Cinéphages n°334

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TERMINATOR: DARK FATE
2019. USA. Réalisation Tim Miller. Interprétation Linda Hamilton, Arnold Schwarzenegger, Mackenzie Davis… Sorti le 23 octobre 2019 (20th Century Fox France).
Vendu par James Cameron comme une suite directe de Terminator 2 (ce qu’il avait déjà fait sur Genisys, par amitié pour Arnold), Dark Fate est de prime abord un actioner solide respectant le cahier des charges de Lightstorm : les forces de l’ordre y sont décrites comme une menace, l’antagoniste central est visuellement captivant et le triple climax ultra spectaculaire se déroule partiellement sous l’eau. L’absence de point de vue de Tim Miller et les motivations conceptuelles de l’entreprise posent malheureusement quelques problèmes majeurs. Attention, spoilers. 
 « J’ai toujours pensé que la décision de tuer Hicks, Newt et Bishop était stupide » affirmait James Cameron en 2016 au sujet d’Alien3. « Je pense que c’était une énorme gifle adressée au public. » On ne peut que rire jaune aujourd’hui face aux propos du réalisateur, le prologue de Terminator: Dark Fate ayant en effet le culot d’annuler la résolution du Jugement dernier en l’espace de quelques secondes. Si la scène soulève de dangereux soucis de logique (1), c’est surtout le maniérisme arbitraire de Tim Miller qui suscite l’embarras. En reproduisant par souci de fan service un ralenti emblématique de Terminator 2, le réalisateur de Deadpool renonce immédiatement à servir organiquement l’émotion de son script. Lorsque dans Terminator 2, Sarah Connor tombait nez à nez avec le T-800 dans le couloir de l’hôpital psychiatrique, le parti pris onirique renvoyait à des scènes de cauchemar récurrentes ; cauchemars qu’elle exposait lors d’un interrogatoire particulièrement intense (2). Au sens littéral, l’arrivée du T-800 brouillait la perception de Sarah, et lui faisait perdre tout contrôle sur les événements. Métaphoriquement, ses craintes étaient condamnées à se concrétiser, et la mort de plusieurs milliards de personnes apparaissait au spectateur comme inexorable. Lorsqu’un T-800 exécute froidement vous-savez-qui dans les premières secondes de Dark Fate, le ralenti employé par Miller n’est relié à aucune idée préalable ; il ne consiste qu’à émuler le style visuel supposé d’un autre réalisateur. Forcément troublé par ce décalage esthétique et le mutisme des personnages, en particulier d’une victime partiellement recréée en images de synthèse, le spectateur ne comprend pas immédiatement que les événements décrits sont bien réels. Lorsque la tragédie est finalement actée, il est trop tard : le récit nous a déjà imposé une ellipse de plusieurs décennies.

D’UN GENRE À L’AUTRE
Cette pirouette narrative est désastreuse à bien des égards. D’une part, toute la trajectoire dramatique de Sarah Connor (formidable Linda Hamilton) et du nouveau T-800 (superbe Arnold, hélas desservi par une absence totale d’iconisation de la part de Miller et l’exploitation rigolarde d’un concept de hard sci-fi très prometteur) est fondée sur un moment bâclé et trop irréel. D’autre part, ce choix narratif semble essentiellement pensé pour effacer des suites aujourd’hui décrites comme illégitimes. Certes, on avait fait le tour de John Connor en trois films : Le soulèvement des machines l’avait décrit comme un vagabond sociopathe obligé d’assumer son destin, Renaissance avait dressé le portrait d’un chef de guerre devenu froid et inflexible, et Genisys en avait fait une menace cybernétique pour le moins aberrante. Si l’on comprend le besoin d’innovation des six (!) scénaristes, on peut aussi déceler en filigrane de Dark Fate une motivation opportuniste à l’heure de l’éveil de Hollywood à la fameuse culture « woke » post-Harvey Weinstein. La démarche semble tellement artificielle qu’elle parvient même à jurer dans la carrière de James Cameron, dont le combat féministe a pourtant toujours été fondamental.

ENCORE ET ENCORE
De fait, Dark Fate ne présente presque aucun concept narratif impérissable. On y apprend qu’après la disparition de Skynet, une autre I.A. a pris le relais, précipitant à son tour l’apocalypse nucléaire et tentant d’anéantir dans l’oeuf la résistance via le voyage dans le temps (3). La déduction est la même qu’à la fin d’Avengers: Endgame : peu importe que les héros remportent ou non la bataille, la marche de l’histoire étant basée sur un éternel recommencement. Dans ce contexte anesthésiant, la seule proposition significative de Dark Fate est de remplacer une figure messianique mâle par son équivalence féminine. Les répliques revendicatrices pleuvent rapidement, comme puisées par les dialoguistes (tous des hommes, ironiquement) sur les réseaux sociaux. « Le problème, c’est ton ventre » lance Sarah à la jeune Dani Ramos avant que Grace (excellente Mackenzie Davis) n’enfonce le clou : « Tu n’es pas la mère d’un quelconque homme appelé à sauver l’Humanité. Tu es la sauveuse de l’Humanité ! » Comprenez-nous bien, le positionnement féministe de Dark Fate est évidemment légitime, mais on ne peut s’empêcher de penser que les femmes restent condamnées à ramasser les miettes de franchises lessivées, Hollywood se gardant bien de leur dédier des plates-formes d’expression totalement inédites. Si ce nouveau Terminator n’est pas avare en morceaux de bravoure (le combat final est assez sidérant), le film ne fait que confirmer que James Cameron avait déjà tout dit sur le sujet il y a près de 30 ans.

