Cinéphages n°324

HOUSEWIFE
Turquie. 2018. Réalisation Can Evrenol. Interprétation Clémentine Poidatz, David Sakurai, Alicia Kapudag… Disponible en E-cinéma.
Can Evrenol s’éloigne drastiquement des représentations infernales grand-guignolesques de son remarqué Baskin (2016) pour plonger dans les affres d’une horreur plus intime, moins graphique mais toujours baignée de ces couleurs à la fois saturées et ténébreuses qu’il semble tant aimer. La schizophrénie entre le fond et la forme, sans être envahissante, se révèle au final symptomatique des énormes limites du projet. En l’absence de visions véritablement cauchemardesques, le changement de direction n’amène pas tant le propos du réalisateur vers la maturité que vers une pontification abstruse, dans un ailleurs beaucoup trop conceptuel entre le cérémonial et le théâtral. Peu importe que les intentions esthétiques et narratives ne se révèlent finalement que dans le dernier acte, ou même que le script et la mise en scène pèchent à tour de rôle par manque d’assurance dans leurs effets. Le gros souci réside surtout dans une direction d’acteurs beaucoup trop bancale. Les comédiens passent leur temps à déclamer des dialogues pas possibles, dans un anglais qu’ils maîtrisent avec des fortunes diverses. Les plus magnanimes y verront peut-être une couche supplémentaire d’étrangeté versée sur cette histoire d’une femme traumatisée par le meurtre de sa famille ; le sentiment de ratage, voire de gâchis, tend néanmoins à prédominer.

F.C.



INTERVIEW CAN EVRENOL RÉALISATEUR & SCÉNARISTE
Venu l’année dernière présenter Housewife à L’Étrange Festival, Can Evrenol revendique son statut de « fanboy » et assume les emprunts d’un second film lorgnant ouvertement du côté de la série B horrifique transalpine des années 70/80.

Housewife s’avère de prime abord assez différent de Baskin, votre premier long-métrage consacré à la descente aux enfers de flics ripoux.

En effet. Je ne suis pas la personne la mieux placée pour analyser mon oeuvre, mais je dirais que les deux films partagent un ADN commun : ils démarrent pendant l’enfance avant de muter, à la faveur d’un rêve, en un portrait de personnage adulte devant affronter ses peurs de jeunesse. Et puis, il y a une secte et une scène d’ascension à la fin… Tous ces aspects sont intéressants à mes yeux et je voulais les revisiter. Depuis mes tout premiers courts, j’ai cherché à introduire des éléments féminins un peu sexy, mais j’ai toujours fini par mettre à l’écran des créatures monstrueuses venues d’on ne sait où. Avec Housewife, je voulais suivre un protagoniste féminin, c’était ma priorité. Au départ, je me suis inspiré de L’Ange de la vengeance d’Abel Ferrara. Mais mon imagination s’est mise au travail, et finalement, cela a donné Housewife


Visuellement, on pense beaucoup à un certain cinéma italien : vous citez Dario Argento, Lucio Fulci et même Mario Bava, dont vous dupliquez l’un des moments cultes de Shock.

Je suis tellement content que vous l’ayez remarqué ! Pratiquement personne ne l’a vu ! Shock est un film par trop méconnu — enfin, pas pour nous les fans. C’est l’un des trois films de Bava que je préfère. Parmi mes autres inspirations, il y a Safe de Todd Haynes. Lors de l’écriture, j’ai essayé de mélanger tous ces films traitant de la solitude, mais je dois bien avouer qu’à un moment, je me suis dit : « Peu importe ce que raconte le film, il faut au moins qu’un passage fasse référence à Shock ! ». Ce genre de scènes représente tellement de choses pour moi…


Et vous n’avez pas peur que cette accumulation de citations finisse par nuire à l’intégrité de votre travail ?

Je suis d’accord pour dire que mon film n’apporte rien de vraiment nouveau, mais en tant que scénariste, je n’ai vraiment aucun problème avec le fait de « piquer » aux autres. D’autant que c’est le genre de trucs que j’aime voir en tant que spectateur. J’aime voir des influences passées à travers le filtre d’un autre artiste. Fulci, par exemple, a copié le travail de Hollywood pour créer ses films d’horreur « spaghetti », qui s’avéraient parfois supérieurs à leur modèle. Je suis un produit de la génération Tarantino, qui dit d’ailleurs : « Tout est une copie d’une copie d’une copie. ». Lors du tournage, j’essaie cependant de ne plus penser à ces influences que j’aime intégrer en tant que scénariste. Sans parler des moments où mes collaborateurs remettent en cause l’une de mes idées : je dois alors prendre la décision de suivre ou non mon instinct. 


Comment se passe le travail avec les comédiens lorsqu’un tourne un film aussi appliqué d’un point de vue visuel ?

J’ai toujours apprécié l’exercice de la direction d’acteurs. Quand je rencontre un comédien, j’adore parler avec lui – ou elle – pour voir s’il est possible d’instaurer un véritable échange. Car je ne veux pas d’un robot qui dit « oui » à tout ce que je dis. 


