasi impossible. On vous dit que la plupart des gens veulent voir des comédies avec des stars. Sinon, il y a un public cinéphile qui est là pour des sujets urgents. Or, quand vous faites un conte intemporel sur l’adolescence, il n’y a pas d’urgence… Le premier distributeur, qui s’était attaché au film sur la base du scénario, s’est ainsi retiré quand il a vu le résultat. Il nous a dit : « Y a un petit côté Spielberg, non ? ». Mais d’un air dégoûté ! Alors que c’était quand même le meilleur compliment qu’on puisse nous faire. Tous les autres ont dressé le même constat : c’est un film familial sans star, le réalisateur est inconnu, ce n’est pas l’adaptation d’un livre ou d’une BD, c’est donc super dangereux car il n’y a pas de public cible. Les gens de Jour2fête avaient aussi ce discours, mais eux, cela les a excités de tenter l’aventure d’une belle histoire qui vise à réunir les gens au cinéma, des enfants aux grands-parents.
LA DERNIÉRE VIE DE SIMON
2019. France/Belgique. Réalisation Léo Karmann. Interprétation Camille Claris, Benjamin Voisin, Martin Karmann… Sorti le 5 février 2020 (Jour2fête).
Un grand type ahuri déambule dans une fête foraine… puis revient en douce dans son lit d’enfant, au sein de l’orphelinat qui l’héberge. Le bougre est en effet un gamin ayant le pouvoir de changer d’apparence à volonté. Les seuls à connaître son secret sont deux autres marmots, un garçon et une fille, dont les généreux parents accueillent l’orphelin pendant certains week-ends… Ce serait donc parti pour une jolie bluette fantastique ? Ben, oui et non. Certes, il s’agit d’un conte, mais c’en est un qui n’oublie pas l’aspect forcément cruel de l’exercice. Comme il serait criminel d’en raconter plus, disons que l’histoire enjambe un paquet d’années pour échafauder une situat [...]
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