A.P.

(1) Il est précisé que Skynet aurait envoyé plusieurs Terminator à plusieurs époques différentes pour exécuter John Connor. Or, le T-800 incarné par Arnold Schwarzenegger est un ancien modèle reprogrammé par la résistance dans T2. En toute logique, Skynet aurait dû envoyer plusieurs T-1000. L’attaque du « premier » T-1000 aurait par ailleurs altéré le cours du temps, et il aurait été impossible pour Skynet de prévoir des attaques secondaires localisées sans connaître l’issue de la mission préliminaire. Doit-on préciser que cette mission a empêché la naissance de Skynet ?
(2) Cet interrogatoire est utilisé entre les différents logos d’ouverture pour imposer Dark Fate comme une suite directe de T2. Hélas, le procédé s’apparente plutôt à un « previously in Terminator » qui aurait davantage sa place dans une série TV ou une production Marvel.
(3) La technologie de voyage dans le temps développée par l’I.A. Legion est étrangement similaire à celle de Skynet. Seule différence : la bulle temporelle est entourée d’un air glacial rappelant celui qui touche la DeLorean chez Robert Zemeckis. Ce n’est sans doute pas un hasard, puisque l’épilogue de Dark Fate reprend à l’identique le tout dernier plan de Retour vers le futur.




LA MORSURE DU CROTALE 
Rattlesnake. 2019. USA. Réalisation Zak Hilditch. Interprétation Carmen Ejogo, Theo Rossi, Emma Greenwell… Disponible en SVOD (Netflix).
Révélé par le brillant drame post-apocalyptique Final Hours, l’Australien Zak Hilditch avait confirmé l’essai avec 1922, adaptation très honorable d’une nouvelle de Stephen King avec Thomas The Mist Jane dans le rôle principal. Second long-métrage réalisé par Hilditch sous la bannière de Netflix, La Morsure du crotale trahit cette fois, sur le fond, une triste ambition de téléfilm. Si la taille du manuscrit d’origine garantissait à 1922 une structure solide (130 pages pour une heure quarante : un ratio cohérent), l’idée centrale de La Morsure du crotale condamne sa narration à des errances particulièrement interminables. Inspiré par le mythe de Faust, le concept de base n’est pas mauvais en soi : Katrina (Carmen Ejogo), une mère célibataire, décide de traverser en voiture les États-Unis en compagnie de son enfant (Apollonia Pratt). Un problème de trafic sur une autoroute du Texas la déroute bientôt vers un no man’s land hostile, au beau milieu duquel l’un de ses pneus éclate. Alors que Katrina tente de le démonter, sa fille est mordue par un crotale. Une mystérieuse femme vivant dans une caravane miteuse propose de soigner la victime, mais en échange, Katrina devra assassiner une personne de son choix avant le coucher du soleil…
Il serait très simple de jeter l’objet aux oubliettes, et de n’y voir qu’un accident de parcours désincarné dans la carrière naissante de Zak Hilditch. Le cas de La Morsure du crotale est néanmoins plus complexe que ça : on y reconnaît bel et bien toutes les obsessions du cinéaste, de son rapport à la mécanique implacable du temps (des plans macros sur des cadrans de montres ou d’horloges rythment la descente aux enfers de Katrina) à sa volonté de confronter ses protagonistes à des dilemmes moraux insolubles. En cela, le fait qu’une seule et unique mise à mort constitue l’enjeu du drame éloigne le film du slasher fantastique lambda, et appelle théoriquement le spectateur à frémir dès que l’héroïne se rapproche de son funeste objectif. Hélas, les choix opérés par le script sont au mieux convenus, au pire franchement prévisibles, et culminent avec une résolution semblant dictée par des exécutifs de studio demeurés. Un peu gênant, quand on est censé bénéficier de la liberté de ton de Netflix… Pour contrebalancer son absence de point de vue, Hilditch a tout de même l’idée ingénieuse de mettre à égalité les plans tournés par l’équipe principale (dialogues et consorts) et les rushes de la seconde équipe. Si l’avalanche d’images aériennes étrangement symétriques, d’inserts expressionnistes et d’establishing shots stylisés ne transcende pas l’entreprise, elle assure au moins une ambiance pesante, digne de celles que Hilditch chérissait à ses débuts australiens.
A.P.




MON NOM EST DOLEMITE 
Dolemite Is My Name. 2019. Réalisation Craig Brewer. Interprétation Eddie Murphy, Keegan-Michael Key, Mike Epps… Disponible en SVOD (Netflix).
Rudy Ray Moore rêve toute sa vie durant de percer dans le show-business, mais ses tentatives dans la chanson, la danse ou le stand-up se soldent par des échecs cuisants. Au tout début des années 1970, alors qu’il est employé par une boutique de vinyles, Moore se prend de passion pour les récits abracadabrants d’un clochard retraçant les aventures très vulgaires d’une simili figure mythologique de la culture afro-américaine nommée Dolemite. Opportuniste, Moore enregistre les formules hilarantes du v [...]

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