Sur ce point, vous êtes différent de Lucio Fulci, qui méprisait ouvertement la plupart de ses comédiens. 

J’adore Fulci et Argento, mais, pour moi, le jeu des comédiens est le point faible de leurs travaux. Ceci étant dit, j’ai quelques réserves sur la performance des acteurs dans Housewife, mais je suis encore un cinéaste un peu « jeune ». Et puis, ça permet de créer un lien avec tous ces films qui m’ont inspiré, et qui n’étaient pas reconnus pour la qualité de l’interprétation ! Quand je vois le début de Housewife, toute la partie avec l’enfant notamment, je grince un peu des dents. Mais, bon, c’était notre premier jour de tournage ! Et puis, ça renforce l’aspect kitsch du concept. 


Des projets ?

Je ferais bien un film plus resserré, qui se passerait uniquement dans une maison et où je pourrais justement me concentrer au maximum sur le travail avec les acteurs. J’ai conscience que c’est cet aspect de mon travail qui pèche le plus. C’était déjà ce que j’avais envie de faire après Baskin, mais j’ai finalement accouché de Housewife ! Sinon, j’ai au moins 17 projets en suspens : certains sont très modestes alors que d’autres sont carrément énormes, du genre post-apo bourré d’arts martiaux ! (rires) En tant que spectateur, j’ai des goûts très variés. Il est donc difficile pour moi de me focaliser sur un seul style lors de l’écriture d’un projet.

PROPOS RECUEILLIS PAR JEAN-BAPTISTE HERMENT. 





MILLENIUM : CE QUI NE ME TUE PAS
The Girl in the Spider’s Web. 2018. G-B/Allemagne/Suède/Canada/USA. Réalisation Fede Alvarez. Interprétation Claire Foy, Sylvia Hoeks, Sverrir Gudnason… Sorti le 14 novembre 2018 (Sony Pictures Releasing France).
On avait quitté Lisbeth Salander il y a sept ans, au terme d’un passionnant remake signé David Fincher. On la retrouve aujourd’hui héroïne d’une séquelle qui ressemble à un mélange de Batman, Mission : impossible et James Bond, même si les histoires de famille tordues chères au roman noir suédois restent le nerf de la guerre. L’ennui, c’est que Millénium n’a jamais eu pour vocation d’être une série d’action et que l’attachement au personnage de Lisbeth était en grande partie défini par sa relation avec le journaliste d’investigation Mikael Blomkvist. Ici, il n’est plus qu’une silhouette parmi d’autres, que la dernière scène nous montre taper le titre d’un article censé relater l’histoire de Salander… avant d’effacer tout ce qu’il vient d’écrire. Un véritable aveu d’échec de la part d’un film qui dénature complètement l’esprit de la saga en tentant vainement de s’appuyer sur le jeu transparent de Claire Foy (Paranoïa) et sur un rythme qui reste en permanence cloué au sol, la faute à une mise en images lisse et sans âme du très surestimé Fede Alvarez (Don’t Breathe – la maison des ténèbres) dont le goût pour la chose horrifique se limite ici à l’exhibition d’un visage défiguré.

C.D. 





TARGET 
2018. Indonésie. Réalisation Raditya Dika. Interprétation Raditya Dika, Cinta Laura Kiehl, Samuel Rizal… Disponible en SVOD (Netflix).
Et si le postulat de la saga Saw se transposait dans une comédie méta sur le milieu cinématographique indonésien ? Telle est l’idée pas très évidente de Raditya Dika, auteur/réalisateur/interprète spécialisé dans la comédie romantique et reconverti dans le thriller rigolard depuis son redoutable Hangout (2016). L’argument scénaristique précité se révèlera extrêmement ténu (pour rester poli), au profit d’une pantalonnade potache à base de coups de pied dans les parties ou de producteur grande folle. Sans préparation, s’attendre à un décalage culturel à peu près aussi brutal que celui probablement ressenti par un spectateur de n’importe quel pays devant Les Tuche 3.

F.C.





CAM 
2018. USA. Réalisation Daniel Goldhaber. Interprétation Madeline Brewer, Patch Darragh, Melora Walters… Disponible en SVOD (Netflix).
Le libéralisme décomplexé serait-il la solution idéale pour affirmer son existence ? Les auteurs de Cam semblent le penser puisque ce qui démarrait comme une passionnante illustration de l’univers trouble des cam girls (ces filles qui se dénudent sur Internet contre de l’argent) se mue malheureusement en un tract proféministe dont le schématisme simplet s’avère assez lassant, pour ne pas dire très politiquement correct. Passe encore que le scénario réduise la gent masculine à un ramassis d’obsédés mentalement instables (à l’exception du frère homosexuel de l’héroïne, bien entendu), mais que le script abandonne toute velléité dialectique pour promouvoir bêtement l’avidité financière de son « héroïne sans reproche » comme facteur d’émancipation, c’est vraiment nous faire prendre des ves [...]

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